« La journée est passée vite. Les vacances paraissent déjà loin ! » En ce lundi de reprise pour certains, de vacances pour d’autres, retrouvons le CPE Nicolas Grannec* et sa chronique « Un CPE ne devrait pas dire ça » *. Un lundi de reprise ou un lundi tout court ?
7h, je m’installe dans ma voiture direction le collège. Comme beaucoup, je ressens un mélange de stress, de cafard de quitter le cocon familial qui m’a servi de refuge durant ces vacances. Il fait encore nuit et il me faudra un petit quart d’heure pour rejoindre le parking du collège. J’écoute la radio pour ne pas laisser ma pensée m’envahir. Très vite, me voilà arrivé devant la grille du parking. En face de moi, je vois le peu d’agents du département qui nous restent se retrouver autour d’un café et d’une cigarette. On échange un signe de la main avant que j’aille me garer à ma place habituelle. Une fois sorti de la voiture, je dois encore franchir un long couloir interminable éclairé d’une lumière blafarde avant de rejoindre mon bureau. Ce lieu me fait toujours penser au livre Liminal. Les Nouveaux espaces de l’angoisse que j’avais emprunté à la médiathèque. Un espace liminal est un lieu de transition, souvent vide et abandonné et qui semble étrange et angoissant comme les couloirs de Shining.
7h20, j’ouvre la porte de mon bureau. Il est temps de me mettre dans la peau du CPE et de retrouver mes automatismes. Première chose à faire, modifier le planning des assistants d’éducation. Il y aura des absents dans l’équipe et je dois m’assurer que tous les postes pourront être occupés. Je perds du temps à cause de mon vieil ordinateur qui met un temps fou à s’allumer ! Les AED arrivent au compte-goutte. Je les vois passer devant la porte du bureau. On se souhaite la bonne année mais chacun semble déjà focus sur les tâches à accomplir. On dirait un vieil équipage prêt à reprendre la mer pour quelques semaines ! A peine le temps d’imprimer le planning que le téléphone sonne. C’est l’agent d’accueil qui me prévient que des collègues enseignants seront absents ce matin. Il va y avoir des permanences à gérer pour les AED.
A 7h40, nous ouvrons les grilles du collège. Les premiers élèves nous présentent leur carnet de correspondance en nous saluant. Le reste de la troupe franchit la grille dans le temps imparti. Ne resteront plus que les quelques retardataires habituels, visages fermés et fatigués pour certains. Le réveil a visiblement été difficile.
Les retours de vacances sont souvent des moments compliqués. Je suis d’ailleurs étonné de ne pas avoir de parents qui demandent à me parler pour me faire part d’un problème survenu via les réseaux sociaux puisque c’est souvent de ça qu’il s’agit. Les premiers élèves qui vont venir me parler ce lundi matin, ce sont des jeunes placés en maison d’enfants à caractère social (MECS). Le premier, élève de 5e, est mal dans sa peau depuis son placement, mais a trouvé une forme de catharsis dans le RAP. Il écrit des textes et peut, ainsi, exprimer son mal être. Il me montre un CD de son rappeur préféré que son père lui a offert. Il le range dans sa sacoche mais je crains que le boitier ne fasse pas la matinée. Mon inquiétude était légitime car après la récréation, il est venu me trouver très angoissé de décevoir son père parce qu’il avait cassé le boitier. Je l’ai rassuré en lui expliquant que cela se changeait très facilement.
Puis ce fut le tour d’un frère et une sœur. Le jeune garçon a pu regagner son domicile car il mettait en échec la mesure de placement. Sa sœur est, quant à elle, toujours placée. Ils ont demandé à me voir en entretien. La souffrance se lit sur le visage du garçon. Il peine à retenir ses larmes. Il m’explique que la période de vacances a été compliquée car il s’est retrouvé seul avec ses parents, ses autres frères et sœurs étant tous en mesure de placement. Sa sœur m’explique qu’ils sont très soudés entre eux. Ils auraient aimé passer du temps ensemble. Je suis rejoint par ma collègue assistante sociale. A deux, nous parvenons à les apaiser.
Après ma pause déjeuner, je suis happé par un élève de 6e lui aussi placé. Il est extrêmement agité et n’écoute pas les assistants d’éducation. Il parvient à se faufiler dans les couloirs. Je le retrouve allongé sur le sol de manière ostentatoire. Il veut qu’on s’occupe de lui et nous le fait bien comprendre ! Il nous met en difficulté à courir partout. Il teste le cadre. Son comportement nous surprend quelque peu car jusqu’à présent, il n’avait jamais agi de la sorte. Que faut-il en déduire ? A-t-il juste besoin de nous faire courir ? De se dépenser ? Difficile à dire. Après quelques minutes, il finira par se calmer… avant une prochaine tempête !
L’après-midi est plus calme. Les élèves reprennent peu à peu leurs habitudes. Il y a toujours ce petit groupe de filles qui cherche tous les prétextes pour ne pas aller en cours. Un jour, une histoire. Elles cherchent un adulte disponible comme si elles cherchaient une proie à dévorer de leurs paroles. Elles y mettent les gestes et l’intonation pour bien montrer qu’il s’agit là d’un fait grave. Elles parviennent comme cela à grapiller du temps pour ne pas aller en cours. Comment agir sur elles ? Pourquoi est-ce si difficile pour elles de se rendre en classe ? La punition ne résoudra rien et j’ai en tête cet aphorisme de Fernand Deligny : « Dis-toi que l’éducation commencera le jour où l’atmosphère sera complètement débarrassée du moindre miasme de sanction » (Graine de crapule).
A 17h30, nous refermons la grille. La journée est passée vite. Les vacances paraissent déjà loin ! Il est temps maintenant de répondre à quelques mails d’éducateurs ou de parents et d’établir mes priorités pour le lendemain même si je sais que des événements imprévus surgiront et viendront déstabiliser mon planning. D’où l’importance de garder un cap pour ne pas se perdre en chemin.
18h, il est temps de refermer la porte de mon bureau. Les agents d’entretien s’activent déjà pour effacer les traces de la journée. Je leur souhaite bon courage car ils finiront leur service vers 20h. Ce seront les derniers membres de l’équipage à quitter le collège.
Nicolas Grannec*
*L’auteur écrit sous pseudonyme
