Le « pas de vague » institutionnel
Depuis les révélations des journalistes de Médiapart, la parole se libère et la question des responsabilités et des silences à différentes échelles se pose. Le 19 février 2025, un inspecteur d’académie, auteur d’un rapport sur l’institution catholique avoue avoir « fait un rapport qui ne tient pas la route actuellement » en 1996 à l’issue d’une plainte déposée pour violences physiques. Ce rapport délégitime la plainte et le témoignage de la professeure de mathématiques. Diligenté par François Bayrou, alors ministre de l’Éducation nationale, il accable la lanceuse d’alerte dont l’état d’esprit est qualifié de « négatif », et recommande de « « trouver une solution afin que Mme Gullung n’enseigne plus dans l’établissement ». Sa conclusion fait froid dans le dos : la réponse à la plainte est de mettre au ban une professeure. Rédigé en 1996 après une journée dans l’établissement, c’est le seul à avoir été effectué sur l’institution catholique malgré la gravité des plaintes successives. 30 ans plus tard, après des centaines de victimes, le deuxième contrôle de Notre-Dame de Bétharram aura lieu le 17 mars 2025, a annoncé le ministère de l’Éducation nationale.
Des enfants ont perdu une partie de l’audition suite à une gifle du surveillant général, des enfants ont été victimes de violences physiques et sexuelle pendant des décennies.
Des signalements et plaintes pour violence et viols ignorés par l’administration et l’Éducation nationale
Le scandale Bétharram lève le voile sur les silences et les alertes ignorés. Des plaintes pour violences et viols ont été pourtant déposées depuis 1993. En 1993, 1996, 1998 des familles alertent sur les violences physiques comme verbales et des plaintes pour viols ont été déposées. Malgré les alertes, les ministère de l’Éducation nationale et de la justice n’ont pas diligenté d’inspection au recteur d’académie. De 1997 à 2000, Ségolène Royal était alors ministre déléguée à l’enseignement scolaire et affichait à son agenda pourtant la lutte contre les violences et la pédocriminalité, dans le public.
Entre 2000 et 2013, plusieurs plaintes pour viols ont été déposées et classées. Durant des décennies, des alertes et plaintes, ont été ignorées. Le contrat d’association de l’institution catholique n’a pas été remis en question, pas plus que ses financements, ni les personnels inquiétés. Le surveillant général, accusé d’avoir crevé quelques tympans, et d’être responsable d’humiliations, et de violences physiques et sexuelles, a poursuivi sa carrière, il était de 2005 à 2019, directeur adjoint d’un collège catholique à Châteauroux. Le prêtre accusé de viols en 1998 et 2000 s’est jeté dans le Tibre.
Le secrétaire général de l’enseignement catholique, Philippe Delorme, dit n’avoir « vent d’aucun contrôle ». L’Église, l’État, le rectorat n’ont pas pris de mesures pour faire cesser ces violences malgré les plaintes déposées en justice.
La sanction de la professeure en 1996 montre combien le système repose sur des silences. Les autres adultes de la communauté éducative, professeurs comme parents d’élèves, n’ont donc pas fait bloc avec l’enseignante et la famille plaignante. Il s’agit de protéger la réputation de l’institution et non les enfants. Les mécanismes de la brutalité institutionnelle ont pour victimes les enfants et les lanceurs d’alerte.
Un système de violence éducative
Le Journal Télévisé en 1996 qui fait état des châtiments corporels à l’école Bétharram suite à la plainte, montre que ceux-ci sont tolérés : il y est question de « dérapages de discipline ». La professeure et la famille dénoncent un « traitement inhumain et dégradant et coups et blessures ». Pour l’élève qui a intériorisé cette culture de la violence, c’est « un peu exagéré ». C’est une culture et un système de domination, d’humiliation et de soumission qui met en danger l’enfance. La violence est érigée en système sous couvert d’excellence et d’exigence pour ces établissements élitistes. Ainsi institutionnalisée, la violence n’est-elle pas à passer sous silence, tacitement ?
L’affaire Bétharram, c’est l’affaire de silences, d’un système de maltraitances qui met l’enfance en danger. Dans cette affaire, on retrouve la colonie pénitentiaire de 1934 décrite par Sorj Chalandon dans L’Enragé, ou encore l’internat du XIXè siècle des Désarrois de l’élève Törless décrit par l’autrichien Robert Musil. Bétharram, c’est aussi La fabrique de violence de Jan Guillou, la culture de la brutalisation et de la domination des adultes exercée sur les enfants sous couvert d’une rengaine de l’autorité et de l’ordre.
Djéhanne Gani
