Dans sa chronique, l’historien Claude Lelièvre explore l’histoire des arts et des enseignements artistiques, les textes et les déclarations politiques. « La semaine dernière, lors de son discours au Louvre devant la Joconde, le Président de la République Emmanuel Macron n’a pas été avare d’annonces en la matière », commence-t-il.
« Une des vocations premières d’un tel musée […] c’est la transmission. Celle d’un nouveau récit, une sorte, si je puis m’autoriser cette comparaison, de « Lagarde et Michard » de l’histoire de l’art. […] 450 000 élèves viennent chaque année au Louvre ; le projet portera un doublement de ce chiffre […] Je souhaite que nous puissions faire du Louvre l’épicentre de cette révolution de l’histoire de l’art et de l’enseignement de l’art […] que nous puissions ici envisager la formation des maîtres qui auront à transmettre cette histoire de l’art, et que dans les espaces qui seront dégagés, des espaces pédagogiques puissent permettre d’organiser de manière régulière la formation des enseignants. La ministre d’État, ministre de l’Éducation nationale, porte le projet et proposera dans les prochains mois une nouvelle maquette pédagogique pour que l’histoire de l’art soit enseignée dès le collège. »
On croyait que ce dernier point était déjà dûment acté suite à la déclaration faite par Emmanuel Macron lui-même lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024 : « l’histoire retrouvera sa place à la rentrée prochaine au collège et au lycée ».
L’enseignement de l’histoire des arts depuis 2008
A dire vrai, on se doit d’être encore plus dubitatif ou perplexe en lisant le texte intitulé « Enseignement de l’histoire de l’art » (ministère de la Culture) : « L’arrêté du 11 juillet 2008 fixe l’organisation de l’enseignement de l’histoire des arts. Il est obligatoire pour tous les élèves de l’école primaire, du collège et du lycée (voies générale, technologique et professionnelle). Il est effectif depuis la rentrée 2008-2009 pour les classes des écoles primaires et depuis la rentrée 2009-2010 pour les classes des collèges et des lycées […] L’arrêté du 11 juillet 2008 est toujours en vigueur, sans modification. Élaborés par le Conseil supérieur des programmes, les projets de nouveaux programmes, en date du 5 avril 2015, pour les cycles 3 et 4 (du CM1 à la 3ème) comprennent un volet « histoire des arts ». Dans le cadre de la réforme, cet enseignement est bien maintenu au collège et son évaluation est toujours prévue dans le cadre du Diplôme national du brevet (DNB) ».
Ou en lisant le texte intitulé : « L’histoire des arts, un enseignement généralisée » (ministère de l’Éducation nationale) : « L’enseignement de l’histoire des arts concerne tous les élèves de l’école primaire au lycée. Il leur permet d’acquérir des connaissances et des repères fondateurs d’une culture commune en leur faisant découvrir des œuvres relevant de différents domaines artistiques, époques et civilisations. Pluridisciplinaire, il est assuré par tous les professeurs volontaires autour de projets communs ; au collège, il est plus particulièrement porté par les enseignants d’histoire-géographie, d’arts plastiques et d’éducation musicale. Les programmes des différentes disciplines prennent en compte la contribution de chaque discipline à l’enseignement d’histoire des arts.»
Enseignement artistique et rythme scolaire
Ce n’est pas non plus la première fois qu’un président de la République fait irruption ès qualités dans le domaine (réservé ??) de l’éducation artistique. On peut citer en particulier Jacques Chirac. Dès qu’il était devenu Premier ministre, Jacques Chirac s’était présenté comme le nouveau Jules Ferry de l’éducation artistique lors de sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale le 9 avril 1986 : « Un projet me tient particulièrement à cœur. Ce que Jules Ferry a fait, voici un siècle, dans le domaine des disciplines de la connaissance, nous devons aujourd’hui le faire pour les disciplines de la sensibilité en généralisant l’initiation et la pratique artistiques ».
Une loi spécifiquement consacrée aux enseignements artistiques est présentée conjointement par François Léotard (ministre de la Culture) et René Monory (ministre de l’Éducation nationale), et elle est votée en seconde lecture le 17 décembre 1987. Tout le monde, ou presque, s’accorde pour reconnaître que le résultat final n’est pas à la hauteur de ce qui avait été espéré.
On était donc loin du compte, et c’est sans doute ce qui a incité Jacques Chirac à reprendre le problème par le biais des « rythmes scolaires » dans l’entretien télévisé qu’il a accordé à TF1 le 12 décembre 1994 : « Il y a un peu plus de cent ans on a donné à tous l’accès aux disciplines du raisonnement, aux disciplines intellectuelles. Mais, aujourd’hui, celui qui n’est pas dans des conditions privilégiées n’a aucun accès à la culture. Regardez un pays comme l’Italie, qui a une histoire très récente par rapport à l’ancienneté de l’histoire de France. Les petits Italiens, à l’école, ont un enseignement artistique très poussé. Le résultat est qu’ils ont la conscience d’appartenir à une même culture, et c’est un élément de cohésion sociale et d’ouverture d’esprit considérable. Il faudra faire impérativement la réforme des rythmes scolaires et développer l’accès de tous à la culture par les enseignements artistiques ».
Dès la rentrée scolaire suivante, le président de la République Jacques Chirac revient à la charge dans l’entretien télévisé qu’il accorde à France 2 : « On a vu les résultats exceptionnels de l’expérience qui se déroule à l’initiative de Philippe Séguin à Épinal. Je crois qu’il faut que nous ayons partout, en France, un système qui consacre le matin aux disciplines de la connaissance traditionnelle et l’après-midi aux disciplines sportives et aux disciplines de la sensibilité, les enseignements artistiques au sens le plus large du terme ».
Pour des raisons d’équilibre politique de la majorité présidentielle, François Bayrou avait été reconduit à la tête du ministère de l’Éducation nationale. Mais on sait qu’il se montre prudent et réservé sur la question des « rythmes scolaires ». C’est donc à Guy Drut, un fidèle de Jacques Chirac, qu’est dévolu le rôle de créer une dynamique à partir de… son ministère de la Jeunesse et des Sports. Et tout va se brouiller et s’enliser.
Bref, rien de bien convaincant. Cette fois, François Bayrou n’est plus ministre de l’Éducation nationale mais Premier ministre. A-t-il été consulté ? Est-il partie prenante ? Mystère.
Claude Lelièvre