Frédéric Grimaud relate des entretiens de professeur.es des écoles, qui parlent de leur métier, de l’organisation de leur travail, et de tous les choix auxquels le quotidien de la classe les confronte. Chaque semaine, retrouvez deux d’entre eux et d’entre elles qui expriment un point de vue différent sur la manière de faire leur métier, qui n’utilisent pas les mêmes outils pour réaliser leur tâche, qui ne font pas les mêmes gestes professionnels.
Les dérangements que cela génère
Il n’est pas une salle de classe dans laquelle ne se trouve une, ou plusieurs, corbeilles pour évacuer les déchets. Elle semble posée dans la classe de façon quasi aléatoire, mais lorsque l’on creuse la discussion autour de cet objet aussi indispensable qu’anodin, on s’aperçoit qu’il peut être la source de véritables controverses professionnelles. Romane et Stéphanie, dans le cadre d’une recherche en science de l’éducation, observent un film de leur activité en classe. Stéphanie remarque les nombreux déplacements de ses élèves de CM2 vers la corbeille et les dérangements que cela génère.
Stéphanie : « Tu vois, en regardant la vidéo là, je vois que les élèves se lèvent souvent pour aller à la corbeille. On était sur une activité de coloriage de carte de géographie et c’est vrai que ça génère beaucoup de trafic pour aller tailler les crayons ou vider les taille crayons. Là c’est beaucoup trop mais j’imagine que même à d’autres moments, le fait que j’ai placé la poubelle à côté de mon bureau, ça génère des déplacements et à chaque déplacement d’un élève, je remarque que ça en déconcentre d’autres. Je n’y avais jamais pensé. Pourtant je leur dis d’avoir les crayons bien taillés quand ils viennent à l’école mais tu penses, c’est comme parler dans le vide.
« Je ne peux pas non plus avoir à gérer ça »
Du coup ils se lèvent pour aller à la corbeille devant mon bureau et ensuite la corbeille à papier elle, elle est au fond de la classe à côté du coin livres. Ca fait beaucoup de trafic et je vois là qu’il y en a qui vont vider leurs taille crayons dans la poubelle jaune. Pas sûr que ce soit prévu pour ça. En même temps moi je suis dans les rangs en train de réguler leur activité, je ne peux pas non plus avoir à gérer ça. Mais de ce que je vois sur la vidéo, va falloir que j’y pense.»
Romane reprend la balle au bond et expose sa manière de fonctionner, sur laquelle elle semble avoir déjà réfléchi : « Oui là on en voit beaucoup se lever, en même temps ils en ont besoin aussi parfois (rires). Mais je comprends ton souci. On peut aussi mettre sur leurs tables, quand y’a des activités d’arts visuel ou même comme là de géographie où on sait que ça va générer des déchets, des barquettes, par table ou individuelle, comme tu veux, pour qu’ils n’aient pas à se lever pendant la séance. Parce que c’est vrai que quand ils circulent dans la classe, ça génère de suite de la déconcentration. En même temps c’est pas non plus une activité qui demande d’être à fond concentré non ?
« Le souci d’apprendre à trier les déchets, c’est pas rien »
En tous cas moi la question de la gestion des déchets c’est un vrai enjeu dans ma classe et c’est lié aux programmes en développement durable. C’est un de nos axes du projet d’école alors dans la classe on a toutes 3 poubelles : le papier, le recyclable et le reste. Et en vrai ça occupe pas mal de place dans la classe. Les deux premières poubelles, ce sont les élèves qui s’occupent d’aller les vider, c’est un métier de la classe. Les container jaunes et verts sont dans l’autre cour de récré, celle des CP-CE1, devant le portail de l’école. Quand c’est leurs tours, 2 élèves sont chargés d’aller vider les 2 poubelles pendant la récré. Et ça nous permet aussi d’évaluer la quantité de déchets – c’est énorme – qu’on génère et d’en parler. Donc la question des poubelles dans une classe, c’est pas si trivial, entre le souci de ne pas générer trop de dispersion et le souci d’apprendre à trier les déchets, c’est pas rien. »
Petite analyse : Travailler, c’est renormaliser son milieu. Ce milieu de travail est jonché d’objets qui ont plus ou moins d’importance et autour desquels les enseignant.es organisent leur activité, sans même y penser formellement. Le cadre méthodologique de nos recherches permet de mettre parfois la focale sur des gestes qui apparaissent comme anodins, faits de manière impensée, incorporés au sujet, et qui pourtant sont déterminants dans la bonne réalisation de la tâche. C’est le cas ici avec la corbeille, objet qui est présent dans toutes les salles de classes, mais dont on n’imagine pas qu’il puisse faire l’objet de débats de normes.
Et vous, la place de la corbeille dans votre salle de classe, vous y avez sérieusement pensé ?
Frédéric Grimaud
Premier degré : comment organiser une classe à double niveau ?