Cinéaste engagé, infatigable pourfendeur de l’injustice sociale et des ravages du néolibéralisme, Robert Guédiguian nous revient avec une fable, simple et lumineuse, plus politique qu’il n’y paraît, La Pie voleuse, son 24ème long métrage, tourné à L’Estaque, le quartier de Marseille qui l’a vu naître. Conçue dès l’écriture avec Serge Valletti sous le signe de la musique, l’ouverture en l’occurrence de l’opéra de Rossini, la fiction glisse de la chronique ordinaire au drame, du fait divers potentiellement toxique à la fable minuscule, délicate et profonde, portée par une attention constante aux plus démunis.
Maria, la ‘voleuse’ de vie, de plaisir et de musique
Voici donc Maria, auxiliaire de vie (Ariane Ascaride) auprès de personnes plus âgées et aisées qu’elle enfermée dans une précarité financière chronique, accentuée par le train de vie de Bruno (Gérard Meylan), son mari depuis toujours, et incorrigible parieur aux cartes. Maria arrondit son modeste salaire en commettant de petits vols de billets ou de chèques au domicile de ces gens qui l’adorent et qu’elle accompagne avec un dévouement sincère et généreux.
L’héroïne de La Pie voleuse n’a pas vraiment conscience de commettre quelque larcin. En un sens, elle se paie ses heures supplémentaires. Mais ses besoins ne s’arrêtent pas à l’assurance de sa survie. Maria vole à ceux qui ont les moyens de quoi s’offrir le plaisir de manger des huîtres en écoutant seule un concert ou d’offrir des leçons de piano à son petit-fils au talent naissant.
L’appétit de vivre, la capacité à jouir du présent, le goût manifeste pour l’observation aimante des êtres et la contemplation émue de la mer méditerranée sous le soleil, visible de la fenêtre de la maison commune aux meubles usés et à la petite piscine délabrée dessinent le portrait complexe d’une femme épatante de drôlerie, d’énergie traversée par un ‘grain de folie’ à la fois dangereuse et communicative.
Ses riches ‘protégés’ ne s’y trompent pas, lesquels réclament sa présence affectueuse et solaire, même en dehors des plages horaires réglementaires.
Ainsi de cette vieille femme seule terrorisée par une nuit d’orage que Maria appelée en urgence vient rassurer et consoler sans tarder. Ainsi de la complicité évidente qui relie Monsieur Moreau (Jean-Pierre Darroussin), coincé à bord d’un fauteuil roulant dans sa demeure cossue avec jardin arboré, capable de prouesses physiques et… d’une initiative peu orthodoxe pour renouer avec cette simple ‘assistante’ de vie qu’il apprécie tant.
Les Pauvres Gens, la symphonie des sentiments pour une fable rebelle
Nous ne révélerons pas les détails d’un engrenage conduisant au dépôt d’une plainte pour abus de faiblesse, transformant la chronique légère en récit avec suspense et surprises de l’amour. Un événement et ses suites vont tout bouleverser : le fragile équilibre de Maria, les rapports entre générations, les relations de jeunes couples alentour.
Laurent (Grégoire Leprince-Ringuet), responsable d’une agence immobilière, tenue stricte, air sérieux, et fils nanti de Monsieur Moreau, paraît en tout cas totalement dépourvu d’humour et… d’empathie envers la (petite) délinquante, coupable de quelques détournements de chèques paternels.
Et pourtant, dans ce conte délicat et dramatique, les flux et les reflux de la mémoire, des amours perdus aux fantômes du passé, se court-circuitent avec les effets en cascade d’un coup de foudre redistribuant les rôles et les places sur la carte du tendre.
Aussi sommes-nous à peine surpris de voir Monsieur Moreau descendre à grande vitesse en fauteuil roulant une route goudronnée jusqu’au centre ville et réciter devant qui de droit le poème de Victor Hugo ‘Les Pauvres Gens’. Pour la bonne cause.
Sous nos yeux, dans le silence, modulé par la seule partition originale composée en amont par le musicien Michel Petrossian en accord avec Robert Guédiguian, se matérialisent des regards prolongés, des gestes tremblants, une brusque étreinte, un entremêlement des corps, dans l’évidence du coup de foudre entre deux jeunes personnes que tout oppose, Jennifer (Marilou Aussiloux), la fille de Maria et Laurent, le fils Moreau.
Une scène qui tient du miracle, voulue dès l’écriture par le réalisateur, comme il le confiait lors d’une avant-première, dans ‘le ressenti d’un film muet’. A plusieurs reprises la coexistence de la musique symphonique et de l’émergence de sentiments neufs ou d’affections profondes, sans paroles des personnages, nous permet d’accéder à leur humanité et à leur vulnérabilité.
Outre l’équipe fidèle de techniciens, la troupe d’acteurs (associant les ‘habitués’ déjà cités et quelques nouvelles recrues comme Marilou Aussiloux, sans oublier Lola Naymarck, Robinson Stévenin, Thorvald Sondergaard) apporte son concours inventif à l’incarnation chaleureuse de La Pie voleuse. ‘Nous savons tous qu’il y a un film à trouver et nous le cherchons ensemble’, précise Robert Guédiguian.
Et la fable minimaliste, concentrée sur le destin individuel de Maria, et de quelques autres dans un sillage affectif et un petit espace urbain ouvert sur l’immensité de la Méditerranée, nous donne à voir et à entendre l’ébauche d’une réparation de l’injustice sociale et l’esquisse d’une fraternité possible, sans barrières visibles.
Samra Bonvoisin
La Pie voleuse, film de Robert Guédiguian-sortie le 29 janvier 2025
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