« Derrière chaque enseignant.e se trouvent des élèves qui eux aussi ont vécu le traumatisme du cyclone, qui eux aussi ont vu leur maison s’envoler, leur vie voler en éclats » témoigne Magali. Professeure des écoles de maternelle à Kangani, à Mayotte depuis la rentrée 2023, à la veille de la rentrée des 117 000 élèves mahorais, elle apporte son témoignage sur les conditions de cette reprise, tant matérielles que psychologiques. La rentrée dans l’archipel a été reportée à cause du cyclone Chido qui a dévasté l’île, « nous sursautons encore quand il y a un bruit soudain » nous dit-elle.
Bonjour Magali. Nous revenons vers toi un mois et demi après le cyclone Chido et quelques semaines après notre premier entretien. On se demande si la question de la rentrée des classes est dans vos esprits ?
Tou.tes les enseignant.es, du premier et second degré parlent de la rentrée. Il y a ceux et celles qui arrivent de la France hexagonale après leurs vacances de fin d’année, perturbé.es et compatissant.es mais qui n’ ont pas vécu ces scènes apocalyptiques. Il y a ceux et celles qui étaient là, qui ont tout vu, tout vécu, tout perdu ou en partie : leur logement, leur matériel et leur « sérénité ». Il y a ceux et celles qui ont vécu Chido, qui ont été rapatrié.es et qui tentent de se reconstruire et dont on ne sait pas s’iels vont revenir ou pas. Et il y a enfin ceux et celles qui ont été un peu épargné.es mais qui entendent encore les mugissements de Chido. On n’oubliera jamais ce son. Enfants, adultes, chiens…, nous sursautons encore quand il y a un bruit soudain.
Et puis, derrière chaque enseignant.e se trouvent des élèves qui eux aussi ont vécu le traumatisme du cyclone, qui eux aussi ont vu leur maison s’envoler, leur vie voler en éclats. Les plus grands me disent « Madame, on n’a pas envie de rentrer. C’est mieux, on reste à la maison, on aide. » Les plus petits se contentent d’agiter la main en me voyant : « Bonjour maîtresse ! » mais ce sont leurs parents qui s’inquiètent de savoir quand aura lieu la rentrée. C’est que derrière le mot « rentrée » qui est sur toutes les lèvres, il y a de l’humain et pas que du matériel. Mais si on ne doit parler que du matériel, alors il faut rappeler que sur 221 écoles administratives, le recteur Jacques Mikulovic en dénombre 39 dans l’incapacité totale de fonctionner. Et sur l’ensemble des 33 collèges et lycées, 5 établissements sont significativement impactés. Entendez quasi détruits !
Alors du coup, comment s’est passée cette semaine ?
Dans mon secteur depuis lundi 20, nous avons tous et toutes repris le chemin de nos écoles et de nos établissements scolaires respectifs. Nous avons eu le plaisir de retrouver les collègues, de nous raconter comment nous avons vécu « le Chido ». S’il y a des rires, il y a aussi des larmes dans les yeux. Je le redis : on n’oubliera jamais ! Ensuite, nous avons eu des nouvelles d’autres écoles qui s’en sont moins bien sorties que nous : armoires fracturées et matériel pédagogique dérobé ou détérioré, classes balayées par le cyclone et vides à présent, mobilier (tables, chaises) volé, pan de toit en tôle pris par les gens qui reconstruisaient leur habitat. Ça reste terrible.
Donc la rentrée est pour bientôt ?
L’administration répète que la rentrée sera le 27 janvier avec des écoles qui devront pratiquer des rotations de classe dans la journée. On réfléchit désormais en termes de salles disponibles matériellement. Ainsi, une salle accueillera 4 classes (le groupe d’enfants) différentes. Ce qui fait une première rotation de 7h à 9h30, une seconde de 9h30 à midi, une troisième de 12h30 à 15h et une dernière de 15h à 17h30. Du coup le recteur pourra dire que toutes les classes ont repris le chemin de l’école mais cela ne dira rien sur les modalités de cette reprise. Beaucoup d’enseignant.es sont fragilisé.es et on ne parle même pas des enfants que nous allons accueillir ! Une cellule a été ouverte pour guider l’accompagnement des élèves. Mais c’est dans le second degré. Dans le premier nous n’avons pas encore de nouvelles, à quelques jours de la prétendue rentrée. Je sens que la période va être sympa ! Je vous tiendrai au courant.
Propos recueillis par Frédéric Grimaud