Personnages dessinés et colorés nettement, silhouettes légères à transformations rapides, figures esquissées avec délicatesse ou marionnettes expressives se mouvant avec souplesse, les héroïnes du programme de 4 courts-métrages réunis dans« Géniales ! » sont des filles, des petites et des plus grandes, toutes sensationnelles. Leur talent commun : elles déploient intelligence et créativité, sagesse et ingéniosité pour embellir la vie de celles et de ceux qu’elles aiment, membres de leur famille chérie ou ami.es de cœur. Avec Lola et le piano à bruits, animation de 26 mn précédée de trois histoires courtes, Entre deux sœurs, Gonflées et Princesse Aubergine, nous partons à la rencontre de ces filles fantastiques, dotées du pouvoir de faire bouger les lignes. Avec malice et bienveillance, Lola et les autres entreprennent devant nous, petit.es et grand.es, des actions audacieuses, à l’écoute des autres, dans l’entraide et le partage, avec le souci constant d’abattre les barrières sociales et culturelles, et de dépasser les différences sous toutes leurs formes. Grâce à « Géniales ! », proposition joyeuse, sensible et poétique, en animations dédiées aux enfants de l’Ecole primaire, il n’est jamais trop tôt pour grandir et devenir féministe.
Lola, astucieuse observatrice d’un petit frère différent
Dés sa première apparition dans la salle de répétition d’un orchestre amateur, sous la houlette d’un professeur exigeant, Lola, chevelure mousseuse tirant vers le roux, yeux brillants en forme de billes et lèvres rieuses, crève l’écran. Et fait preuve d’un sacré tempérament. Nous la retrouvons traversant la ville d’un pas rapide, grimpant l’escalier tournant de son immeuble jusqu’à un palier encombré d’objets et saluant, énergique et enjouée, ses proches voisins. Bientôt, en voix off, elle nous présente Simon, mèches brunes, sourcils soucieux, air lointain, son petit frère de 5 ans. La grande affaire de sa (jeune) vie. Comme Lola nous l’explique, le petit garçon n’est pas indifférent mais différent car atteint de troubles du comportement. Il ne parle pas mais pousse des cris à des moments imprévisibles. Il est difficile de jouer avec lui souvent isolé dans un monde intérieur auquel les autres n’ont pas accès. Grâce à l’amour attentionné de leur mère Delphine, jeune femme salariée dynamique les élevant seule, la sœur et le frère ne sont pas sans repères et Lola a l’habitude de conduire Simon à la consultation de la neuropsychologue. Nous voyons comment, par des incitations à dessiner (le petit garçon fait des ronds de toutes les couleurs difficiles à décrypter), par une invitation à écouter un morceau de musique , la spécialiste s’efforce d’entrer en communication avec le petit autiste.
Au fil de scènes (dans l’appartement familial joliment décoré aux teintes acidulées, sur le palier lieu d’échanges et de sociabilité, chez le papa ‘étrange guérisseur’ du meilleur ami de Lola…) et des événements, perçus à travers la vision d’une gamine avide de soulager le mal mystérieux dont souffre son petit frère, nous voyons et entendons Lola sur le chemin de solutions inventives à partir d’une observation précise et bienveillante de l’intérêt de Simon pour des bruits (doux et répétitifs) produits par des objets ordinaires et des ustensiles utilitaires. Des idées, stimulées par Rolih, teint mat, chevelure noire, tenue décontractée, son ami de toujours, un drôle de découvreur, sans cesse en train de détourner des objets de leur usage habituel pour en créer d’autres plus ludiques.
Lola, cheffe d’orchestre ingénieuse d’une symphonie bruitée collectivement
Sans révéler toutes les étapes conduisant Simon de l’indifférence agressive à une forme de communication relativement paisible avec les autres jusqu’à la participation active à une création sonore partagée, nous pouvons souligner l’enthousiasme suscité par le spectacle d’une héroïne constructive, capable d’entraîner adultes et enfants, Simon compris, dans une aventure humaine de partage artistique. Portée par l’engagement joyeux de Lola et sa juste intuition fondée sur l’expérience émotionnelle, la fabrication d’un piano à bruits voit le jour et …rencontre l’adhésion de Simon. En dépit du triste sort reservé à ce piano miraculeux par un propriétaire irascible, fan du respect de l’ordre dans son immeuble (et trop tard repenti), un autre prodige se produit, d’une dimension inédite pour chacun.e des participant.es. Nous voyons alors le petit Simon à sa place (principale) au sein d’un orchestre d’un genre particulier associant bruits créés par d’insolites constructions et sons venant d’instruments de musique plus classiques, sur une étrange partition dessinée par le petit supposé autiste. Comme le souligne un admirateur : ‘Mais c’est une symphonie de musiques concrètes, ma parole !’. Pari gagné pour Lola, la sacrée gamine, capable de faire naître et circuler la parole, les sons, la musique, au cœur d’une petite communauté humaine de création artistique, fraternelle et généreuse. Belle réussite pour Augusto Zanovello, le réalisateur de Lola et le piano à bruits.
Une animation engagée, inspirée d’une expérience vécue, fruit d’un travail d’équipe
Né au Brésil en 1965, après des études aux Beaux-Arts de Belo Horizonte, Augusto Zanovello s’installe en France en 1985 (Université de Paris III puis Les Gobelins) pour intégrer l’école Louis Lumière en 1991. Il travaille ensuite en tant qu’animateur, storyboader et scénariste dans différents studios d’animation. Il réalise plusieurs séries TV et courts-métrages remarqués et primés dans de nombreux festivals. Il prépare actuellement son premier long métrage en tant que réalisateur.
Pour Lola et le piano à bruits, Augusto Zanovello puise dans une expérience marquante de sa propre enfance. Son petit frère souffre de troubles du comportement et de difficultés graves dans la communication avec les autres. A une époque où les familles désemparées, et souvent culpabilisées, ne savent vers quels spécialistes se tourner tant la maladie (aujourd’hui mieux connue, l’autisme) demeure délicate à cerner et à soigner. Souffrant de cette distance avec son jeune frère, le réalisateur confie avoir sans cesse tenté alors de créer une ‘passerelle’ d’échange avec lui. Et il espère qu’à sa manière Lola et le piano à bruits contribuera à une meilleure appréhension de l’autisme et favorisera l’inclusion des enfants qui en sont atteints.
Au-delà de cette réalité douloureuse, le scénario écrit avec la collaboration de Jean-Christophe Finck bénéficie d’une association originale avec le compositeur Christian Perret pour la création en amont d’une musique particulière en accord avec la spécificité de ce ‘conte sonore’, né d’une source d’inspiration fondatrice : la finesse de l’oreille de Simon et sa perception métrique du son jusqu‘à l’explosion harmonique finale.
Pour habiter cette fable sur la recherche d’une communication authentique aux antipodes des modèles virtuels dominants, le réalisateur privilégie l’animation en ‘stop-motion’ image par image des marionnettes placées sur un décor monté sur un plateau.
Ainsi la technique d’animation se rapproche-t-elle des conditions de tournage d’un film en studio avec une équipe composée de décorateurs, d’accessoiristes, d’installateurs, d’une habilleuse et d’un chef-opérateur.
La fabrication des marionnettes nécessite aussi l’association créative de plusieurs savoir-faire. Après la conception graphique des personnages, vient la modélisation en volume pour donner formes et proportions finales. Pour plus de souplesse dans l’animation, armatures, rotules et charnières sont construites.
Après un moulage des personnages, elle réalise un tirage du corps en mousse de latex, ce qui donne de la souplesse aux volumes pendant l’animation. La tête est tirée ensuite en résine et les bras en silicone. Les différentes bouches sont sculptées, peintes et fixées par des aimants. Quant aux vêtements, ils sont taillés sur mesure, en fonction des proportions de chaque personnage…
Sans doute faudrait-il ne jamais révéler aux enfants les secrets de fabrication des multiples corps de métiers qui contribuent à donner vie et pouvoir de séduction à la brillante animation ici d’Augusto Zanovello Lola et le piano à bruits. A moins que pareille découverte ne fasse naître des vocations précoces auprès de jeunes spectatrices (et spectateurs) attirées ainsi par le cinéma d’animation et sa réalisation ?
Samra Bonvoisin
« Géniales ! », programme de 4 courts-métrages d’animation-en salle le 12 février 2025 ; distribué par Gebeka Films
*« Entre deux sœurs » : complicité de deux petites filles rieuses ; l’une est paralysée et l’autre (la plus grande) invente des moyens de transport inattendus et ludiques pour pallier le handicap de la plus jeune (France).
* « Gonflées » : dispute entre deux petites filles amies ; leur discorde produit un phénomène fantastique d’envolée dans les airs aspirées l’une et l’autre à l’intérieur d’un ballon géant. Pour sauver leur chat accroché en haut d’un arbre, elles doivent se réconcilier et s’entraider afin de revenir sur terre, une fois dégonflées (République Tchèque).
* « Princesse Aubergine ». Harmonie entre une Reine et son Roi troublée par le chagrin de la souveraine au désir d’enfant non satisfait ; heureusement, une petite vagabonde lui propose de devenir sa fille et fait son bonheur (Allemagne).
* « Lola et le piano à bruits ». Prix du Jury spécial TV, Festival international du film d’animation d’Annecy, 2024 (France).