« Nous avons vécu dans le dénuement le plus total ». Dans cet entretien au Café pédagogique, ce professeur explique pourquoi il a quitté Mayotte fin décembre 2024, sans l’aval du rectorat et à ses frais. L’enseignant a rejoint la Métropole après avoir « vécu l’enfer ». Il témoigne des journées qui ont suivi le passage du cyclone dévastateur et de son périple pour quitter l’archipel.
« Nous avons vécu 9 jours dans le dénuement le plus total » / 9 jours interminables sans rien
Ce que décrit Pierre* de sa maison détruite par le cyclone Chido le samedi 14 décembre 2024 est un champ de ruines : « les baies vitrées ont été soufflées au premier étage et la toiture s’est envolée entièrement au deuxième étage. Les cloisons se sont effondrées, la laine isolante et le faux plafond tombés, les chauves-souris et leurs excréments répandus sur toutes nos affaires ». Il a perdu toutes ses affaires, ses meubles. Il se retrouve sans rien : « Nous avons vécu 9 jours dans le dénuement le plus total ». Durant neuf journées, il a vécu sans toit, sans affaires, sans eau, sans nourriture, sans électricité, sans espèces, sans essence, sans réseau. Ce sont des voisins, un ami et sa famille qui lui ont permis de survivre, pendant ce temps qui lui a semblé interminable.
« Aucune aide n’est arrivée pour nous et toute notre commune pendant ces 9 jours »
Il poursuit : « Aucune aide n’est arrivée pour nous et toute notre commune pendant ces 9 jours. Nous avons vécu l’enfer ». Il décrit les kilomètres parcourus pour trouver de l’eau, se laver ou laver quelques vêtements endommagés par le cyclone. Le catalogue des tâches effectuées et des épreuves est long. Il a dû demander de la nourriture et de l’eau potable à ses voisins. Il a fait du stop pendant plusieurs heures sous une température de 37 degrés pour avoir du réseau, attendu durant 12 heures pour obtenir 13 litres de carburant, demandé un hébergement et de l’argent à des amis. Pour survivre, « nous courrions à longueur de journée pour assurer des besoins primaires: eau, nourriture et communication » dit-il.
« Nous sommes devenus vulnérables, nécessiteux »
Pierre décrit la dureté de ces journées, tant matérielle que psychologique : « Nous sommes devenus vulnérables, nécessiteux et avons vécu dans le dénuement le plus total ». Après 9 jours d’errance et d’abandon, il a pris la lourde décision de quitter Mayotte. Il se rend à l’aéroport dans le but d’évacuer l’île.
Quitter Mayotte
Ce que Pierre raconte est une fuite précipitée, sans aide ni soutien. Il commence par se rendre au rectorat où on lui demande d’attendre d’être appelé alors qu’aucune communication n’était sûre dans son secteur, qu’il fallait – sans essence – marcher une vingtaine de kilomètres pour atteindre un réseau fiable. Il est allé au rectorat de Mayotte pour se signaler. Il lui a été demandé d’attendre d’être appelé alors qu’il n’avait pas de moyen de communication fiable dans son secteur. « Comment y parvenir ? » demande-t-il. Malgré l’interdiction du rectorat de se rendre à l’aéroport de Mamoudzou, il décide de s’y rendre « devant des conditions d’existence infernales ».
A l’aéroport, les fonctionnaires lui disent qu’il ne figure pas sur la liste des départs, qu’il devrait attendre que le rectorat transmette au préfet sa demande. Pierre relève l’absence de nombreuses personnes de la liste et raconte que sa femme a supplié les agents de les laisser partir. Grâce à l’un d’entre eux, ils ont pu monter à bord de l’avion – à moitié vide – vers La Réunion avant de rejoindre la métropole à leurs frais, pour près de 3000 euros. Derrière eux, ils ont laissé une cinquantaine de personnes sur le tarmac, comme d’autres familles qui dormaient depuis quatre jours dans leur voiture à l’aéroport.
Si l’enfer de Pierre a duré 9 jours, combien de jours va durer l’enfer de milliers d’autres habitants dans Mayotte dévastée, voire abandonnée ?
Djéhanne Gani
*Nom d’emprunt
Dans le Café
Témoignages de Mayotte : « On est dans un cauchemar »
« Le territoire est dévasté » dit Abal-Kassim Cheik Ahamed, président de l’université de Dembéni. Comme lui, le directeur d’une école Guillaume Dupré Wekesa témoigne de la situation catastrophique de Mayotte. Il décrit au Café pédagogique des paysages de désolation : « il n’y a plus rien. Tout est rasé ». Un éclairage cru est jeté sur Mayotte, département le plus pauvre de France, depuis le passage du cyclone Chido. On y comptait près de 300 000 habitants, dont 85% vivant sous le seuil de pauvreté et 60% de jeunes de moins de 25 ans. Un tiers de la population était logée dans un habitat informel. 8% des enfants n’était pas scolarisé selon une étude de 2023, soit entre 5000 et 9000 élèves. Après le passage du cyclone, ces chiffres ne peuvent qu’annoncer une catastrophe… annoncée.