Un jeudi sur deux, Daniel Gostain, enseignant spécialisé, membre de la FNAREN, et Jacques Marpeau, docteur en sciences de l’éducation, nous proposent de décortiquer certaines notions pour en faire un sujet de réflexion, pour ouvrir le débat, afin de mettre en relief les enjeux qui découlent de leur utilisation.
Deux sens différents sont attachés à la notion d’autorité.
Un premier définit un « pouvoir sur autrui » caractérisant un rapport de dépendance ou hiérarchique pouvant basculer dans la domination et l’asservissement. Dans ce registre, l’autorité peut désigner les attributions officielles d’une personne ou d’un organisme en charge d’une fonction et légitimant l’exercice d’un pouvoir. Ce type d’autorité permet de commander et d’être obéi.
La seconde signification désigne le fait de « faire autorité ». Il s’agit alors de la reconnaissance, du haut niveau de connaissances, de capacités et de pertinence de jugement et d’action d’une personne ou d’un organisme.
Les deux types d’autorité définissent un rapport de maîtrise et d’influence.
Le premier impose à autrui la soumission dans l’obéissance par l’instauration d’un rapport de force et de dépendance.
Le second appelle à la confiance, en fonction d’un niveau de connaissance et de capacités reconnu. Il invite autrui à l’élaboration d’un même niveau d’exigence dans l’investissement de ses propres possibilités.
On retrouve cette même opposition dans les deux sens du mot pouvoir, intimement associé à la notion d’autorité. Le nom « le pouvoir » signifie une force de contrainte, alors que le verbe « pouvoir » signifie « être capable de ».
L’autorité, les autorités
Parler de l’Autorité au singulier c’est énoncer un principe. C’est aussi aborder un mode de rapport entre humains. Encore faut-il que le principe dont il est question soit défini et que ses modalités d’exercice soient clarifiées.
Parler « des autorités », c’est mettre en lumière l’existence d’une pluralité de sources d’autorité. L’autorité législative, judiciaire, administrative n’a pas les mêmes fondements qu’une autorité scientifique, institutionnelle, professionnelle, parentale, chacune ayant sa propre légitimité fondée sur le droit, l’équité, la raison, la morale, les liens affectifs, sur des connaissances, sur des pratiques ou sur des coutumes.
Il y a conflictualité, tension et parfois contradiction entre des autorités et des légitimités, au regard des cadres et des références hétérogènes auxquels renvoient les différentes autorités. Ainsi, l’autorité et la légitimité d’un enseignant, d’un parent, d’un psychologue et d’un chef d’établissement sont de natures différentes. Elles rentrent fréquemment en tension dans les situations concrètes quand il s’agit d’enjeu de sens et de valeur. L’orientation d’un élève dans une filière dont dépendent ses perspectives d’avenir, qui doivent être en phase avec ses goûts, ses désirs et ses capacités, en est une illustration.
Les différentes autorités et légitimités sont porteuses de nécessités, de contraintes, de priorités, mais aussi d’intérêts, de sens et d’intelligibilités concurrentes. Les différents aspects d’une même situation ne peuvent s’exclure, car ils se réfèrent à des niveaux de réalité hétérogènes.
La conflictualité des autorités et des nécessités est une richesse inhérente à la complexité des situations assumées et à la diversité des références et des cadres qui s’y imposent. La conflictualité n’est pas à confondre avec les conflits d’intérêts, de places et de pouvoir inhérents aux acteurs participant à un dispositif ou à une situation. C’est parce qu’il y a conflictualité, qu’il existe des possibilités d’échapper à certaines des nécessités, des priorités, des forces, des logiques habituelles, et que d’autres perspectives peuvent être entrevues et investies.
La fonction tiers de l’Autorité
La triangulation permet la sortie d’un rapport d’opposition binaire et frontale, par l’inscription des tensions entre une pluralité de pôles. L’introduction d’un tiers dans un rapport fusionnel ou d’affrontement permet de séparer, de différencier, mais aussi de relier par une médiation. Ainsi, dans les rapports maître-élève, le cadre légal et institutionnel commun de l’école fait tiers en rappelant la finalité d’enseignement, et que l’un comme l’autre sont soumis à la loi commune.
La loi, et son prolongement qu’est l’institution, sépare et prohibe la fusion comme l’affrontement, tout en réunissant dans une même appartenance. Elle signifie les différences de places et de fonction en imposant des limites à chacun.
La loi, représentée par l’institution qui a reçu mandat, affirme l’interdit de toute-puissance et rassemble dans la finalité commune de l’acquisition des connaissances. Cette autorité extérieure atteste d’une échelle de réalité qui oblige à un réexamen des allants de soi, chez chacun des corps en charge de l’équilibre du dispositif d’apprentissage : administration, enseignants, parents et élèves. Le cadre introduit ainsi la distance et la fonction critique dans le regard porté sur la réalité commune perçue à des places différentes pouvant être antagonistes.
Les dérives de l’autorité
Toute autorité peut basculer dans la toute-puissance et l’autoritarisme. L’abus d’autorité peut provenir de l’attitude d’une personne en charge de l’un des aspects de l’autorité, de l’organisation des rapports entre les personnes, d’un dispositif d’emprise, ou d’un système exerçant une contrainte physique morale, affective ou psychique sur les personnes ne pouvant se soustraire à cette autorité.
Le besoin de certitude et de maîtrise face à l’énigme que représente la singularité de chaque élève peut faire basculer un enseignant dans un désir de maîtrise didactique lui garantissant une « bonne pratique ». Or, en matière de travail avec l’humain, il n’y a que des pratiques pertinentes ou non, au regard de là où l’élève en est de son travail d’élaboration. Il n’y a pas de connaissances a priori pertinentes de ce qui peut être tenté avec chacun, mais différentes hypothèses d’intelligibilités permettant d’identifier la nature des processus possiblement à l’œuvre chez un élève, dans un contexte donné.
Est-ce qu’il faut faire autorité ou laisser l’autorité se faire ?
Tu poses la question centrale, qui est : « Qu’est-ce que faire autorité ? » S’il « faut » faire autorité, nous sommes dans le rapport de force, alors que « faire autorité », c’est absolument autre, c’est un effet de sens : c’est l’autre, l’élève, qui te reconnait une autorité, parce que, pour lui, ça fait sens. La différence entre un effet de force et un effet de sens est fondamentale.
Est-il souhaitable de se passer d’autorité ?
On ne peut pas se passer d’autorité.
Au départ, l’autorité est nécessairement imposée, par exemple, au tout petit enfant qu’il faut parfois contenir, entourer de ses bras pour qu’il n’explose pas de colère, c’est bien un rapport de force, mais l’effet contenant n’a là pour fonction que de se progressivement transférer à l’enfant, pour qu’il prenne autorité sur lui-même. C’est ce processus-là dont on ne peut absolument pas se passer.
C’est toute la question éducative d’ailleurs : le transfert d’autorité et de pouvoir de celui qui les possède, à l’enfant qui va devoir la posséder pour faire face aux réalités du monde.
Que dire de tous ces enseignant(e)s qui affirment leur autorité pour ne pas risquer d’être débordés ?
Ce phénomène défensif est vécu par tout un chacun en situation de face à face avec un groupe. La première année où je me suis retrouvé en tant que formateur devant des éducateurs, j’avais tellement la trouille que j’affirmais des choses. Il m’a fallu une année pour me rendre compte qu’ils avaient peur de moi, et surtout de l’autorité institutionnelle que je représentais.
L’année d’après, je n’ai pas du tout commencé l’année comme ça. Je leur ai dit : « Il faut qu’on se présente ». Et je me suis présenté en leur parlant de ma peur de ne pas savoir comment j’allais réussir à construire avec eux le dispositif de formation. Et j’ai dit qu’il fallait que nous réfléchissions ensemble à cette année de préparation à leur profession d’éducateur. Il nous faut reconnaitre notre vulnérabilité et notre incomplétude, communes à nous tous, autour d’un objet qui nous rassemble et qui nous dépasse.
Ce n’est pas par les passages en force que les rapports à l’autorité des élèves peuvent s’améliorer, mais en leur permettant d’apprivoiser le sens et la nécessité de l’autorité, et pour apprivoiser le sens, il faut un cadre qui soit contenant et étayant, ce qui renvoie à la façon dont l’école use de l’autorité.
Un propos de Jacques Marpeau recueilli par Daniel Gostain
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