L’austérité budgétaire ou l’attractivité du métier ? L’éducation est un droit humain fondamental, nous rappelle l’Unesco. L’attractivité en berne du métier creuse la pénurie d’enseignants. Les contextes d’austérité ne sont pas favorables à l’attractivité du métier enseignant. Les conclusions du rapport de l’Unesco publié vendredi 4 octobre 2024 dans le cadre de la journée mondiales des enseignants tomberaient-elles à pic pour inspirer les politiques publiques de la France ? A la veille des discussions et de la publication sur la PLF 2025, le rapport de l’Unesco résonne comme une alerte pour le nouveau gouvernement et la ministre de l’Éducation nationale quand souligne qu’« il est inquiétant de constater que des mesures d’austérité prévues dans certains pays pourraient avoir des répercussions importantes sur les dépenses publiques». Et si certaines dépenses n’étaient que des investissements nécessaires pour un pays ?
Le rapport : la pénurie des enseignants, un phénomène mondial
L’Unesco vient de publier le premier Rapport mondial sur les enseignants. Il est consacré aux pénuries d’enseignants. Il est frappant de constater les échos du rapport de l’Unesco avec la situation française : la France n’est pas une exception. Selon l’Unesco, 44 millions d’enseignants pourraient manquer dans les enseignements primaire et secondaire d’ici 2030.
Les chercheurs expriment des priorités suivantes : l’élaboration de stratégies flexibles et adaptables aux contextes locaux, la conception de politiques réfléchies prenant en compte les enjeux de la profession enseignante, une mise en œuvre participative des politiques, la mise en place de systèmes de suivi et enfin une vision à long terme.
La pénurie des enseignants est un phénomène mondial. Les causes en sont multifactorielles. Chaque point nécessiterait un développement et traitement particuliers, néanmoins le rapport souligne la nécessité d’une approche holistique. On retrouve dans le rapport différents enjeux identifiés dans la crise du métier qui touche la France : à savoir les questions de motivation, du recrutement, de la formation, des conditions de travail et du statut social. Une des difficultés est due à une situation de crise aggravée par la pénurie qui dégrade encore les conditions de travail des enseignants en augmentant leur charge de travail.
Des profils variés qui quittent le métier
Le rapport souligne que de « nombreux enseignants quittent la profession au cours de leur cinq premières années d’exercice ». Toutefois, « les enseignants qualifiés qui abandonnent la profession constituent aussi un vivier important. Il est essentiel de comprendre ce qui les a poussés à partir et à revenir pour leur faire retrouver le chemin des classes. Il faut rapidement mettre en place des mesures politiques et un soutien, car plus ils restent éloignés de la profession moins les enseignants sont susceptibles de la rejoindre de nouveau. »
1er message : INVESTIR
Le rapport souligne le nécessaire investissement des pays pour garantir l’attractivité du métier. L’Unesco met en garde contre les mesures d’austérité qui engendrent une baisse ou un gel des salaires, qui constituent un facteur de baisse d’attractivité du métier enseignant et une des causes de la pénurie. Pour les chercheurs de l’Unesco, « la mobilisation d’un financement intérieur suffisant est indispensable pour garantir une rémunération adéquate et attractive à tous les enseignants. (…) Les dépenses consacrées à l’éducation sont essentielles pour couvrir l’ouverture de nouveaux postes, ainsi que la recherche de candidats et le soutien apporté aux enseignants. Il est inquiétant de constater que des mesures d’austérité prévues dans certains pays pourraient avoir des répercussions importantes sur les dépenses publiques. Les enseignants constituant encore la plus grande masse salariale de fonctionnaires dans de nombreux pays, la baisse ou le gel des dépenses liées à la rémunération des agents du secteur public conduit souvent à une diminution du nombre d’enseignants ou de leur salaire (…). C’est le cas même dans les pays touchés par des pénuries et dans ceux où les enseignants sont déjà sous-payés. »
Le rapport formule la recommandation suivante au sujet des débuts de carrière : « le recrutement et la formation des enseignants étant coûteux, une stratégie pérenne consiste à accroitre la rétention des enseignants débutants. Cela nécessite des investissements également, car même s’ils ont des salaires de départ plus bas, les dépenses nécessaires pour les recruter et les former doivent être prises en compte. » L’importance de la formation continue et donc dans son investissement, est également soulignée.
2ème message : « pour lutter contre les pénuries, il faut faire de l’enseignement une profession attractive »
- Avec des méthodes coopératives qui favorisent le bien-être
Investir dans l’éducation, les salaires et les conditions de travail est un moyen de lutter contre la pénurie des enseignants. Un des facteurs pour améliorer les conditions de travail et le bien-être des enseignants est une méthode de dialogue et de concertation, conditions d’un cadre de confiance. Cette recommandation semble également un conseil qui devrait inspirer les politiques éducatives marquées par des méthodes brutales et verticales depuis 2017. Les chercheurs préconisent d’améliorer les conditions de travail et pour cela mettent en avant la méthode collaborative, et d’inclure les enseignants « dans les processus de prise de décisions et de mettre en place une culture scolaire collaborative fondée sur le soutien mutuel ». Un message de l’Unesco pour la rue de Grenelle. Les chercheurs analysent que « lorsque les enseignants sont isolés de leurs collègues ou n’ont pas l’impression d’appartenir à une communauté, leur bien-être s’en ressent (…). Des systèmes qui encouragent la concurrence entre enseignants pour l’accès à des promotions ou à des postes enviables risquent de nuire à la collaboration et à la collégialité (…). À l’inverse, la rétention des enseignants est liée à la solidité des relations entre collègues et à un cadre scolaire favorable. »
- Avec une meilleure rémunération et de meilleures conditions de travail
Le lien entre effectifs de classe, conditions de travail des enseignants et d’apprentissage des élèves est identifié : « Les classes surchargées ont un effet négatif sur la qualité de l’enseignement et les conditions de travail ». Le rapport de l’Unesco précise que « les classes surchargées peuvent être un symptôme des pénuries d’enseignants, car dans les cas les plus graves elles sont associées à l’augmentation du ratio élèves- enseignant. À ce titre, il existe de grandes différences entre les pays et entre les régions ». Le lien entre zones économiques défavorisés et pénurie d’enseignants est également fait, ce que l’on peut constater en France par exemple avec la situation de la Seine-Saint-Denis.
La question des salaires est également présente, ils sont jugés insuffisants : « L’un des principaux objectifs d’étude et d’analyse des salaires des enseignants est d’évaluer la compétitivité de la profession, autrement dit sa capacité à attirer et retenir des enseignants dans la durée, et les inégalités salariales auxquelles les enseignants peuvent être confrontés. » Or, « Les salaires des enseignants, quel que soit le niveau d’enseignement, varient grandement par rapport à ceux pratiqués dans d’autres professions ».
« Les départs des enseignants qui quittent la profession ou passent d’une école à l’autre et entrainent d’importantes pénuries, dépendent en grande partie des conditions matérielles et symboliques du métier d’enseigner. Très diverses, ces conditions vont du statut accordé au métier, à l’autonomie dont les enseignants disposent, en passant par leur rémunération, la confiance et l’appréciation dont ils bénéficient et leur sentiment d’épanouissement professionnel. » Le bien-être des enseignants est identifié comme une source de départ de la profession ou de manque d’attractivité.
- Investir dans les salaires pour lutter contre la pénurie
Enfin pour le rapport, « les dépenses nationales jouent un rôle crucial dans le financement de l’éducation, particulièrement en ce qui concerne les salaires des enseignants. L’investissement dans les enseignants débutants peut être une stratégie rentable à long terme pour lutter contre l’attrition des enseignants. »
Un message aux (autres) médias
Le rapport évoque le traitement médiatique et leur rôle dans la perception du métier enseignant, voire dans les clichés sur le métier : « La représentation des enseignants dans les médias peut avoir d’importantes répercussions sur les perceptions du public et donc sur leur statut social. Dans certains pays, la pandémie de COVID-19 a entrainé une amélioration temporaire du statut des enseignants, dont les efforts et la capacité à s’adapter ont été publiquement reconnus ».
Force est de constater que les problématiques françaises sont mondiales. Comme le rappelle le rapport de l’Unesco, « les conditions de travail des enseignants sont les conditions d’apprentissage des élèves » et une « éducation de faible qualité désavantage les élèves tout au long de leur vie, ce qui entraine la reproduction et la perpétuation des inégalités en matière d’éducation. » Dès lors, la question de l’attractivité du métier, de la formation des enseignants comme de leurs conditions de travail sont essentielles pour garantir la meilleure école possible, l’égalité des enfants et leur émancipation.
Djéhanne Gani
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