Peut-on de l’intérieur même des programmes scolaires agir pour l’égalité filles/garçons ? Le site de l’académie de Versailles propose en ligne trois séquences inspirantes qui croisent intitulés des programmes de français et construction d’une culture égalitaire. En ce début d’année, c’est l’occasion de rappeler qu’une des missions fondamentales de l’Ecole est de « garantir l’égalité des chances des filles et des garçons » et que cet « enjeu démocratique et éducatif majeur » figure dans les programmes d’enseignement de toutes les matières, quelles qu’elles soient. Les professeur·es de lettres sont nombreux·ses à y travailler, et à prendre leur part dans « la construction de représentations émancipatrices chez les élèves ». Ces propositions en sont une illustration.
Héroïsme d’hier et aujourd’hui
Menée par Elodie Gaden, cette 1ère séquence s’inscrit dans le cadre du programme de 5ème. L’entrée « Agir sur le monde », suggérant de consacrer un groupement de textes au questionnement : « Héros / héroïnes et héroïsmes », l’enseignante propose de s’emparer de cette double flexion, et d’y voir une « invitation à problématiser la séquence en fonction du genre du personnage et à faire découvrir de façon inclusive une diversité de figures, sans omettre ni minorer le rôle des femmes ».
A partir d’« extraits d’œuvres de genres littéraires variés, de l’Antiquité à nos jours », d’Achille à Wonderwoman, du héros éponyme de Michel Strogoff à Nadia, figure de l’ombre du même roman, de Marie Marvingt, l’aviatrice pionnière « Fiancée du danger », à Parvana, héroïne du roman de Deborah Ellis Parvana, une enfance en Afghanistan, Elodie Gaden propose aux élèves d’interroger « la place – entre présence et absence » des personnages féminins fictifs, ou non fictifs, « dans la construction de la notion d’héroïsme ». Elle invite à analyser les représentations traditionnelles stéréotypées de l’héroïsme littéraire, pour « (re)penser» cette place, faire entendre la voix souvent silenciée des femmes, et donner à voir d’autres formes d’agentivité et d’héroïsme.
Un enseignement de la langue au prisme de l’égalité Filles/Garçons
Dans cette séquence, menée en classe de 2nde, Maud Carlier-Sirat, propose de développer, comme y invite le programme, la « conscience linguistique » des élèves, en les faisant réfléchir au « fonctionnement de la langue », et plus particulièrement à sa « dimension genrée ». Trois objectifs sous-tendent sa démarche : aider les élèves à comprendre que « les faits de langue ne sont pas immuables », à prendre conscience qu’il y a eu « invisibilisation progressive et systématique des femmes dans la langue française », et à questionner « leur propre rapport au langage et explorer la possibilité d’une langue plus égalitaire », outil certes insuffisant, mais nécessaire, pour lutter contre l’invisibilisation des femmes et donc pour l’égalité entre tous et toutes.
La séquence commence par un « éclairage théorique et historique » qui rappelle le tournant qu’a constitué, à partir du XVIIème siècle, la mise en place par les grammairiens et les membres de l’Académie Française, pour des raisons purement idéologiques, d’un certain nombre de règles imposant notamment l’accord au masculin au nom de la « supériorité du mâle sur la femelle ». Occasion d’expliquer que vont disparaitre peu à peu, aussi, de nombreux noms de métiers, en particulier prestigieux, désormais interdits ou peu accessibles aux femmes, comme « autrice », « professeuse », « médecine »… et jusque là usités. Se met en place ainsi progressivement « un double mouvement, à la fois, d’exclusion des femmes de certains domaines intellectuels par des lois et des règlements, mais aussi d’effacement de leur présence dans la langue ».
C’est ce biais masculin préjudiciable aux femmes que la langue égalitaire, dite aussi inclusive, cherche à combattre. Ce combat légitime, qui ne date pas d’hier, s’est aujourd’hui crispé, à tort, sur l’utilisation du point médian, pourtant simple abréviation, comme il en existe tant d’autres. Qu’à cela ne tienne, d’autres outils sont proposés par le Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes dans son guide « Pour une communication publique sans stéréotypes de sexe », outils que l’Ecole est encouragée à utiliser, et qui sont rappelés par Maud Carlier-Sirat.
Faire entrer en classe ces débats sur la langue égalitaire, en clarifier les enjeux, en commenter les outrances réductives dans le cours de Lettres permettra « d’articuler les compétences de maîtrise de la langue (et en particulier le développement de la conscience linguistique) et le développement de l’esprit critique. ».
Maud Carlier-Sirat propose ensuite un certain nombre d’activités pédagogiques, en lien avec deux axes du programme de lycée de 2nde et de 1ère : « les accords dans le groupe nominal et entre le sujet et le verbe », et « le lexique ». On pourra en suivre le déroulement pas à pas, ou s’en inspirer pour certaines étapes aisément transférables en collège ou en HLP : questionnaires permettant d’analyser « l’influence de différentes formes grammaticales sur les représentations mentales », travaux de groupe sur l’évolution des règles d’accord ou sur l’évolution du lexique, mise en scène de débats…
Poésie : nom féministe
La dernière séquence, proposée par Alexandre Salcède, est destinée à des élèves de 2nde. L’enseignant rappelle que « la présence d’autrices dans les corpus de lecture proposés en classe est un des enjeux majeurs du cours de lettres en matière d’égalité Filles-Garçons ». C’est d’autant plus flagrant en poésie, la femme semblant reléguée au statut de muse, certes inspirante, mais « prise dans le regard désirant du poète ». Or le genre poétique n’est pas qu’une « affaire d’hommes », et a été, à rebours de ce que l’on pourrait croire, « tout au long de l’histoire littéraire, le lieu de l’affirmation d’une parole créatrice féminine porteuse d’une revendication égalitaire ».
Faisant se côtoyer autrices méconnues, comme la prêtresse Enheduanna, et figures plus célèbres comme Louise Labé, Marceline Desbordes-Valmore ou Hélène Dorion, autrice au programme de 1ère … la séquence permet aux élèves de « prendre conscience des mécanismes d’invisibilisation des autrices » et d’ « étudier des textes qui, par la réécriture de topoï poétiques, thématisent et transgressent les interdits qui pèsent sur la parole des femmes ».
Claire Berest
Sur le site La Page des Lettres de l’académie de Versailles.
Dans Le Café pédagogique : « Eléonore Baude : enseigner un français égalitaire, enfin »
Questionner le genre dans la langue : un podcast d’Aurèle Fontaine avec Eléonore Baude