Une rentrée scolaire avec une ministre démissionnaire, vraiment une première ? L’historien Claude Lelièvre revient pour le Café pédagogique sur cette situation de gouvernement démissionnaire. Dans cet article, il nous rappelle la rentrée 1957 mais aussi l’instabilité gouvernementale sous la IVème République. L’instabilité est un sort que connaît bien le Ministère de l’Education nationale…
Le Premier ministre Gabriel Attal et le gouvernement ayant démissionné le 17 juillet dernier tout en continuant en principe à ‘’gérer les affaires courantes’’, on a assisté à une rentrée scolaire sans gouvernement et sans ministre de l’Éducation nationale de plein exercice, la titulaire nominale du poste Nicole Belloubet se prêtant cependant à l’exercice traditionnel de la conférence de presse de rentrée, « lunaire » ont dit certains non sans raisons.
Une situation sans précédent sous la Cinquième République, comme il a été souligné à juste raison, mais qui a déjà eu lieu juste avant. Il n’y a en effet plus eu de gouvernement en France du 30 septembre au 6 novembre 1957, la date de la rentrée scolaire ayant alors lieu le 1er octobre.
Une longue période de 37 jours a été nécessaire entre la chute du gouvernement présidé par Maurice Bourgès-Maunourry le 30 septembre 1957 et la difficile constitution d’un nouveau gouvernement présidé finalement par Félix Gaillard à partir du 6 novembre 1957 après plusieurs tentatives différentes n’aboutissant pas.
On peut aussi noter une différence majeure avec la séquence vécue par la ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse Nicole Belloubet, car la séquence de 37 jours qui a eu lieu en 1957 s’est inscrite dans la longue durée d’un ministère de « l’Éducation de la Jeunesse et des Sports » dirigé par René Billères du 1er février 1956 au 14 mai 1958.
A l’évidence, le ministre en continu de l’Éducation nationale de la Jeunesse et des Sports René Billères ne s’est pas retrouvé dans la situation de la ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse Nicole Belloubet nommée il y a tout juste un peu plus de six mois, car il a disposé avant la période de latence gouvernementale de plus d’un an et demi de pouvoir effectif, suivi ensuite d’une demi-année d’exercice effectif du même pouvoir ministériel.
Une belle continuité de plus de deux ans et trois mois avec le même intitulé : « ministre de l’Éducation nationale de la Jeunesse et des Sports », en dépit de la succession de différents gouvernements (Guy Mollet 1et 2, puis Maurice Bourgès-Maunoury et enfin Félix Gaillard).
On notera que la fréquente instabilité gouvernementale sous la Quatrième République n’entraînait pas ipso facto celle de tel ou tel ministre. Et on peut aussi remarquer que la stabilité ministérielle prêtée en principe au régime de la Cinquième république n’est pas toujours vérifiée dans les faits, tant s’en faut.
Depuis le début du second quinquennat d’Emmanuel Macron, on a eu droit à un défilé en accéléré de ministres de l’Éducation nationale : 20 mai 2022, Pap Ndiaye ; 20 juillet 2023 : Gabriel Attal ; 11 janvier 2024, Amélie Oudéa-Castera ; 8 février 2024, Nicole Belloubet.
Et on a eu aussi, dès les débuts de la Cinquième République, un défilé non moins précipité de ministres de l’Éducation nationale. Jean Berthoin, nommé le 1er juin 1958 et remplacé le 8 janvier 1959. André Boulloche nommé le 8 janvier 1959 et démissionnaire le 23 décembre 1959 (car il n’admet pas le dispositif final de ce qui sera la « loi Debré », le Premier ministre Michel Debré cumulant pendant 20 jours avec la charge de l’Éducation nationale). Louis Joxe, nommé le 15 janvier 1960 et remplacé le 22 novembre 1960 (par un intérim de Pierre Guillaume, ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de l’énergie atomique, de la recherche et de la fonction publique). Lucien Paye nommé le 20 février 1961 et remplacé le 15 avril 1962. Pierre Sudreau nommé le 15 avril 1962 et démissionnaire le 15 octobre 1962 (car il n’est pas d’accord avec des élections du Président de la République au suffrage universel). Et cela en dépit de l’établissement de la Cinquième république et l’autorité du général de Gaulle. A suivre…
Claude Lelièvre