Résumer des notions, organiser un cours et concevoir des quiz sont des possibles de l’intelligence artificielle déjà exploités par les enseignants. Mélanie Fenaert, professeure de SVT et SNT au lycée Blaise Pascal à Orsay, propose d’autres idées pour faire travailler l’esprit critique des élèves. La nécessaire vérification des sources et la maîtrise de la structure du prompt sont décryptées par l’enseignante qui voit aussi dans l’IA une aide pour la créativité des élèves. « L’éducation à l’IA est aussi une question d’égalité, pour ne pas encore creuser l’écart entre ceux qui maîtrisent les codes et les autres ».
Globalement, quels sont les apports de l’intelligence artificielle pour l’enseignement des SVT ?
L’IA est déjà présente depuis longtemps dans notre quotidien et dans nos pratiques professionnelles, ne serait-ce que via les applications comme PlantNet. Cet outil de détermination de la flore repose à la fois sur la collaboration des utilisateurs qui déposent des images et valident des résultats, et sur des algorithmes de reconnaissance d’images et de recherche de similarité dopés au deep learning (apprentissage profond).
Depuis un an et demi, le nouvel essor de l’IA a fait apparaître de nombreux outils d’IA générative (de texte, d’image, de musique…). Les apports pour l’enseignement des SVT sont essentiellement les mêmes que pour toutes les disciplines : l’IA comme assistant de l’enseignant ou comme outil des élèves pour les séances en classe.
L’enseignant peut interroger les IA génératives de textes (comme Copilot, ChatGPT, Gemini… qui reposent sur des modèles de langage) pour concevoir un plan de cours, une liste d’objectifs et de compétences, un glossaire, un quiz… Elles sont aussi très efficaces pour résumer un contenu long (PDF, site internet…), organiser un contenu sous forme de tableau ou de carte mentale, générer plusieurs versions d’un même texte pour l’adapter à différents niveaux ou profils d’élèves (allophones, dyslexiques, etc.). Et ceci n’est certainement qu’une petite partie des possibles. Des sites dédiés à l’éducation et boostés à l’IA ont vu le jour, comme Eduaide, QuizWizard ou encore Nolej…
Les élèves peuvent tirer les mêmes avantages, de manière autonome, de telles utilisations de l’IA, notamment pour leurs révisions.
Plus spécifiquement en SVT, faire comprendre et exploiter l’IA en classe présente plusieurs intérêts. La notion d’intelligence même, les neurones artificiels, l’apprentissage profond ou automatique sont autant de notions qui reposent en partie sur des bases biologiques : l’analogie entre fonctionnement du cerveau et celui de l’IA est en soi intéressante à exploiter et à critiquer. L’IA est aussi parfaite pour travailler l’esprit critique et la vérification des sources. Faire générer des textes ou des images en rapport avec les notions vues (par exemple, décrire une cellule sans utiliser ce mot, et faire générer l’image) permet de travailler la description, la clarté du propos, de vérifier si ce qui est généré est correct, de corriger son prompt initial…
On peut aussi créer des chatbots qui interagissent directement avec les élèves, sur un thème prédéfini. Ce chatbot peut être entièrement programmé, ou reposant sur un modèle de langage, ou un hybride des deux. Cela peut être un bon outil de révision ou de découverte, et d’entraînement à l’argumentation.
Parmi les outils que vous avez testés, quels sont ceux que vous estimez les plus efficaces pour les cours de SVT ?
Je n’ai pas encore trouvé d’outil qui serait spécifiquement adapté pour les SVT. En fait, c’est la qualité du prompt qui fait la qualité de ce qui est généré.
J’utilise QuizWizard pour créer des quiz et flashcards pour Wooflash ou transférables dans d’autres outils (Pronote…). Il suffit de fournir un diaporama, un PDF, un lien vers une vidéo ou encore quelques mots, et l’IA génère le format de questions demandé.
Nolej AI est aussi un outil puissant, accessible en essai limité, mais financé par certaines régions (actuellement Grand Est et Île-de-France). Il consiste à fournir une vidéo, un PDF ou directement un texte à l’IA, qui en génère une transcription amendable par l’enseignant. Puis de manière automatique et très rapide (quelques minutes), l’outil crée une série d’exercices H5P à partir de ce contenu : vidéo interactive, glossaire, résumé, quiz, mots croisés, questions ouvertes, etc. Ces exercices sont ensuite à héberger (Eléa, Moodle, Logiquiz, page web…), éventuellement modifier et surtout scénariser.
Les chatbots sont potentiellement des outils puissants, et de plus en plus faciles à créer. Stéphane Agniel, de l’académie de Montpellier, a créé un chatbot « climatosceptique » pour entraîner ses élèves à l’argumentation, et un autre par et pour ses élèves de 5e qui fournit des informations sur un évènement sismique : des exemples inspirants ! Il a utilisé entre autres BotPress, qui permet de programmer un chatbot tout en lui fournissant une base de connaissances, ce qui permet à la conversation de ne pas déborder sur d’autres sujets. Avec des collègues du GEP SVT de Versailles et du collectif S’CAPE, je suis en train de tester d’autres outils, comme Mizou ou encore OpenGPTs, pour créer des chatbots façon histoire interactive, quiz ou enquête. Le chatbot peut prendre de manière très convaincante le rôle qu’on lui assigne : suspect, guide de montagne, chercheur… De quoi scénariser autrement une séance.
Plusieurs groupes académiques travaillent actuellement sur l’utilisation de l’IA en cours de SVT dans le cadre des TraAM (Travaux Académiques Mutualisés), autour de la thématique « Éthique et formations à l’esprit critique dans les usages des IA en SVT ». J’ai déjà pu avoir un aperçu de leurs scénarios pédagogiques lors du séminaire des IAN (Interlocuteurs académiques pour le numérique), leurs prochaines publications seront une grande source d’inspiration !
Qu’est-ce qu’un bon prompt ?
Le prompt, l’invite en français, est le texte que l’on fournit en entrée à une IA générative. Sa qualité repose sur sa précision et son exhaustivité. Cela permet de limiter les hallucinations, ou fausses informations de l’IA. De nombreux modèles de prompt existent, le GTnum IA mené par la DNE a proposé une matrice dédiée à l’enseignement, simple et facile à mettre en œuvre, voire à transposer pour les élèves. La structure du prompt peut varier selon le besoin, voici quelques invariants :
- Donner un rôle au chatbot
- Décrire la tâche qu’il doit accomplir
- Préciser les contraintes
- Formater la sortie
Exemple de prompt :
Tu es professeur de SVT en lycée. Tu souhaites créer pour tes élèves de Seconde un glossaire en génétique. Propose 15 mots scientifiques en génétique adaptés à leur niveau, et leur définition. Réponds sous forme de tableau à double entrée avec le mot scientifique dans la première colonne et la définition dans la 2e colonne.
Le résultat ne sera sûrement pas parfait au premier jet, donc ne pas hésiter à affiner la demande ou à corriger par la suite à la main.
On peut demander de nombreux formats de sortie, par exemple pour réaliser des diagrammes, cartes mentales, mots croisés… Il suffit de spécifier en fin de prompt que l’on souhaite le code pour construire le contenu demandé dans un autre outil en ligne, comme Mermaid (diagrammes, cartes mentales), un outil de création de mots croisés comme puzzle-maker, ou même H5P.
Du coup, finis les exposés et les travaux à faire la maison en SVT ?
Oui et non ! Cela fait tout de même longtemps qu’internet existe et il était déjà facile pour un élève d’y trouver des réponses, de l’aide, voire des corrections toutes faites. Les chatbots sont un nouvel outil de « triche » possible si on se contente de copier-coller la première réponse, mais utilisés intelligemment ils peuvent se révéler une véritable aide pour les apprentissages et la créativité des élèves.
Encore faut-il savoir parler aux IA, et avoir un regard critique et réflexif sur ce qui est généré. C’est tout l’enjeu de l’éducation à l’IA, qui doit être menée en partie par les enseignants en classe. C’est aussi une question d’égalité, pour ne pas encore creuser l’écart entre ceux qui maîtrisent les codes et les autres.
On peut toujours, et il est souhaitable même d’interdire l’usage de l’IA pour certains travaux, mais cela signifie que l’essentiel de la réflexion doit se dérouler en classe, smartphones et ordinateurs éteints. Personnellement, mes pratiques reposent entre autres sur la classe inversée : les élèves découvrent ou révisent des notions à la maison, sous format court (vidéo, article…) associé à un quiz généralement, l’IA est inutile pour ce type de travail hors la classe. Cela libère du temps pour approfondir des notions et pour travailler les méthodes comme l’argumentation en classe, avec ou sans l’aide de l’IA.
Quels sont les principaux points de vigilance à prendre en compte quand on intègre l’IA en cours ?
Le respect du RGPD est un élément essentiel. Les élèves ne doivent pas être amenés à créer un compte, à donner des informations personnelles, à accepter des cookies, etc. Il faut informer le chef d’établissement et, le cas échéant, recueillir le consentement éclairé des parents et des élèves. Se lancer dans une expérimentation nécessite de prendre ses précautions.
Sensibiliser à l’impact écologique et à un usage raisonné de l’IA me semble aussi important, d’autant plus pour notre discipline.
Propos recueillis par Julien Cabioch
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