Le Printemps des Poètes fêtait cette année ses 25 ans, sous le thème de la Grâce…. Après les remous, une saison qui a été marquée par des milliers d’évènements, d’actions, de rencontres, d’ateliers, de spectacles… L’occasion, alors que nous glissons vers l’été, de revenir sur deux ouvrages tout de poésie qui ont en commun de dire le monde, le décrire dans toute sa grâce pour le premier, le nommer avec grâce dans le deuxième.
Si tu regardes longtemps la terre, de Jean-Pierre Siméon, ill. Laurent Corvaisier, Ed. Rue du Monde
De courts poèmes, parfois juste une phrase, car « Les mots sont des yeux pour lire le livre du monde ». Siméon a cette grâce, cette élégance simple qui fait sens pour tous. Comme une succession de petites maximes qui donnent à voir ses propres émotions à travers le spectacle du monde, ses poésies nous ouvrent les yeux sur notre imaginaire et nos relations à la beauté et aux autres. Les gouaches colorées de Laurent Corvaisier créent autant de fenêtres sur la nature et parfois la ville pour accompagner ces mots. Ainsi, sur la double page où on lit :« Par mauvais temps, fais comme l’arc-en-ciel, invente tes couleurs », un paysage en 5 cases distinctes qui permettent à l’œil de se concentrer sur des détails tout en appréciant l’ensemble, avec un camaïeu de bleus et de verts dans lequel se détachent des aplats roses, oranges et jaunes, dessinant des collines, des murs peut-être, les berges d’un lac, la blancheur de montagnes comme éclairée par un soleil couchant. « Toute beauté est un lieu qui réchauffe » trouve-t-on plus loin. Un album donc qui réchauffe et émerveille. Un livre aussi pour s’apaiser : « On ne peut pas avoir d‘ami si on est en guerre avec soi-même. Sois d’abord ton ami ». Pour finir, et sans en dire trop : « Si tu regardes longtemps la terre, arbres, vent, soleil et rivières couleront dans tes veines. » Et si tu regardes longtemps ce livre, c’est la poésie et les couleurs qui couleront longtemps dans tes veines !
L’imagier, d’Emilie Chazerand, ill.Anna Wanda Gogusey, Ed. La ville qui brûle
Un imagier pour montrer le monde « mais à notre manière » comme dit l’illustratrice ! Un imagier qui détourne les codes du genre pour dire le monde et le comprendre, pas seulement nommer des êtres ou des objets. Un monde dans lequel on peut être en colère, où l’on manifeste pour défendre ses droits, où une femme peut avoir du poil aux pattes, où les parents prennent l’apéro, où les familles sont diverses… Un imagier qui fait passer avec humour et tendresse des messages importants pour l’enfant qui construit sa représentation du monde. Car il ne se contente pas de nommer, tel un dictionnaire chaque mot a sa définition. « Baiser : câlin de la bouche sur la joue, le front, le nez de quelqu’un si ce quelqu’un le veut bien ». Autant informer les tout-petits du droit au consentement ! Pour information, le smartphone est un « outil qui remplace le cerveau des adultes », et la crèche un « endroit où on apprend l’autre ». La mise en regard de deux mots est particulièrement savoureuse. « Soleil : sourire chaud du ciel. Pluie : larmes des nuages », dormir et rêver, grandir et vieillir… On vous laisse découvrir ! Une grande poésie se dégage de ces choix, de ce regard sur le monde et de ce que l’auteur choisit d’expliquer aux enfants. Rien d’édulcoré, la rumeur du monde arrive entre les mains des tout-petits avec humour et finesse. Une version moderne et dépoussiérée de l’imagier, avec un rapport texte-image savoureux… Un imagier qui vient de recevoir le prix Sorcière 2024 dans la catégorie Sorcières non-fiction.
Marianne Baby