Le numérique peut-il aider à franchir les murs de l’École ? L’École peut-elle aider à s’affranchir des enfermements numériques ? Double défi joliment relevé par Hervé Baronnet, professeur des écoles dans l’académie de Bordeaux, membre de la Fabrique des Communs Pédagogiques. Avec le logiciel libre de cartographie numérique uMap, les élèves sont invités à des « balades pédagogiques » : à explorer et à s’approprier un territoire en produisant des cartes collaboratives et créatives. Présentée à la Journée Du Libre Educatif le 29 mars 2024 à Créteil, la démarche, inspirante, « enseigne des savoirs de manière interactive, concrète et mémorable. » Elle forge le désir et la capacité d’élargir, de découvrir, de conquérir son espace de vie. « En sortant de l’école / Nous avons rencontré / Un grand chemin de fer / Qui nous a emmenés / Tout autour de la terre / Dans un wagon doré » (Jacques Prévert) ….
Beaucoup connaissent Google Map, peu connaissent uMap : pouvez-vous nous expliquer ce dont il s’agit ?
uMap est un logiciel libre et gratuit qui permet de créer des cartes personnalisées sur des fonds OpenStreetMap en un instant et les afficher sur un site. OpenStreeMap est un projet collaboratif de cartographie en ligne qui vise à constituer une base de données géographiques libre du monde. Il est comparable à GoogleMaps. uMap est comparable à Google My Maps : ils servent à dessiner des cartes en utilisant les données des précédents.
Cette plateforme de cartographie numérique vous aide à créer des balades pédagogiques : de quoi s’agit-il ?
Je créé en effet des balades pédagogiques, c’est-à-dire des activités éducatives qui se déroulent en dehors de l’école. Elles ont pour but d’enseigner aux élèves des savoirs de manière interactive, concrète et mémorable.
Les balades pédagogiques sont initiées par l’association « la Fabrique des Communs Pédagogiques » et créées dans le cadre des premières Rencontres Internationales de la Classe Dehors. Elles permettent d’apprendre dehors même sans espace vert à disposition, notamment en milieu urbain. Elles peuvent aborder tous les domaines et niveaux scolaires. Elles n’impliquent pas de connaissance particulière pour être abordées. Elles peuvent être créées par les élèves et mises à disposition pour d’autres classes en tant que commun pédagogique.
Pouvez-vous donner des exemples de ces balades pédagogiques qu’on peut explorer sur la plateforme « balades-pédagogiques.org » ?
Dans le cadre des Journées Internationales de la Classe Dehors à Poitiers, différentes balades ont été créées pour des élèves de différents niveaux. Par exemple, une balade inclusion invite à endosser un point de vue autre que le sien pour ouvrir grand les yeux sur l’espace : « De la même manière que chausser les lunettes du féminisme permet de voir le monde autrement, il s’agit ici de chausser les lunettes de l’accessibilité au sens large pour s’interroger sur l’espace environnant et son caractère hospitalier ». Une balade mathématique pour les enfants à partir de 5 ans veut développer des compétences mathématiques en répondant à des questions tout au long de la promenade : compter des marches ou des rectangles sur une fenêtre, mesurer des distances, repérer le trajet le plus court, calculer la durée de la balade si on marche à 4km/heure, la chronométrer pour vérifier… Une balade botanique invite à partir à la recherche d’arbres, à deviner leurs noms, à découvrir leurs liens avec la culture ou certaines propriétés méconnues. Une balade poétique propose une exploration pédestre de la ville avec diverses étapes qui sont aussi des moments d’écriture : l’ atelier débouche sur une lecture publique des textes produits. Etc.
On y trouve en particulier une balade qui porte un défi original : « On change le nom des rues ». De quoi s’agit-il ?
C’est une balade interactive dans le centre-ville de Poitiers. Il s’agit de se promener sans parcours prévu et de découvrir les rues, leurs plus belles maisons, de lever les yeux, d’observer… et de comprendre grâce à la carte interactive pourquoi les rues portent les noms qu’elles portent. Consignes : « L’activité proposée est simple : une fois ces observations faites, il faudra trouver un nouveau nom à la rue (ou garder celui qui va bien). Pour ce faire, il va falloir se concerter, inventer une histoire, chercher dans sa mémoire les personnalités célèbres ou les bienfaiteurs qu’on connait. Attention, il ne s’agit pas de rebaptiser la rue du nom d’une copine ou d’un copain. Non ! Il faut trouver quelqu’un de connu pour de bonnes raisons (quelqu’un qui aide la communauté, l’école, la ville…). Une fois tout le monde d’accord, la ou le cartographe écrira sur la carte le nouveau nom de rue, une rapporteuse ou un rapporteur écrira une phrase pour expliquer le nouveau nom choisi. Alors ! Qu’attendez-vous ? Il faut rebaptiser le maximum de rues. La ville est à vous. Aujourd’hui, vous refaites l’histoire du nom des rues de Poitiers. »
Quelles modalités de travail mettez-vous en place pour que les élèves travaillent au mieux avec la plateforme ?
J’utilise des tablettes pour la lisibilité avec une connexion à internet pour pouvoir se repérer sur la carte numérique uMap. D’un point de vue pédagogique, le travail se fait en groupe hétérogène et favorise la coopération.
Quels vous semblent les intérêts et les plaisirs de ce travail de cartographie ?
Apprendre dans et par le dehors, utiliser les connaissances de chacun, aborder des situations réelles, coopérer, inclusion, se réapproprier son environnement.
Vous participez à la Journée du Libre Educatif 2024 : en quoi vous semble-t-il important de favoriser la culture du Libre et des Communs dans l’Éducation nationale ?
Pour leur intérêt pour la protection des données personnelles, leur ouverture, leur contribution communautaire, les logiciels libres devraient systématiquement être utilisés sauf si un logiciel propriétaire n’a pas d’équivalent. C’est une démarche éthique, les productions des enseignants devraient être automatiquement sous licence libre afin de favoriser la création de communs pédagogiques y compris par les élèves. Cela développe leur esprit critique, leur capacité à coopérer. L’Éducation nationale pourrait soutenir cette démarche.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
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