Si les groupes de niveau sont discutables sur le fond, on croyait que le ministère respecterait sa parole et y mettrait au moins la forme. Les projet d’arrêtés réformant les horaires du collège et créant les prépa-seconde montrent qu’en plus d’organiser le séparatisme social, le ministère utilise sa réforme pour prélever des moyens. Ce n’est pas seulement le tri entre les bons élèves et les enfants de gueux qui s’organise. C’est toujours moins de droits, d’enseignements et d’aides pour ceux qui n’ont comme richesse que l’Ecole publique. Pour les élèves faibles, qui sont souvent les enfants des familles populaires, c’est le choc contre les savoirs.
Pas de limite aux groupes faibles
« On créera les postes qu’il faut pour qu’il y ait qu’une quinzaine d’élèves en groupe 1« , avait promis G. Attal, ministre de l’Education nationale, le 5 décembre 2023. » Nous ajouterons des moyens humains et financiers pour mener à bien ce chantier« . Selon les taux avancés par le ministère, il faudrait environ 7 700 postes pour assurer la mise en place à la rentrée 2024.
Or les textes présentés au Conseil supérieur de l’Education le 8 février montrent que le ministère gratte partout des moyens aux dépens des élèves les plus fragiles. Dans le meilleur des cas, la création des groupes de niveau et des prépa seconde se fera à moyens constants. Mais les textes montrent que le ministère veut récupérer des moyens au passage.
Alors que le seuil de 15 élèves a été avancé par la communication gouvernementale pour les groupes d’élèves faibles, le projet d’arrêt » « relatif à l’organisation des enseignements dans les classes de collège » n’apporte aucune limite précise à la taille de ces groupes. » Les groupes des élèves les plus en difficulté bénéficient d’effectifs réduits« , dit le texte sans autre précision.
Trois heures en moins à l’horaire du collège
Pour permettre la création de ces groupes de niveau, le nombre d’heures d’enseignement en sixième passe de 26 à 25 heures. Le ministère récupère ainsi environ 1500 postes ETP qu’il dit affecter à la création des groupes de niveau. Il annonce aussi leur affecter 830 ETP en usant de marges salariales qui seront budgetées. On ne sait d’ailleurs où il trouvera ces enseignants.
Alors la chasse aux postes est ouverte partout où cela est possible. Les nouvelles grilles horaires hebdomadaires suppriment aussi les 4 heures d’enseignement complémentaire prévues par l’arrêté de 2015. A la place il y a deux heures de soutien hebdomadaire.
Mais ces heures » consacrées à la maîtrise des savoirs fondamentaux, pour les élèves dont les besoins ont été identifiés » ont lieu « dans la limite de deux heures hebdomadaires« . Elles seront décidées par le chef d’établissement, ou pas, sans que l’on sache qui précisément les fera et avec quel financement. Le ministère envisage t-il d’utiliser en soutien des enseignants du 1er degré pactés, comme il l’a fait en 6ème, mais cette fois-ci pour tous les niveaux du collège ? On sait que cela n’a pas été possible partout. On note par exemple des inégalités entre agglomération et zone rurale.
Moins de latin et d’EPI
Ce n’est pas tout. Le ministère va avoir besoin de professeurs de maths et français. L’horaire de langues anciennes est raboté d’une heure. » Les langues et cultures de l’Antiquité au cycle 4, à raison d’au moins une heure hebdomadaire en classe de cinquième et d’au moins deux heures hebdomadaires pour les classes de quatrième et de troisième« . C’est actuellement trois heures en 4ème et 3ème.
Même grattage pour les EPI. Ils cessent de faire obligatoirement partie de la scolarité de tous les élèves, ce qui va revenir rapidement à leur suppression. Là où ils seront faits , ils » contribuent, avec les autres enseignements, à la mise en œuvre du parcours citoyen, du parcours d’éducation artistique et culturelle, du parcours éducatif de santé ainsi que du parcours Avenir« . Là aussi on peut se demander, avec une telle formulation, qui va les faire…
Mensonge sur l’EMC
En EMC ce n’est pas que du grattage d’heures. C’est aussi le mensonge. Le premier ministre et le président de la République ont annoncé le doublement des heures d’EMC au collège. Mais ce n’est pas ce que dit l’arrêté fixant les horaires du collège. Il garde les horaires actuels d’histoire-géographie et EMC en précisant » dont 30 minutes d’enseignement moral et civique« . Cette demi-heure mise à part pourra dans certains établissements être gérée à part et ne pas aller au professeur d’histoire-géographie de la classe. La demi-heure ajoutée et promise par le gouvernement ne fait pas partie des enseignements hebdomadaires des classes de collège. La grille précise que » s’y ajoutent l’engagement et la participation des élèves aux projets d’éducation à la citoyenneté, aux médias et à l’information, encadrés par les professeurs dans la limite de 18 heures annuelles« . Il ne s’agit donc pas d’EMC mais d’un enseignement à la citoyenneté ou à l’EMI qui n’est pas forcément fait, mais seulement « encadré », par un enseignement. Le texte ne précise pas que ce projet est fait par un professeur. Il peut être confié à une association, à un enseignant pacté ou au professeur documentaliste. C’est d’un flou extrême. La promesse de doublement de l’horaire d’EMC est simplement un mensonge.
Prépa lycée : une classe ultra light
Continuons avec les classes prépa-lycées, devenues « prépa seconde ». Ces classes accueillent les élèves admis en 2de professionnelle ou générale mais recalés au brevet. Pour ces élèves faibles, on pouvait s’attendre à un enseignement renforcé. C’est le contraire. Au lieu de 26 heures d’enseignement hebdomadaire, comme en 3ème, ou 29 heures et demie comme en 2de générale, ils passent à seulement 18 heures et demie d’enseignement. S’y ajoutent 8 heures et demie de « projet d’orientation et renforcement des compétences méthodologiques« . Il s’agit de projet, décidé par le chef d’établissement, et non d’enseignement. Qui fera ces heures ? Des associations ? Des enseignants pactés ? Notons que les volumes horaires indiqués dans l’arrêté créant ces classes, sont indicatifs et annualisés. Selon le Snes-FSU, les élèves ayant échoué au brevet mais optant pour une seconde professionnelle en apprentissage ne seront pas astreints à cette prépa seconde. On ne saurait mieux dire qu’elle est créée pour barrer la route du lycée aux élèves faibles. Pour les enfants des familles populaires qui seraient en difficulté, c’est soit une année perdue à la porte du lycée et le risque fort de décrochage soit l’apprentissage.
Les redoublements bien limités
Le gouvernement a beaucoup communiqué sur « l’excellence » et le redoublement pour l’assurer. Pris au pied de la lettre, cette promesse a un sérieux coût, évalué à 2 milliards. Sans grande surprise, le projet de décret sur le redoublement revient largement sur ces propos. Ainsi dans le premier degré le projet de décret attribue bien au conseil des maitres la décision du redoublement. Mais c’est visiblement pour inciter aux « stages de réussite » qui permettent d’éviter le redoublement. Et le redoublement n’est possible qu’une fois. Et aucun élève ne peut redoubler plus qu’une fois pendant sa scolarité. Si jamais on l’oubliait, dans le 2d degré, le redoublement reste soumis à la décision du chef d’établissement. Ce décret va d’ailleurs se heurter à la loi, précisément à l’article L 311.7 du Code de l’éducation qui reste en vigueur et dit que » le redoublement ne peut être qu’exceptionnel« .
Plutôt que prévoir des moyens pour le redoublement, ce même décret en gratte lui aussi. Son article 1 supprime à propos des PPRE que « l’essentiel de ces actions est conduit au sein de la classe ». Un élève pourra donc suivre un » programme personnalisé de réussite éducative » en dehors de sa classe. Quelle belle économie de regrouper les élèves faibles ! Pour les confier à qui ?
Accentuer la fracture sociale
On sait que la création des groupes de niveau doit permettre d’installer la différenciation scolaire et sociale dès la 6ème. Dès l’entrée au collège, des élèves vont entrer dans le groupe fort et suivre un enseignement de type lycée. Et d’autres enfants seront assignés à un groupe faible et suivront un enseignement qui rendra difficile la poursuite de leurs études. On avait compris qu’il s’agissait de décourager la poursuite d’études au lycée pour les enfants des familles populaires. Les encourager au décrochage permettrait même d’améliorer les résultats dans Pisa.
Mais on pensait qu’au moins le ministère tiendrait sa promesse de groupes réduits avec un encadrement suffisant. Or c’est le contraire. La promesse des groupes de 15 élèves a sauté. Partout où il peut, le ministère gratte des heures jusqu’à proposer un ersatz d’enseignement en prépa lycée. Pour les élèves faibles, qui sont souvent les enfants des familles populaires, c’est le choc contre les savoirs.
François Jarraud
Le projet d’arrêté sur l’horaire du collège