Dans sa publication du 30 janvier, le CSP – Conseil supérieur des programme, vient en renfort à Gabriel Attal et à la réforme du collège qu’il a initiée lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale. « Le Conseil supérieur des programmes appelle au renforcement du caractère ségrégatif de la scolarité proposée aux collégiennes et collégiens » écrit Jean-Pierre Veran, ancien inspecteur d’académie.
On le sait, depuis 1975, l’objectif d’un Collège unique n’est jamais vraiment entré dans la réalité. Pour avoir une chance de se réaliser, il aurait fallu tenir compte des mises en garde de René Haby lui-même : le collège, écrivait-il en 1975, « ne peut proposer exactement les contenus des anciennes classes de lycée dont l’objectif unique était le lointain baccalauréat. Il sera nécessaire de le tourner davantage vers la vie, d’y préparer des orientations ultérieures fort diverses, d’adapter la pédagogie à la variété des esprits et des capacités, d’y valoriser d’autres aptitudes que celles qui commandent aujourd’hui la réussite scolaire ».
Comme on a fait l’économie de repenser les savoirs enseignés au collège et ceux qui ne le sont pas et pourraient l’être, les réformes se sont succédé, opérations marginales qui n’ont rien changé au fond.
Les réformes proposées par le Ministre Attal, devenu premier ministre, ne s’inscrivent pas dans la continuité des précédentes. Il n’est plus question de faire croire que le Collège est l’espace et le temps d’une formation commune donnant accès pour chaque génération à la culture utile aux futurs citoyennes et citoyens du 21e siècle. Il s’agit d’un puissant retour en arrière, avant 1975.
Retour en arrière avec la mise en place dès la rentrée prochaine de groupes de niveaux en français et en mathématiques. Il ne faut pas que les élèves fragiles empêchent les excellents élèves de « s’envoler au delà des programmes » comme l’a déclaré le ministre Attal. Et le Conseil supérieur des programmes, dans son avis du 30 janvier sur l’organisation des enseignements au collège propose « deux parcours séparés en français et en mathématiques en classes de 6e et de 5e» et « deux parcours séparés en français et en mathématiques au cycle 4 ». La séparation est affichée comme principe d’organisation des enseignements. Le choc des savoirs commence donc, dès l’entrée au Collège, par le tri des élèves en fonction de leur niveau dans deux disciplines à fort horaire hebdomadaire, et les élèves fragiles pourront être dispensée de certains enseignements pour avoir davantage d’heures de français et de mathématiques. C’en est fini de la formation et de la culture communes.
Retour en arrière encore avec la restauration du redoublement comme sanction de résultats d’une année scolaire jugés insuffisants : il n’y a pas de meilleur moyen de creuser l’écart entre ceux qui, « s’envolent au delà des programmes » et ceux qui resteront à jamais en deçà, et qui pourront « bénéficier » du redoublement présenté comme sanction-remédiation de résultats insuffisants. Redoublement dont on sait qu’il n’a d’effet positif véritable qu’exceptionnellement, mais des effets certains sur le destin scolaire de ceux qui ne sont plus à l’heure mais désormais en retard dans leur scolarité.
Retour en arrière avec la restauration de l’examen d’entrée en 6e aboli en 1959 et déplacé à l’entrée au lycée, ce qui transforme le diplôme national du brevet qui n’a jamais tenu ce rôle. Le barrage des procédures d’orientation n’était pas suffisant. Rien de tel qu’un examen d’entrée pour tenir à l’écart du lycée ceux qui oseraient y prétendre sans le « mériter ».
Retour en arrière avec la modification du contenu de l’examen, en instaurant la primauté des notes des épreuves d’examen sur celles du contrôle continu. La classe de troisième va donc se transformer en classe de bachotage, au détriment du plaisir d’apprendre et d’enseigner, et d’apprentissages qui ne font pas l’objet d’une évaluation à l’examen. Ceux qui n’auront pas le brevet iront dans de classes de prépa lycée dont le contenu demeure pour l’instant flou. Il faut avoir beaucoup d’humour pour affirmer, comme le CSP l’a fait dans son avis sur le Collège : « Dans ces conditions, l’obtention de ce DNB rénové vaudra validation du socle commun de connaissances, de compétences et de culture ». La culture acquise évaluée dans toute sa complexité par la moyenne à un examen, nous voilà bien aux antipodes d’une prise en compte effective de tout ce que l’élève a appris et acquis au collège.
L’avis du CSP est intéressant en cela aussi que certaines de ses recommandations pourraient anticiper des mesures à venir. Par exemple, il faut impérativement « limiter le nombre des activités, projets, journées et parcours divers qui viennent s’ajouter aux enseignements disciplinaires sans augmentation du cadrage horaire global. La priorité donnée aux apprentissages disciplinaires et à l’orientation doit redevenir une réalité ». Loin d’avoir une ambition éducative affirmée, le Collège doit se focaliser sur les disciplines et l’orientation. Trois parcours éducatifs, citoyen, éducatif de santé et de culture artistique et culturelle pourraient passer aux oubliettes.
Si on envisage l’uniforme pour les élèves, c’est la mise au pas qui est prévue pour les enseignants et les personnels d’éducation comme pour les élèves. Pour le CSP, il faut « recentrer les missions des conseillers principaux d’éducation (CPE) sur le respect du règlement intérieur par les élèves et leurs parents, et le soutien vigilant à l’autorité des enseignants en cas de difficulté avec un élève ». Faudrait-il revenir à avant 1970, année du changement d’identité professionnelle des surveillants généraux, désormais conseillers principaux d’éducation ? Pour les élèves, « le rétablissement de mesures de sanction réelles et immédiates pour les élèves perturbateurs, avec exclusion automatique de la classe, pouvant aller jusqu’à l’exclusion de l’établissement en cas de récidive, ainsi que la responsabilisation systématique des parents, doivent redevenir la règle dans tous les collèges ».
Faire du collège, dès la sixième, une gare de tri entre ceux qui sont destinés aux études générales et ceux qui sont destinés à la voie professionnelle, tel est le sens profond de cette contre-réforme, qui, sous la tenue vestimentaire unique, prétend cacher une visée continue de séparation et de ségrégation.
Jean-Pierre Véran
Inspecteur d’académie honoraire, membre du COCUR (Collectif d’interpellation du curriculum)
René Haby, Propositions pour une modernisation du système éducatif, La Documentation française, février 1975,