« Docs sur l’Éduc » est un podcast en construction permanente sur la pratique des métiers de l’éducation dans les quartiers populaires, sur l’histoire et les perspectives de l’éducation prioritaire. Il présente un regard croisé de chercheur.es, de militant.es syndicaux·ales, de professeur.es et de personnels exerçant principalement en éducation prioritaire à Marseille et dans sa région. « Le café pédagogique » entreprend la publication hebdomadaire de ce podcast réalisé par Alain Barlatier, documentariste et ancien enseignant à Marseille. Chaque semaine l’auteur présente un épisode de cette série que vous pouvez écouter directement à partir de notre site, accompagné d’un article. Aujourd’hui, il donne la parole à Jeanne Epain, professeure des écoles et directrice de l’école maternelle République-Moisson, classée REP+.
Nous sommes au mois de janvier 2024, dans le quartier du Panier, à l’école maternelle République-Moisson, tout près de la rue de la République qui relie le Vieux-Port aujourd’hui port de plaisance, à la Place de la Joliette qui a longtemps été le centre névralgique de l’activité portuaire marseillaise (et du mouvement ouvrier) de la fin du XIXème siècle jusqu’aux années 70, date à partir de laquelle la baisse de l’activité maritime s’est accélérée (en corrélation avec la perte d’attractivité industrielle de la ville et la fin de l’empire colonial), au profit d’autres sites en Méditerranée (Barcelone, Valence, Gènes…) et aussi au développement du trafic à Fos/mer située à quelques dizaines de kilomètres de là.
Le quartier du Panier, à proximité du centre-ville et des liaisons maritimes historiques avec le Levant, l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Ouest, la Corse… a été (et reste) un lieu d’arrivée pour les nouveaux migrants, un point de départ pour une vie nouvelle sur le territoire français. Il était considéré par le régime nazi « comme le chancre de l’Europe » et a été en grande partie dynamité au mois de janvier 1943 (20 000 personnes délogées, 1300 déportées).
Ce quartier a été un refuge pour les Corses qui arrivaient sur le continent, les Italiens, nombre de familles juives, les résistants qui s’y cachaient pendant la seconde guerre mondiale, pour les immigrés algériens et leur famille dans les années 50/60, puis pour les familles comoriennes plus récemment. Il reste encore aujourd’hui un quartier populaire malgré une gentrification grandissante liée à la faible côte immobilière de départ et à la pression touristique.
C’est ce qui explique le classement REP+ de la quasi totalité des écoles du « Réseau Vieux-Port » et des deux collèges publics qui recrutent en grande partie auprès de milieux sociaux défavorisés. L’existence de nombreux établissements privés échappant à la carte scolaire ne fait qu’amplifier cette tendance.
Jeanne Epain est titulaire d’un Master en droit public. Elle a connu d’autres expériences dans sa vie professionnelle avant de passer le CRPE (Concours de Recrutement de Professeur des Écoles). Elle est professeure et directrice de cette petite école de quatre classes, deux petite et moyenne sections et deux grandes sections dédoublées (décision ministérielle datant de 2021 pour les écoles REP+). Trois jours sur quatre, elle enseigne dans une classe de grande section où elle contribue avec ses collègues à ce que les élèves atteignent les objectifs du cycle 1.
L’objectif de la maternelle est de donner envie aux enfants d’aller à l’école pour apprendre et construire leur personnalité : à travers le jeu, la rencontre, la réflexion, la mémorisation, les enfants se socialisent, s’affirment dans leur individualité, développent leur langage oral, découvrent l’écrit, les nombres, se structurent dans le temps et l’espace, expérimentent et créent.
Tous les domaines d’apprentissage sont fortement imbriqués à cette période cruciale du développement de l’enfant, où il n’est déjà plus un bébé et pas encore une personne « ayant l’âge de raison ».
Sa place de directrice n’est pas une position hiérarchique, elle est l’égale de ses pairs, les autres PE, l’action éducative étant un acte collectif.
Selon le « Référentiel « de compétences de directeur d’école » (réglementation ministérielle) son travail se répartir dans trois domaines de compétences différents pour assurer la mission de service public .
Le domaine pédagogique
C’est le-la directeur·trice qui coordonne l’équipe pédagogique, préside et anime les réunions. Il ou elle s’assure que tous les élèves de l’école apprennent dans les meilleures conditions au regard de leurs besoins et dans le respect des programmes : évaluation régulière, aide aux élèves en difficulté, allophones, handicapés… Le-la directeur·trice réunit toute l’équipe éducative autour d’un élève dès que nécessaire. Elle ou il veille à la qualité du climat scolaire (notamment, prévention et réponse à la violence et au harcèlement). Elle ou il coordonne l’élaboration du projet d’école qui est le projet pédagogique commun.
Le bon fonctionnement de l’école
Elle ou il s’occupe des admissions et radiations des élèves en lien avec la commune, organise l’accueil et la surveillance des élèves, vérifie leur assiduité.
Elle ou il préside et anime le conseil d’école qui est la réunion trimestrielle principale, à laquelle participent représentants des parents et de la mairie.
Elle ou il coordonne l’élaboration du règlement intérieur de l’école et veille à son respect, élabore la structure pédagogique de l’école (répartition des élèves dans les classes et choix des regroupements : classes à simple, double ou triple niveaux).
Enfin, énorme responsabilité, elle ou il est le garant de la sécurité de tous les enfants et de tous les personnels de l’école.
Les relations avec les partenaires (familles et institutions)
Le-la directeur·trice est l’interlocuteur de la commune. Elle ou il veille à la qualité des relations avec les parents d’élèves (organise notamment l’élection de leurs représentants) et avec tous les autres partenaires éducatifs de l’école.
Les bonnes relations familles/enseignant.es sont primordiales en Éducation Prioritaire plus qu’ailleurs et se construisent tout au long des trois années de la maternelle qui est la « porte d’entrée » dans la scolarité pour les enfants mais aussi pour leurs parents. Pour que l’enfant se sente bien à l’école et puisse progresser, il faut accueillir sa famille, la connaître, la rassurer éventuellement et transmettre les attentes scolaires dans le respect de son histoire et de sa situation. Les Professeurs des écoles s’y emploient chaque jour en communiquant avec les familles de multiples façons, en les informant, en les associant aux projets pédagogiques, en les recevant.
En général cela se passe bien mais il y a des moments d’incompréhension, et d’inévitables tensions à divers degrés.
Le-la directeur·trice contribue à la protection de l’enfance ; si besoin il amène l’équipe pédagogique à une réflexion commune autour d’enfants en danger avéré ou potentiel et il peut lancer l’action de protection ( « information préoccupante » ou « signalement ») en lien avec le conseil départemental, les services sociaux, les services de santé, la police et la justice.
À ce sujet il est a noter que les Assistantes Sociales revendiquent une présence plus forte au sein du premier degré qui reste selon leur point de vue le parent pauvre de la prise en charge des problèmes sociaux.
La charge de travail de Jeanne est immense
Aux 26 heures d’enseignement hebdomadaires (un service de PE), aux temps de préparation et de correction, il faut ajouter le temps nécessaire à l’accomplissement de ces tâches administratives qui nécessitent une attention permanente tout au long de la semaine et qui vont bien au-delà de la journée accordée par l’éducation nationale. Les directeurs et directrices n’ont pas de secrétariat ou d’aide administrative et doivent tout mettre en œuvre par eux-mêmes. Tout cela conduit à une durée de travail hebdomadaire supérieure à 50 heures.
Le salaire d’entrée dans le métier pour un/une PE se situe à 1750 € mensuels ; il est possible d’espérer un salaire net supérieur à 2000 € au-delà de 40 ans en moyenne. C’est une des raisons (mais pas la seule) du désamour pour le métier et du faible nombre d’inscrit.es aux concours de recrutement d’enseignant·e. « Si je n’avais pas la prime REP+ et l’indemnité de directrice je ne crois pas que je resterai sur ce poste » dit Jeanne.
Pour Jeanne, ce métier est à la fois passionnant et épuisant : « Nous sommes les seuls maîtres à bord devant nos élèves, c’est une des grandes différences avec mes métiers précédents (elle a notamment travaillé dans des « open space » où s’exerce une pression constante de la hiérarchie NDLR). C’est une grande liberté mais c’est aussi un enfermement parce que tout ce que nous faisons nous consume de l’intérieur. Il n’est pas étonnant qu’il y ait plein de profs qui craquent arrivés à la cinquantaine. Il faut tenir sur la durée, heureusement que je suis en lien avec de jeunes collègues qui me donnent la volonté de continuer ». « Aujourd’hui avec la prime REP+ et celle de direction, je considère que je gagne correctement ma vie. Nous faisons un travail de cadre, tout de même. »
Alain Barlatier avec Jeanne Epain.
Pour écouter l’entretien avec Jeanne Epain, c’est ici