Dans cette tribune, Paul DEVIN, président de l’Institut de recherches de la FSU, revient sur l’école inclusive et ses promesses loin d’être tenues. « Il nous manque aujourd’hui la condition essentielle de sa réalisation : une politique déterminée qui, au-delà de ses discours, fait le choix d’un investissement public majeur capable de la soutenir et de permette qu’elle atteigne effectivement sa finalité : l’émancipation intellectuelle, culturelle et sociale qui permettra aux personnes handicapés une participation égalitaire à la vie citoyenne et sociale », écrit-il.
Nul doute que l’inclusion doit être une évidence pour notre école puisqu’elle se fonde sur l’exigence démocratique d’un accès égalitaire aux savoirs pour toutes et tous. Mais en proclamer la valeur principielle sans en raisonner les exigences nécessaires pour qu’elles assurent effectivement cette ambition égalitaire, ne peut suffire à en faire un principe moral.
Dénoncer cette situation peut procéder de volontés radicalement opposées. Ainsi se produit une confusion qui pourrait interpréter les critiques de la politique inclusive comme procédant de volontés ségrégatives fondées sur des hiérarchisations de valeur qui voudraient réserver l’école à ceux qu’on jugerait éducables. Pour qu’aucune ambiguïté ne subsiste, il nous faut donc commencer par affirmer notre absolue condamnation des affirmations réactionnaires qui légitiment la discrimination des élèves handicapés par le refus de « l’égalitarisme » ou du fait de visions naturalisantes et limitatrices de leurs capacités.
La réalité de l’inclusion scolaire
La réalité nous la connaissons bien. Elle est tout d’abord celle d’un progrès : des dizaines de milliers d’enfants handicapés sont aujourd’hui accueillis dans les classes et ont ainsi accès à l’expérience sociale de l’école et à la culture commune. Nous avons donc réussi une évolution majeure. Mais les moyens mis en œuvre pour permettre cette inclusion ne sont pas suffisants pour qu’elle soit bénéfique à tous les enfants. Dans de nombreuses classes, la promesse émancipatrice d’une telle scolarité reste vaine et entraîne des difficultés majeures tant pour les élèves que pour les personnels. Pour les enseignantes, les enseignants et les AESH, cela se traduit parfois par des risques graves portant atteinte à leur santé morale et physique. Il ne s’agit évidemment pas d’en tenir les élèves ou leurs parents pour responsables mais les obligations de protection des salariés par l’employeur n’en restent pas moins entières. Le nombre de situations donnant lieu à des signalements « santé/sécurité au travail » témoigne de l’ampleur du problème. Deux enquêtes de 2023 (IFO et ASL) le confirment. Confrontés à des difficultés éprouvantes pour lesquelles ils ne sont pas soutenus, les personnels ne peuvent admettre un discours institutionnel qui dédaigne cette réalité et qui tente de les en rendre responsables en supposant leurs réticences.
Raisonner l’inclusion
Dans la scolarité d’un enfant handicapé, la volonté d’inclure en classe ordinaire ne peut suffire si nous voulons qu’elle permette l’accès à ses finalités. C’est pourquoi il faut la raisonner, c’est-à-dire en examiner l’ensemble des conditions humaines et matérielles nécessaires pour qu’elle parvienne à ses fins et qu’elle soit sûre d’échapper à une satisfaction superficielle d’inclusion scolaire qui se révélerait incapable de conduire à une véritable inclusion sociale, culturelle, citoyenne et professionnelle. Ce n’est donc pas la réduction des ambitions que vise cette affirmation de devoir raisonner inclusion mais au contraire la défense de son effectivité.
Or, les obsessions néolibérales de réduction de la dépense publique n’ont cure de cet impératif et n’hésitent pas à prétexter l’inclusion pour saisir une opportunité de réduction budgétaire. L’intérêt des personnels de l’Éducation nationale et celui des parents des enfants handicapés convergent pour admettre cette nécessité d’une inclusion raisonnée et revendiquer une politique capable de la satisfaire.
Refuser les artifices rhétoriques
Toute une rhétorique d’argumentation justificatrice tente de masquer l’incurie de la politique inclusive. Elle mérite qu’on examine les stratégies dont elle fait usage.
- Mettre en évidence quelques indicateurs fragmentaires pour tenter de donner l’image d’une politique déterminée.
Il ne suffit pas de valoriser la croissance du nombre d’ULIS ou d’emplois d’AESH pour s’affranchir de la responsabilité politique de l’inclusion. Seul un investissement massif pensé dans une logique globale de financement permettra de répondre aux enjeux de l’inclusion scolaire. Interroger la politique inclusive au travers de la seule question de la soutenabilité financière de l’augmentation de l’accompagnement humain, comme l’a fait un récent rapport sénatorial, est inacceptable et conduira à de nouvelles dégradations de la situation.
- Jouer des habiletés gestionnaires pour éviter cet investissement nécessaire.
L’exemple des PIAL nous permet de mesurer les effets catastrophiques de telles stratégies totalement déconnectées des besoins des élèves et des conditions de travail des personnels. Nous ne prenons pas le chemin d’une amélioration puisque l’acte 2 de l’inclusion se fonde sur la recherche d’un moindre coût de l’accompagnement humain par une attribution des quotités décidée par l’Éducation nationale en fonction des moyens disponibles et non plus par la MDPH en fonction des besoins des enfants. Une telle volonté témoigne de l’hypocrisie d’une politique qui se targue d’être inclusive. Le conseil constitutionnel a rappelé, le 28 décembre 2023, qu’une loi budgétaire ne pouvait être légitime pour conduire une telle évolution qui constitue une véritable régression par rapport aux principes légaux de 2005.
- Fustiger les moyens médico-sociaux comme témoignant d’une volonté de refus de l’école inclusive.
Le dilemme ne se pose pas dans un choix exclusif entre école ordinaire et établissement spécialisé. Le médico-social reste essentiel à l’inclusion scolaire, nombre d’enfants handicapés ayant besoin d’une prise en charge plurielle où se mêlent scolarité, accompagnement éducatif et prise en charge thérapeutique. Le droit aux soins ne peut être négligé au prétexte d’une inclusion scolaire plus immédiate. Que nous cherchions à mettre fin à des formes prises en charge trop ségrégatives ne doit pas nous conduire à réduire les stratégies inclusives aux seuls moyens scolaires. Proclamer une idéalité absolue reviendrait à une négation de la réalité des besoins et serait un choix idéologique fait aux mépris des enfants handicapés.
- Mythifier les effets de l’inclusion en classe ordinaire en les considérant comme systématiquement bénéfiques par eux-mêmes.
Les vertus de l’inclusion scolaire sont dépendantes d’une capacité à répondre à la réalité de la situation de l’enfant handicapé. Il faut raisonner les modalités de l’inclusion scolaire, son organisation matérielle et pédagogique en fonction des besoins de l’enfant handicapé et en organisant une progression respectueuse de la réalité de ces besoins. Ne pas avoir cette exigence entraîne un leurre qui n’aide pas les parents à construire une représentation des besoins de leur enfant et finit par cristalliser les conflits sur la seule revendication quantitative du temps scolaire, au mépris des besoins de soins lorsqu’ils sont nécessaires.
- Idéaliser la différenciation pédagogique comme réponse universelle
Certes, la tentation institutionnelle est grande, pour éviter la question des moyens, de laisser croire que les difficultés des enseignants seraient liées à leurs choix pédagogiques et de fonder un modèle idéal capable d’agir à moyens constants. Mais la complexité quotidienne réelle du travail des enseignants et des AESH montre que les difficultés rencontrées ne sont pas produites par un choix pédagogique mais par la complexité même de l’enjeu. C’est particulièrement évident pour les enfants dont les troubles de comportement altèrent leurs possibilités à répondre aux propositions pédagogiques, en dehors de la mise en œuvre de toute adapatation.
- Considérer les difficultés de l’inclusion comme résultant des réticences des enseignants.
Aucune étude ne vient accréditer cette analyse et la réalité quotidienne témoigne, au contraire d’un engagement. Dans leur immense majorité, les enseignants choisissent de porter leurs revendications dans des organisations syndicales qui défendent l’inclusion. Mais leurs difficultés sont réelles, objectives, éprouvantes et constituent des limites qui ne mettent pas en doute la finalité inclusive mais accusent l’insuffisance des moyens matériels et humains. La question de la formation des professeurs et des AESH en est l’exemple le plus évident.
La lente évolution qui tout au long du XXe siècle nous a conduit à faire le choix de l’inclusion est un progrès social auquel nous devons être profondément attachés et dont nous devons revendiquer la mise en œuvre réelle. Mais il nous manque aujourd’hui la condition essentielle de sa réalisation : une politique déterminée qui, au-delà de ses discours, fait le choix d’un investissement public majeur capable de la soutenir et de permette qu’elle atteigne effectivement sa finalité : l’émancipation intellectuelle, culturelle et sociale qui permettra aux personnes handicapés une participation égalitaire à la vie citoyenne et sociale.
Paul Devin
Les publications de Paul Devin sur ce sujet sont en ligne :
https://pauldevin.com/2018/11/11/inclusion/