Pourquoi G Attal remet-il en selle les classes de niveau ? L’annonce semble irraisonnée si l’on se fie aux recherches des sociologues de l’éducation. Elle l’est moins si l’on prend en compte celles des économistes de l’éducation. Et surtout si l’on suit le calendrier politique marqué par la publication de Pisa le 5 décembre. Face à la panne de la politique éducative du gouvernement, Pap Ndiaye préconisait la mixité sociale. Attal fait le choix contraire. Le choix d’Attal marque bien une nouvelle politique éducative.
Une politique éducative en panne
« Faut-il conserver le principe de classes hétérogènes ou prolonger une réflexion par niveau ? » demande G Attal le 5 octobre devant la Bibliothèque nationale. Et le ministre d’annoncer la mission « exigence des savoirs » dont les recommandations seront rendues publiques « début décembre« . C’est à dire juste avant ou en même temps que la publication des résultats de Pisa le 5 décembre.
Si l’on en croit les résultats des évaluations nationales, pourtant réalisées par l’administration de l’Education nationale, la politique éducative du gouvernement est en panne. En CP et en CE1, le ministre se félicite que les résultats soient stables ou comparables à ceux de 2019. L’écart entre les élèves de Rep+ et ceux hors éducation prioritaire est lui aussi stable, au même niveau que 2019. Cela alors que, depuis 2017, 11 000 postes ont été injectés dans le premier degré pour les dédoublements. Tout cela pour, au final, cette remarquable stabilité des écarts, c’est à dire une remarquable inefficacité. On ne saurait mieux marquer l’échec de cette mesure coûteuse. Surtout pour le second degré où ont été prélevés les postes. Evidemment, il n’y a pas non plus de progrès au collège. La moitié des élèves de 6ème sont faibles en français en Rep+ alors qu’ils ont vécu toutes les réformes Blanquer. Et en maths la proportion des élèves faibles a même « nettement » augmenté. Le ministre préfère communiquer sur les élèves de 4ème, là où il n’y a pas de comparaison faisable. Mais c’est pour souligner là aussi la part des élèves faibles et la nécessité de réformer le collège.
Pisa le 5 décembre
Tout donne à penser que les résultats de Pisa, le 5 décembre, seront de la même eau. C’est à dire que le système éducatif français, moyen dans l’ensemble, gardera ce qui le caractérise : le lien exceptionnel entre inégalités scolaires et sociales. La France est le pays développé de l’OCDE où l’origine sociale prédit le plus le niveau scolaire. Les résultats moyens du système éducatif français cachent un fort pourcentage d’élèves très faibles dont les parents sont de milieu défavorisé.
E. Duflo au chevet des classes de niveau
C’est là où G. Attal intervient avec le retour des classes de niveau. Etablir ces classes est très facile grâce aux évaluations nationales qui couvrent maintenant presque tous les niveaux. On a là l’outil de ce changement systémique. Pour G Attal, les classes de niveau permettraient, dans des classes plus homogènes, de faire progresser tous les élèves. Le ministre peut s’appuyer sur une étude. Dans l’American Economic Review (n°101, août 2011), Esther Duflo, Pascaline Dupas et Michael Kremer (respectivement du MIT, UCLA et d’Harvard), montrent que des classes de niveau en fin de primaire au Kenya permettent de faire progresser tous les élèves. Les auteurs concluent que cela doit marcher dans les pays à faible revenus mais pas forcément dans les autres. Cette étude, restée méconnue en France, ressort actuellement en fonction de l’actualité. Elle est mise en avant par exemple dans l’ouvrage sur l’Economie de l’éducation (collection Repères 2023).
Les études sociologiques sur les classes de niveau
On a pourtant beaucoup d’autres études, de sociologues de l’éducation, qui montrent le contraire. » Les recherches tendent à montrer que les classes de niveaux bénéficient surtout aux élèves les plus performants puisqu’elles améliorent leurs performances. En revanche, elles ont un effet négatif sur les élèves dont le niveau est plus faible« , explique H Draelandts dans le Café pédagogique du 10 octobre, car » dans une classe homogène faible, l’enseignant adapte généralement à la baisse ses objectifs d’apprentissage« . En France, l’étude de S. T. Ly et A. Riegbert réalisée pour la région Ile de France en 2014 avait déjà montré qu’une majorité de lycées constituait des classes de niveau. Pour cela les établissements utilisaient les options comme l’Allemand LV1 ou les langues anciennes. On comptait 51% de privilégiés dans les classes de latin et 54% en allemand. Une autre étude, élargie nationalement en 2015, par ces deux auteurs, estimait que “la constitution des classes contribue essentiellement à la ségrégation scolaire”. En 2020, l’étude de B Boutchenik et S Maillard (Education & formations n°100) montre qu’une majorité de lycées pratique les classes de niveau. Selon elle, ” les classes de niveau ont un effet négatif et particulièrement pour les élèves qui y sont le plus souvent affectés, c’est à dire les plus forts scolairement. ” L’effet sur la réussite d’appartenir à une classe comptant une proportion importante d’élèves de niveau élevé dépend du niveau scolaire initial de l’élève. Si l’appartenance à une classe de ce type est bénéfique pour les élèves des trois premiers quartiles, elle est en revanche défavorable aux meilleurs élèves, relativement à une classe équi-répartie. L’effet pour les élèves du dernier quartile est d’autant plus négatif que la proportion d’élèves de leur propre type augmente, et que les pairs les plus faibles deviennent rares… Appartenir à une classe contenant une forte proportion de bons élèves n’apparaît pas avoir d’effets bénéfiques pour tous les élèves, et l’effet en serait même pénalisant pour les élèves les plus performants initialement. Ce résultat, qui peut traduire un effet négatif de l’exposition à la compétition, est important en ce qui concerne les choix scolaires effectués par les familles. Ce que montrent ces travaux c’est que les classes de niveau sont surtout homogènes socialement et aussi inégales selon le genre. L’étude d’A Mazenod montre un fort lien entre l’existence de classes de niveau et la qualité de l’estime de soi avec des effets cumulatifs au fil du temps.
Une mesure populiste
Alors pourquoi remettre en selle les classes de niveaux ? La réponse est dans le dernier sondage Ifop qui montre que la mesure est populaire auprès des parents. Dans la compétition scolaire, particulièrement dans les milieux favorisés, les parents tiennent à ce que leur enfant soit dans une classe composée d’élèves socialement triés et donc supposés forts. Ce sentiment est exploité par la presse de droite. En juillet 2020, dans Marianne, l’essayiste Brighelli demandait la constitution de classes de niveau pour « l’élitisme républicain ». Le même magazine reprend la même idée le 17 novembre 2023 sous la plume de N Polony. Ce n’est pas « la pédagogie plus forte que la sociologie » que promeut Attal. Mais l’économie plus forte que la sociologie…
Si la mesure est populaire auprès des parents, elle l’est aussi auprès de nombreux enseignants. Il est plus facile d’enseigner à une classe homogène qu’hétérogène. L’enquête Cnesco de 2015 montrait que de très nombreux chefs d’établissement organisaient déjà leur classe sur ce principe pour satisfaire parents et professeurs.
Dire non à la mixité sociale
L’annonce de G Attal est populiste. Mais est-ce son choix ? Face au même problème d’inégalités scolaires, Pap Ndiaye avait choisi une autre voie : celle de la mixité sociale. C’est elle qui permet le brassage des élèves et, au final, de faire progresser les plus faibles sans nuire aux plus forts. Quand il a commencé à mettre en pratique, timidement, cette orientation, E. Macron l’a révoqué. La raison apparait maintenant au grand jour. Face aux résultats à venir de Pisa, le président de la République réoriente la politique éducative. Le retour des classes de niveau et la suppression du collège unique aboutiront à renforcer les inégalités scolaires liées aux inégalités sociales. Mais le président fait un double pari politique. Celui d’une école encore plus élitiste. Ce que demande la droite. Et celui de la démagogie.
François Jarraud