Sélectionné pour la finale du célèbre prix remis par l’Unesco, Nicolas Gaube enseigne les SVT au collège René Cassin d’Agde (34). Ce « prof heureux », comme le nom de sa chaine YouTube, aime « se lancer des défis afin de conserver une certaine appétence pour ce métier passionnant ». Loin du marasme, Nicolas Gaube innove dans sa classe en y installant 4 pôles spécifiques. « Je suis au maximum dans le présent, en me demandant de quoi mes élèves ont besoin aujourd’hui pour devenir des citoyens éclairés et responsables demain ». Un prix d’un million de dollars sera remis ce mercredi 8 novembre à ¨Paris au gagnant !
Comment êtes-vous arrivés à être dans le top 10 du Global Teacher Prize ?
L’année dernière, deux collègues australiens avec lesquels je me suis lié d’amitié grâce à ma chaine Youtube ont participé à ce concours. Ils sont arrivés respectivement TOP 50 et TOP 10. Alors, je me dis : « pourquoi ne pas essayer ? » Au mois de mai dernier, j’ai donc rempli un très long formulaire en ligne me demandant comment je travaillais avec les élèves, les résultats que j’obtenais avec eux, ce que je faisais pour les sensibiliser aux autres cultures et aux enjeux de notre monde moderne. L’impact « communautaire » au sens large est pris en compte également pour savoir l’impact que mes actions ont sur mon établissement, mes collègues, les autres professeurs en général. J’ai ensuite passé un entretien en visioconférence en anglais où on m’a demandé des détails sur mes pratiques, mes projets et ma vision du métier.
Pourquoi ce qualificatif « un prof heureux » ?
J’ai décidé d’appeler ma chaine « Un prof heureux », un peu par provocation. Quand on entend parler du métier de professeur dans les médias, c’est trop souvent à l’occasion de drames, de grèves, de plaintes sur nos mauvaises conditions de travail et le niveau de nos salaires. Ces sujets sont importants, légitimes, mais ils n’expliquent pas concrètement la réalité du métier de professeur. Dans un autre domaine, les fictions montrent souvent des visions faussées, voire fantasmées, de notre métier, entre le professeur déprimé et le professeur tout puissant qui change le monde.
En 2023, pour moi, c’est toujours possible d’être un professeur heureux, si je suis en mouvement. La société est en perpétuelle évolution et j’ai besoin d’évoluer également dans mon métier pour toujours me perfectionner, aider au mieux les élèves et me lancer des défis afin de conserver une certaine appétence pour ce métier passionnant.
Qu’évoquez-vous dans vos vidéos ?
Sur ma chaine « Un prof heureux », mes vidéos sont de trois types :
– Des tutoriels sur différents outils numériques qui peuvent faciliter la vie des professeurs ou répondre à de nombreuses questions que je reçois par mail ou par commentaires.
– Des vidéos de type VLOG où je montre le quotidien du travail de professeur, le matériel que j’utilise, mes méthodes, les aménagements de ma classe.
– Des vidéos de vulgarisation d’articles de recherche. Je lis pas mal de littérature en sciences de l’éducation ou en sciences cognitives en général et je tente, à mon niveau, de les expliquer et de montrer en quoi ces articles peuvent trouver écho dans nos pratiques quotidiennes de classe.
Quand on est professeur, on est très souvent pris par les cours, les copies, les réunions, on n’a pas le temps de se former ou de lire des revues sur l’éducation. J’essaie humblement d’être ce pont entre la Recherche et ses implications en classe.
En 22 ans de carrière, comment percevez-vous l’évolution du métier d’enseignant de SVT ?
Le métier a évolué sur deux aspects principaux, l’accent doit être davantage mis sur la préservation de la biodiversité et le dérèglement climatique. Si ces enjeux ont toujours existé, il devient urgent de sensibiliser les élèves à ces enjeux non seulement pour qu’ils en aient conscience, mais surtout qu’ils comprennent réellement ces phénomènes et l’impact qu’ils vont avoir sur nos vies. L’autre aspect est lié aux réseaux sociaux et à la désinformation. Plus que jamais, les élèves ont besoin d’une culture scientifique solide et sourcée pour être prêts à affronter les créateurs de fake news ou les influenceurs pseudoscientifiques. Il faut comprendre tous ces enjeux pour aider nos élèves à aiguiser leur esprit critique face aux discours fallacieux.
Et côté élèves ?
Je ne souscris pas au discours du « c’était mieux avant ». La société évolue, les élèves évoluent aussi, je me suis toujours adapté, en suivant le mouvement, en me trompant souvent, en recommençant, encore et encore. Du point professionnel, je ne regarde pas en arrière, je n’ai pas de nostalgie d’une époque rêvée où le professeur serait toujours respecté et les élèves toujours travailleurs et attentifs. Je suis au maximum dans le présent, en me demandant de quoi mes élèves ont besoin aujourd’hui pour devenir des citoyens éclairés et responsables demain.
Des projets pédagogiques pour cette année ?
Je continue à améliorer deux projets en parallèle pour lesquels la CARDIE nous a accompagnés et soutenus mes collègues et moi. « Et si on apprenait ensemble ? » : Dans lequel mes collègues et moi-même essayons d’avoir des pratiques pédagogiques communes, parfois inspirées des sciences cognitives pour mieux aider nos élèves. Nous nous réunissons une fois par période pour se former entre pairs et échanger sur nos pratiques. Le « ensemble » qui donne son titre à ce projet comprend aussi les parents que nous invitons au sein de l’établissement pour leur expliquer comment nous fonctionnons en classe et comment ils peuvent aider leurs enfants à progresser.
On essaie par ce biais-là de développer une certaine « alliance éducative ». « Déplace ta classe » : Un autre projet co-construit avec ma collègue d’histoire-géographie dans lequel nous réfléchissons à l’espace classe et à comment l’aménager pour aider les élèves à développer leur autonomie.
Par exemple, dans ma salle de sciences de la vie de la Terre, j’ai 4 espaces principaux :
– Un pôle laboratoire pour toutes les activités pratiques, telles que les dissections, les observations microscopiques par exemple.
– Un pôle documentaire où nous travaillons la maitrise de la langue, en îlots pour faciliter la coopération et l’entraide dans ce domaine qui peut être difficile pour un grand nombre des élèves de mon établissement.
– Un pôle numérique où les élèves apprennent comment trouver des informations fiables et comment utiliser un environnement numérique de travail tel que Moodle qu’ils retrouveront plus tard au lycée et lors de leurs études universitaires.
– Enfin, un pôle « Ressources » qui est un pôle de passage où les élèves trouveront de la documentation mais également le matériel qui pourrait leur manquer, ce qui n’est pas rare dans un établissement tel que le mien.
Propos recueillis par Julien Cabioch
Chaine Youtube « Un prof heureux »