Hugues Draelants est sociologue, professeur à l’Université de Louvain et membre du GIRSEF (Groupe Interdisciplinaire de Recherche sur la Socialisation, l’Éducation et la Formation). Il est notamment l’auteur du « Manuel de sociologie de l’éducation » publié en 2022. Le chercheur revient sur la proposition de Gabriel Attal de mettre en place des classes de niveaux homogènes en sixième. Selon lui, ce choix questionne le rôle de l’école au sein de la société : promouvoir une élite ou permettre la réussite d’une majorité ? Il répond aux questions du Café pédagogique.
Quels effets des classes de niveaux sur les apprentissages de tous les élèves, les bons comme les mauvais ?
Les recherches tendent à montrer que les classes de niveaux bénéficient surtout aux élèves les plus performants puisqu’elles améliorent leurs performances. En revanche, elles ont un effet négatif sur les élèves dont le niveau est plus faible. Cet effet est plus important que les bénéfices pour les bons élèves. Ainsi, si l’objectif est de favoriser l’amélioration moyenne du niveau, les classes hétérogènes sont plus profitables en moyenne. Ce que perdent les élèves forts est largement compensé par ce que gagnent les plus faibles. Certes, les classes hétérogènes ne sont pas la panacée, elles ne sont pas la solution miracle pour combattre les inégalités, mais leur effet est moins mauvais que les classes homogènes.
Concrètement, que se passe-t-il dans la classe quand le groupe est homogène ?
Si les groupements d’élèves ont des effets négatifs, c’est principalement dû aux opportunités d’apprentissages qui sont offertes aux élèves, sur ce que cela va induire en matière de modalités d’enseignement. Du côté des élèves, cela peut créer des conditions d’émulation ou des conditions de frein aux apprentissages. Du côté des professeurs, dans une classe homogène faible, l’enseignant adapte généralement à la baisse ses objectifs d’apprentissage. Les tâches seront plus faciles, pour une meilleure réussite de tous mais aussi dans un objectif de maintien de la paix scolaire.
Mais alors faut-il éviter à tout prix les groupes de niveaux ?
Non. Qu’il y ait des groupe de niveaux à certains moments de la semaine dans une classe hétérogène peut être avoir du sens. La recherche montre que si on a une conception du groupe classe plus flexible avec des moments de regroupements homogènes momentanés, cela peut avoir un impact positif sur la réussite de tous les élèves. Les groupes de niveaux ne doivent pas être permanents, ils doivent pouvoir évoluer régulièrement au cours de l’année et concerner seulement certains cours. Mais concevoir des groupes de besoin, groupes homogènes momentanés, est plus complexe que de faire des classes de niveaux. Cela demande des enseignants formés et du temps pour l’organiser. Il reste néanmoins important que les élèves puissent se retrouver tous ensemble pour travailler la coopération, la solidarité, les compétences psychosociales…
Gabriel Attal annonce vouloir mettre en place des classes de niveau en 6e. Comment interpréter ce choix au niveau politique ?
Comme je l’ai dit les classes de niveaux ont tendance à creuser le niveau entre les forts et les faibles. Finalement, faire le choix de classes de niveaux ou des classes hétérogènes est un signal du projet politique alloué à l’École. Si on veut promouvoir l’amélioration et la réussite de tous les élèves, ce qui semble être le projet politique de l’école française, a priori les nombreuses recherches sur le sujet indiquent que les classes de niveaux ne sont pas pertinentes – sauf à organiser des groupes homogènes momentanés. En revanche si le projet est de fabriquer une élite, sans se préoccuper de ses conséquences pour les élèves qui ne font pas partie de l’élite scolaire ni des questions d’inégalités sociales sachant que la réussite scolaire est corrélée à l’origine sociale, alors les classes de niveaux sont un moyen efficace. Tout dépend donc du projet politique poursuivi.
Propos recueillis Lilia Ben Hamouda
Hugues Draelants, Branka Cattonar, Manuel de sociologie de l’éducation, de Boeck supérieur éditeur, ISBN 9782807339385. Feuilleter l’ouvrage
Dans le Café pédagogique
Hugues Draelants : Manuel de sociologie de l’éducation
Hugues Draelants : La politique des preuves en éducation