En 2023, 58% des postes n’ont pas été pourvus au CAPES d’allemand. L’allemand est une des disciplines les plus en difficulté : le nombre de candidats diminue aux concours de l’enseignement, l’allemand étant la discipline dans laquelle la proportion de postes vacants au Capes est la plus élevée. Le nombre d’élèves diminue également. C’est une véritable crise que traverse l’enseignement de l’allemand, côté apprenants comme enseignants : en 1994, 610 000 élèves choisissaient l’allemand comme première langue et ils sont 150 000 en 2021 d’après les services statistiques ministériels de l’Éducation nationale. Entre 2006 et 2021, le nombre de professeurs d’allemand a été presque divisé par deux selon des données de l’Adeaf, passant de 10 189 professeurs à 5 801. « La situation est alarmante », affirme Thérèse Clerc, la présidente de l’Association pour le développement de l’enseignement de l’allemand en France (Adeaf) dans cet entretien avec le Café pédagogique. Selon elle, la baisse se poursuivra inexorablement sans mesures volontaristes.
Vous êtes présidente de l’ADEAF, qui alerte depuis de nombreuses années sur la situation de l’enseignement de l’allemand, quel état des lieux dressez-vous ?
Cela fait 10 ans qu’on alerte sur la dégradation de la situation de l’allemand. 14,1%, c’est la proportion d’élèves apprenant l’allemand à la rentrée 2022 dans le second degré, et c’était 22,9 en 1995. La situation est extrêmement inquiétante. Si on considère que le nombre de postes mis au concours correspond aux besoins, oui, on manque de professeurs : en 2021, 66% des postes sont non pourvus et en 2022, 72% et en 2023 58%. Avec l’ADEAF, on a fait le calcul : cela fait 1000 postes non pourvus en 10 ans. On recrute donc des contractuels, y compris ceux qui n’ont pas eu le concours. Il y a des profils différents, des collègues formés, d’autres non. On sait que l’enseignement est un métier difficile, il faut être armé pour.
Quelles répercussions voyez-vous à la pénurie d’enseignants ?
On est dans une situation de pénurie d’enseignants, il y a des répercussions sur la qualité de l’offre. Avec cette situation de pénurie, et de recours à des contractuels, il y a des répercussions sur la qualité de l’enseignement, sur la pérennisation. Il n’y a quasiment plus de TZR [Titulaires sur Zones de Remplacement] pour remplacer un enseignant malade. Tous les postes ne sont pas pourvus à la rentrée.
Cela veut dire que la filière qui mène à l’enseignement est en grande difficulté, avec très peu de d’étudiants inscrits en LLCE (Langues, Littératures et Civilisations Étrangères).
En revanche, les filières franco-allemandes se portent plutôt bien, les élèves qui ont un bon niveau en allemand, se tournent vers d’autres professions mieux rémunérées et avec des conditions de travail moins difficile. Il y a un décrochage salarial qui a été chiffré à 35% ces dernières années, et d’autre part, les conditions de travail se sont dégradées dans les établissements du secondaire. Depuis la réforme de 2015, les enseignants d’allemand travaillent sur 2 ou 3 établissement. Le service partagé est hélas très répandu chez les professeurs d’allemand. Cela a des répercussions sur la mise en place des mobilités des élèves et sur tous les projets qu’un enseignant peut faire avec les élèves.
L’ADEAF fait des collectes d’informations auprès des enseignants d’allemand, sur les conditions de travail par exemple, sur les services partagés. J’ai en tête le chiffre de 40% des enseignants en service partagé qui ont répondu à notre enquête. Il est difficile d’avoir les chiffres.
Dans les raisons de cette pénurie, vous évoquez la réforme de 2015, de la ministre Najat Vallaud Belkacem, qui supprime les classes bilangues et fait passer l’apprentissage de la LV2 de la 5è à la 4eme, quelles en sont les raisons ?
La réforme de suppression des classes bilangues et de la LV2 en 5eme a porté un grave préjudice à l’enseignement de l’allemand. Ce n’était peut-être pas voulu, il s’agit peut-être d’un dommage collatéral mais le coup porté aux classes bilangues n’a jamais été rattrapé.
Toutes les classes n’ont pas été supprimées, mais elles n’ont jamais plus fonctionné dans les mêmes conditions. Il n’y a plus de parcours bilangue. À partir de la 5ème, l’allemand devient langue 2 et non plus considéré comme une langue 1 avec le nombre d’heures d’enseignement dédié. Le temps d’enseignement a baissé, et donc diminue le nombre d’heures des enseignants dans un établissement et donc le nombre d’heures pour les élèves. Il y a un renoncement en termes de niveau visé. On est passé de l’objectif B1 à l’objectif du niveau A2 en fin de collège. Avec la classe bilangue, on permettait à plus d’élèves d’avoir le niveau B1. J’ai vu une étude assez surprenante qui affirme qu’il n’y a pas de gain avec l’avancée de la langue 2 en 5eme. Peut-être parce que les élèves en 4ème ont plus de maturité. Pour les familles, la bilangue avec la LV2 en 5eme apparait aussi moins intéressante. Pour les enseignants d’allemand, c’est également parfois difficile de faire cohabiter la bilangue et la LV2 dans les collèges de taille moyenne. Le recrutement en classe bilangue est plus difficile qu’en 5ème. Peut-être parce faire la promotion de la LV2 allemand en 6e est plus facile qu’en fin de CM2 où il faut convaincre les professeurs des écoles.
D’ailleurs je trouve assez insupportable de faire peser la responsabilité du recrutement des élèves germanistes sur les épaules du professeur d’allemand. Qu’ils acceptent de le prendre en charge, c’est très bien. Mais il y a un vrai dysfonctionnement. Ce n’est pas l’affaire des professeurs d’allemand, c’est une affaire de politique de langues, qui concerne tout monde, non ? C’est assez injuste pour le professeur d’allemand de lui faire porter cette responsabilité. S’il n’y a plus d’élèves qui apprennent l’allemand, ce n’est pas le professeur qui va en souffrir, mais notre pays qui va manquer de germanistes. Ce n’est pas le problème de chaque professeur d’allemand, de sa classe mais celui de la société. Et le ministère doit avoir une politique des langues. Aujourd’hui, en 5ème, 75% élèves apprennent l’espagnol, c’est un cas unique en Europe. Ce n’est pas à la hauteur des besoins. Il y a un vrai souci. Cette disproportion demande un pilotage. Le ministère dit répondre à la demande, mais sans offre de qualité et pérenne, il n’y a pas d’inscriptions et de demandes. Il faut agir sur la demande, donner envie d’apprendre l’allemand, mais cela ne suffit pas. Il faut une offre de qualité, qu’on a perdu avec la réforme du collège. On a aussi perdu les classes euro, considéré comme élitistes, alors qu’il n’y avait pas de sélection en euro allemand, c’est plutôt une bonne chose d’offrir des parcours de qualité, accessible à tous les élèves. L’erreur est de croire que c’est au détriment des autres, ce n’est pas vrai.
Quel argument opposer à « l’allemand, c’est pour les « bons élèves », issus des classes favorisées ou des familles bien informées »?
L’allemand, c’est une matière scolaire, la question est quel rôle fait-on jouer à une matière ? Cela n’a rien à voir avec la matière elle-même. Les familles sont à la recherche des meilleures voies pour les enfants. Cela n’a rien à voir avec les matières, et selon les périodes cela change d’ailleurs. C’est l’utilisation sociale d’une matière qui est instrumentalisée par les familles à un moment donné pour offrir le meilleur parcours à leurs enfants. L’allemand est une langue comme une autre, ce n’est pas dans ses gènes d’être réservée aux bons élèves. Il faut offrir des parcours de qualité, à tout le monde. Et non, en supprimer. Le recours à l’enseignement privé a augmenté, si on veut que les familles restent dans le public, il faut proposer des offres de qualité.
Quelles propositions porte l’ADEAF pour les élèves ?
Il faut une volonté globale de faire évoluer les choses. L’ADEAF essaie de mobiliser au-delà de l’Education nationale pour peser sur elle. L’ADEAF a 12 propositions pour l’allemand. Une proposition est de créer un véritable parcours bilangue de la 6e à la 3e avec des moyens pérennes fléchés et dédiés. On le demande sur 15% des collèges répartis sur l’ensemble du territoire à titre expérimental pour que cela soit mis en œuvre rapidement. Pour le lycée, nous demandons, dans la poursuite et cohérence du parcours bilangue, un enseignement de spécialité anglais-allemand. Actuellement, l’ enseignement de spécialité, n’est possible que pour une seule langue, et moins de 200 élèves ont choisi l’allemand, alors qu’une classe d’âge au lycée concerne 500 000- 600 000 élèves. On voit bien que cela ne suffit pas. Il faut qu’il y ait la possibilité d’approfondir l’allemand dans le parcours scolaire ordinaire. Et cela a d’autant plus de sens qu’on voit dans les offres d’emploi une réelle demande. L’allemand est plus demandé que l’espagnol sur le marché de l’emploi et on n’a pas de voie au lycée qui permette d’approfondir 2 langues.
Quelles propositions a l’ADEAF pour les enseignants ?
L’ADEAF demande des pré-recrutements, des contrats pré-professionnels pour les étudiants qui se destinent à l’enseignement. Il y a une désaffection générale pour le métier d’enseignants, spécifiquement pour l’allemand avec des conditions de travail plus difficiles, du fait du service partagé sur plusieurs établissements. Le fait d’avoir allongé les études n’a pas arrangé la situation et a réduit le vivier. Or, l’enseignement était un moyen de promotion sociale et avec le report au master, c’est moins vrai. Il y deux avantages au pré-recrutement : l’ouverture sociale et la formation des professeurs.
Une question polémique : pourquoi apprendre l’allemand ?
Pourquoi apprendre un langue étrangère, l’allemand comme toute langue, si ce n’est pour la formation intellectuelle et culturelle des jeunes, pour l’ouverture à l’altérité ?L’allemand a toute sa place dans l’enseignement, l’allemand spécifiquement, car c’est la langue d’un pays avec qui la France entretient des relations étroites et essentielles. En Europe, le Franco-allemand joue un rôle important. Le franco-allemand offre aux élèves un réseau important à ceux qui n’en ont pas. Et de manière plus prosaïque, la maitrise de l’allemand, en plus de l’anglais, offre de belles opportunités professionnelles.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
Les 12 propositions de l’ADEAF pour relancer l’enseignement de l’allemand