Les relations entre « les enfants et les écrans » peuvent-elles constituer un champ pédagogique d’action et de réflexion ? En moyenne, les enfants français reçoivent leur premier téléphone portable à l’âge de 9 ans et 9 mois selon une étude Médiamétrie de 2020. Et si les jeunes Robinsons du célèbre roman de William Golding Sa Majesté des Mouches avaient sur leur île déserte disposé de smartphones pour communiquer entre eux ? Dans le Parcours Préparatoire au Professorat des Ecoles du lycée de l’Iroise à Brest, la question a donné lieu à un travail créatif qui prête une nouvelle vie, numérique, aux personnages via SMS, réseaux sociaux, messages sur répondeurs. Le projet fait alors advenir une réflexion documentée sur les pratiques numériques des jeunes et en particulier la question du cyberharcèlement.
Le roman de Golding (1954) est le récit d’un « ensauvagement » : le numérique en est-il la cause comme le prétendent aujourd’hui certains ? un symptôme ? un possible remède ? à quelles conditions ? … A travers cette « anachronie », il s’agit d’explorer les relations qui se nouent et se dénouent entre les personnages de l’œuvre ainsi que les sociabilités que le smartphone est susceptible de tisser ou de briser, jusque chez des enfants livrés à eux-mêmes. Avec l’espoir que les objets et les interrogations de notre époque viennent éclairer la fiction de Golding, que la fiction de Golding aide à son tour à mieux comprendre notre époque, que la littérature et la réalité s’éclairent ainsi l’une l’autre. Le travail montre combien l’EMI peut sortir des activités mécaniques et ponctuelles, dépasser la culture de la défiance (Cordier, 2023), déployer une pédagogie de projet, collective, créative et réflexive, pour s’emparer de questions essentielles et faire émerger comme ici l’importance de l’accompagnement et de l’éducation des enfants dans leurs pratiques numériques. Le travail montre aussi combien l’appropriation des œuvres peut se faire interventionniste pour augmenter le plaisir de la lecture : « Il est temps que des disciplines comme la théorie ou l’histoire de la littérature et de l’art redonnent enfin les pleins pouvoirs à l’imagination et expérimentent toute la richesse de ce qu’apporte à la réflexion le recours à cette simple formule : Et si ? » (Pierre Bayard, Et si les Beatles n’étaient pas nés ? )
Sur ce projet, transférable, laissons la conclusion aux étudiant·es, futures enseignant·es . « La clé pour éviter le cyberharcèlement est l’éducation et l’information prodiguées aux enfants. Il est essentiel de leur apprendre à utiliser internet avec prudence, à ne pas réagir aux attaques et à ne pas hésiter à solliciter leurs parents ou les personnels de l’éducation nationale en cas de besoin. Autrement dit: il faut encourager les enfants à parler et maintenir une communication ouverte avec eux. (…) Cependant, si l’utilisation du smartphone reste dangereuse elle a aussi de bons côtés. Il est par exemple totalement possible d’utiliser cet objet et profiter de la technologie pour mieux étudier ( c’est d’ailleurs ce que cette année de PPPE nous a prouvé en travaillant régulièrement sur nos smartphones, pour la création d’articles notamment) mais pour que cette théorie fonctionne, les enfants doivent utiliser correctement cet outil que les autres générations n’avaient pas et qui peut être très utile. Bien sûr, il faut différencier le fait d’envoyer des messages ou de consulter les réseaux sociaux avec l’action de profiter de la connexion internet pour chercher des informations, des images ou autres données dont ils ont besoin pour participer en classe. Si le téléphone portable devenait un véritable matériel éducatif considéré par tous les professeurs, il pourrait être le bienvenu dans les écoles. Il serait alors une aide pour les élèves et les enseignants. Si les enfants savent parfaitement s’en servir, pourquoi ne pas en profiter intelligemment pour améliorer leur éducation ? » (Lucie et Tess)
Jean-Michel Le Baut
Anne Cordier dans Le Café pédagogique