Des jeunes des quartiers populaires s’en sont violemment pris à la police et aux institutions après la mort de Nahel, tué par un policier. Ces jeunes, ce sont des élèves ou d’anciens élèves de l’école de la République. Une école pointée du doigt par certains politiques de droite et de la majorité, une école qui ne saurait pas faire preuve d’autorité envers ces jeunes qu’il s’agirait de mater. Marie* est assistante sociale dans un collège du 93. Au quotidien, elle accueille la parole de cette jeunesse. Elle témoigne du sentiment de relégation ressenti par cette dernière mais aussi du rapport qu’elle entretient avec la police.
Les jeunes des quartiers, des citoyens en manque d’ambition ?
Beaucoup des jeunes de nos territoires ont très tôt intériorisé le fait de ne pouvoir se projeter dans des carrières scolaires longues. Ils s’auto-censurent, ils se disent « on va pas réussir, ça sert à rien de demander des filières générales. C’est pas pour nous… ». Les difficultés financières de leur famille impactent aussi leur projection. Avoir un salaire est important et les filières professionnelles permettent d’y accéder plus rapidement. Pourtant, comme tous les jeunes, ils ont des rêves. Mais la réalité les rattrape très, trop vite. Là où des jeunes déposeraient un dossier dans des lycées prestigieux, peu de nos élèves se l’autorisent. Ils craignent le regard de l’autre. Ils disent se sentir scrutés et regardés avec méfiance dès qu’ils sortent de leurs quartiers et s’aventurent dans les centres ville ou la capitale.
Comment expliquer ce manque de légitimité ressenti ?
On les ramène constamment au quartier dans lequel ils vivent, au collège où ils sont scolarisés. Dès qu’ils s’éloignent de leur quartier, qu’ils se baladent dans les centres villes, dans des zones un peu différentes, le regard des autres leur pèse. On dit souvent que les jeunes ne sortent pas des quartiers mais finalement, ce sont les autres qui les y cantonnent. Il existe une sorte de frontière invisible et infranchissable. C’est presque rassurant pour eux de rester entre eux, de rester à leur place.
Pour nous, membres de la communauté éducative sur ces territoires, ce n’est pas évident. On tente de motiver nos élèves, de leur dire de tenter leur chance. On leur dit qu’il faut qu’ils croient en eux, qu’il faut qu’ils aient de l’ambition. Mais au fond, on sait que les dés sont pipés. On sait que pour eux, ce sera toujours plus dur que pour les autres. On se retrouve donc à défendre un système dont on sait qu’il est défaillant et discriminatoire.
Et leur rapport à la police ?
En tant qu’assistante sociale, je recueille la parole d’élèves qu’il faut parfois réorienter vers la police. Ben, c’est très compliqué d’essayer de les convaincre d’aller déposer plainte. Ils ont peur, une peur profonde. Même lorsqu’ils sont victimes de violence, beaucoup ne dépassent pas leurs craintes et ne font pas appel à la justice pour qu’on reconnaisse leur statut de victime. Et lorsqu’ils passent les portes du commissariat, très souvent ils le regrettent rapidement face à l’accueil qui leur est réservé. Ça les incite à se débrouiller par eux même et à trouver d’autres solutions pour régler leur situation.
Quand on voit la police, ici, ils ne viennent pas pour faire de la pédagogie. Ils sont agressifs, comme s’ils étaient en guerre avec cette jeunesse, comme s’ils voulaient la mater à tout prix. On a tous vu, devant notre collège, des jeunes – des collégiens ! – se faire arrêter de façon violente pour des faits anecdotiques.
Avant d’arriver dans le 93, j’étais dans une autre région. Un élève de cinquième est venu me rapporter qu’un équipage de la bac l’a mis dans sa voiture avec un sac sur la tête pour le relâcher trois kilomètres plus loin. Je m’étais dit que ce petit avait un peu fantasmer son récit. Mais lorsqu’un second, un troisième vous dit la même chose, vous commencez à vous interroger. Et lorsque vous arrivez dans le 93 et qu’on vous raconte des choses similaires, vous êtes obligés de reconnaître qu’il y a un gros problème avec la police dans ces quartiers. On croirait à une guerre de gangs. Ca va plus loin que les contrôles au faciès. Et ce qui m’effraie le plus, c’est que les jeunes ont l’air de trouver cela normal aujourd’hui. Et les familles ont le même rapport à la police. « Moins je vois la police, mieux je me porte » disent-elles.
En plus de la peur, ces comportements de certains policiers animent une colère profonde. Les émeutes de ces derniers jours ne sont qu’un aperçu de cette violence. Il faut vraiment se hâter de trouver des solutions.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
*le prénom a été modifié