Alors que la fin d’année approche, les réseaux sociaux se font l’écho du désarroi profond des enseignants de physique-chimie, surtout de collège, qui voient leurs groupes à effectifs réduits fondre comme neige au soleil de juin ou tout bonnement disparaître. L’autonomie des établissements laisse toute liberté aux personnels de direction d’arbitrer quant à l’utilisation faite de la « marge horaire » existante. Et, de plus en plus souvent, les sciences expérimentales ne sont plus prioritaires en dépit des enjeux liés à l’évolution des élèves biberonnés au tout virtuel en manque d’une approche concrète du monde qui les entoure et du fait scientifique.
A l’échelle nationale, il existe un flou artistique concernant les seuils de dédoublements ou de création de groupes à effectifs réduits : de droit au 25ème élève pour la voie générale mais uniquement pour certains niveaux ? Qu’en est-il de la voie technologique avec un profil d’élèves très différent ?
Ceci entraine des choix multiples selon les établissements et ainsi une inégalité de traitement manifeste pour les élèves. Les heures d’autonomie, censées permettre aux établissements d’avoir une « souplesse d’organisation accrue », participent alors pleinement à la mise en concurrence des disciplines et à une bonne ambiance en salle des professeurs !
Je comprends la nécessité des heures d’orientation, de certaines options, des effectifs réduits dans d’autres matières mais pas si cela se fait au détriment de ma propre discipline et donc de l’épanouissement mais aussi de la réussite de mes élèves.
Comme chaque année, il va falloir argumenter dans les établissements pour montrer le bienfondé de notre requête au risque de passer encore et toujours pour des pénibles, ou mieux des égoïstes, qui feraient passer leurs intérêts avant ceux des autres. Mais, au-delà des querelles de chapelle, il s’agit de défendre l’idée même du fondement de notre discipline : une science expérimentale garante d’une méthodologie, d’un geste technique et d’une culture scientifique commune accessible au plus grand nombre.
Physique-chimie : une science expérimentale
Comme toute science, les sciences physiques et chimiques s’appuient sur l’expérience. Ce sont donc des sciences expérimentales qui doivent amener l’élève à se « construire une représentation du monde relativement fiable ne dépendant pas des opinions, des croyances de chacun ».
Pour cela, l’élève doit se baser sur des « faits », des phénomènes tangibles, observables et il doit éprouver des hypothèses. Grâce à la mise en corrélation d’observations, il sera amené à des déductions puis à des conclusions souvent provisoires. Ces conclusions parfois imparfaites peuvent ensuite être affinées grâce à une expérience, une situation au moins en partie artificielle où l’on s’efforce d’isoler l’influence d’un facteur sur ce phénomène.
Pour que chaque élève s’inscrive efficacement dans cette tentative d’une meilleure compréhension de ces phénomènes obéissant à des lois, il doit manipuler, tester, se tromper, recommencer. Cette démarche individuelle peut participer ensuite pleinement à une réflexion collective. Ainsi, c’est la mise en relation des résultats de l’expérimentation qui arbitre la connaissance.
Une science expérimentale garante de la valorisation du geste technique
Nous commençons à bien mesurer les effets néfastes de la surexposition aux écrans sur la santé des enfants et des adolescents. Une des conséquences directes serait un moins bon développement de la motricité par manque d’activités ancrées dans le réel.
A titre d’exemple, cette année, j’ai pu constater cette difficulté surtout avec ma classe de seconde et ceci ne concerne pas que les élèves les plus fragiles. En effet, de bons élèves se trouvent parfois très déstabilisés quand on leur donne du matériel pourtant d’usage assez courant entre les mains. L’utilisation d’un entonnoir, la mesure d’une masse grâce à la balance, d’un volume grâce à l’éprouvette ne font visiblement plus partie des acquis du jeune lycéen qui, très souvent, a peu manipulé durant ses années de collège (et je ne parle même pas de l’école primaire).
Par ce constat, je ne veux pas jeter l’opprobre sur mes collègues qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont et qui renoncent parfois à donner du matériel aux élèves au regard des effectifs et je les comprends car la sécurité doit toujours être la priorité.
Pour échanger régulièrement avec des enseignants de collège (et pour l’avoir été durant 14 ans), ils sont assez unanimes pour dire qu’ils ne font plus le même métier. Que de passer de groupes d’une vingtaine d’élèves à des classes entières a forcément eu des incidences sur leur manière d’enseigner et que la manipulation a laissé peu à peu la place aux animations, vidéos ou « manip prof » et qu’ils n’ont pas d’autres solutions pour tenir le coup dans un cadre horaire de plus en plus contraint.
Alors, au lycée, il faut réexpliquer, montrer, rassurer puis mettre en situation réelle pour que les jeunes puissent développer des compétences expérimentales, puis extraire et analyser les informations liées à cette expérience.
Ce travail répétitif, chaque semaine, dans le cadre d’effectifs réduits peut contribuer la mise en place d’automatismes qui permettront une bonne réussite à l’épreuve finale d’ECE (Évaluation de Capacités Expérimentales) au baccalauréat pour les élèves qui poursuivent vers la spé physique et l’acquisition de compétences utiles au quotidien pour les autres.
Une science expérimentale garante de connaissances, solide rempart à la mésinformation
Comme j’avais déjà pu l’écrire il y a quelques mois, pour lutter contre la croyance aveugle aux « fake news » alimentant en continu les réseaux sociaux, il n’y a pas d’autre alternative que de laisser du temps à l’écoute, au dialogue afin de déconstruire avant de pouvoir avancer sur les chemins du savoir. Cette phase essentielle de l’apprentissage nécessite de pouvoir prendre en compte la parole de tous dans des conditions acceptables. A 35, pour être très claire, c’est juste impossible.
Au regard des dernières enquêtes internationales, il semble important de s’inscrire dans une nouvelle dynamique et de partir de ce constat de réalité bien attristant pour redonner sa place aux sciences, synonyme de progrès, à l’école puis plus largement dans notre société.
Pour le vivre, j’estime que les sciences expérimentales et, plus particulièrement ma discipline, ont été négligées depuis plusieurs années. Ce sentiment qui pourrait passer pour une croyance a longuement été développé dans le rapport des inspecteurs généraux Dominique Obert et Laurent mayet, réalisé en juin 2021. Celui-ci insistait déjà sur la perte horaire marquée pour les élèves des voies scientifiques et redisait que : « les enquêtes internationales confirment les résultats des évaluations nationales et révèlent notamment la fragilité des connaissances en physique-chimie et des capacités à les mobiliser pour résoudre une tâche lors de la scolarité obligatoire, puis à nouveau un déficit de connaissances et une difficulté dans les applications qui engagent la maîtrise de langages scientifiques et notamment mathématiques en fin d’enseignement secondaire scientifique ».
Ce rapport notait aussi que « la réalité quantitative des pratiques expérimentales observées n’est globalement pas à la hauteur des préconisations des programmes, notamment au collège et au lycée professionnel ».
A défaut d’« un plan sciences » ambitieux dont nous n’avons encore pas véritablement vu la couleur, redonnons un cadre national quant aux effectifs qui permette à chaque élève d’exprimer sa potentialité dans de bonnes conditions d’apprentissage et de sécurité. Je veux croire qu’il est toujours temps d’inverser la tendance et qu’il sera un jour possible de dire : Groupes à effectifs réduits en physique-chimie … c’est mieux maintenant !
Aurélie BADARD
Professeure de physique-chimie