Pour le père du lycée professionnel, la réforme apporte plusieurs changements positifs. Daniel Bloch considère que la participation des entreprises à la formation des lycéens justifie le financement des stages par l’État. Que le Pacte ne serait finalement pas une si mauvaise idée – puisqu’il finance en grande partie des tâches déjà assurées par les enseignants – s’il n’augurait pas des économies de postes. Pour autant, il estime qu’elle manque d’ambition. Selon lui, il faut un baccalauréat en quatre ans avec un semestre supplémentaire consacré à la formation en milieu professionnel pour tous les élèves. Il livre son analyse dans cette tribune.
Un certain nombre de ces annonces sont bienvenues, mais aussi que d’espérances déçues, comme celles exprimées, dès le 4 mai, par l’association des Régions de France, dont le communiqué souligne, comme l’ont fait depuis la plupart des organismes représentant les personnels de l’enseignement professionnel, le manque d’ambition de ce projet : « La réforme aurait également gagné à investir davantage dans la promotion du lycée professionnel dans sa mission d’ascenseur social. Le lycée professionnel constitue aujourd’hui et devra être plus fortement encore demain : une voie d’excellence pour l’acquisition simultanée du savoir et de la compétence, une voie de référence pour la compétitivité de nos entreprises et la carrière de nos diplômés, une voie importante pour l’accès à l’enseignement supérieur de cette part importante de la jeunesse ». On en est loin.
Gratification des lycéens : pourquoi pas
La première proposition – mesure 1 – lourde d’engagements financiers, et qui fera date, vise à attribuer aux élèves une gratification liée aux périodes de stage. Elle témoigne d’une reconnaissance de l’apport de chaque élève à l’activité de l’entreprise ou du service qui l’accueille. Elle peut développer l’estime en soi. Les critiques à l’égard de cette proposition sont essentiellement liées au fait que ces gratifications sont attribuées par l’État. Peut-on suggérer, pour atténuer ces critiques, et franchir un pas de plus, que les entreprises ou les services bénéficiaires de ces stages ajoutent leur contribution ? Quitte à mobiliser pour cela une fraction de la taxe d’apprentissage qui leur est imposée. Mais ici se pose une question d’importance, sur l’exemple du baccalauréat professionnel, qui peut être préparé, en trois années en alternance, soit sous statut scolaire ou encore sous contrat d’apprentissage, pris en compte dans le calcul des droits à une pension de retraite. Les bacheliers professionnels issus de l’apprentissage auront-ils droit à un retraite à taux plein trois années avant ceux des lycées professionnels ? Alors qu’à peine plus de 10 % des bacheliers professionnels sont formés aujourd’hui en Centres de formation d’apprentis (CFA), cette dissymétrie pourrait mettre rapidement nos lycées professionnels en grandes difficultés et les finances publiques sous pression.
Pacte : un point à clarifier
La seconde annonce majeure – mesure 10 -se rapporte au PACTE pour le lycée professionnel. Elle se traduit traduisant par l’attribution de primes aux enseignants volontaires pour « favoriser la réussite et un meilleur accompagnement des élèves ». : 7500€ par an. Tout sauf négligeable, et également bienvenues. D’ailleurs, s’ils étaient traités comme nos d’écoles ou nos collèges, la plupart de nos lycées professionnels seraient considérés comme partie prenante des réseaux prioritaires, les REP+, compte tenu des catégories socioprofessionnelles dont relèvent leurs élèves. Avec des primes pour les enseignants. Pour le baccalauréat professionnel, près de 60 % des élèves relèvent de catégories socioprofessionnelles défavorisées, une proportion atteignant même 80 % pour les élèves du CAP. D’autant plus, qu’à l’exception notable des remplacements de courtes durée, ces tâches supplémentaires sont déjà en partie assurées. Une question cependant : le suivi des stages en milieu professionnel des élèves est aujourd’hui pris en compte dans les services statutaires des enseignants. S’il ne doit plus l’être, car inclus dans le PACTE, il y aurait ici, en contrepartie, des économies en termes de postes d’enseignants, bien cachées, s’ajoutant à celles liées à l’augmentation des semaines de stage en terminale professionnelle. Un point à clarifier.
D’autres propositions qui semblent oublier l’existant
D’autres propositions sont d’importance plus modeste. Il en est ainsi de la proposition 6 « Mieux préparer à l’insertion professionnelle grâce à des partenariats extérieurs » et de la proposition 9 « Créer un bureau des entreprises dans chaque lycée » : deux propositions intéressantes même si elles semblent ignorer l’existence dans chaque lycée professionnel d’un directeur délégué aux formations professionnelles et technologiques en charge des relations avec les partenaires économiques et institutionnels des bassins d’emploi/formation auquel est intégré leur établissement, mais en responsabilité également de dispositifs de validation de l’expérience professionnelle, de l’insertion professionnelle des élèves et de l’animation du pôle de stages.. Nous ne reviendrons pas sur la proposition 11 qui appelle à l’accompagnement des chefs d’établissement lors de leur prise de fonction, même si ceux-ci ont souvent exercés préalablement la fonction de chef d’établissement adjoint. Nous n’insisterons pas non plus sur la mesure 7, visant à rénover en permanence le contenus des diplômes existants en corrigeant, année après année, la carte des formations – un engagement dont il faudra suivre la mise en œuvre, tant il a été renouvelé depuis 50 ans, sans pour autant avoir été effectif autant qu’il eût fallu. Nous ne reviendrons pas non plus sur la proposition 12, qui revient chaque année en boucle, consistant à « Permettre une nouvelle approche pédagogique du lycée professionnel autour du projet de l’élève ».
Une préparation au baccalauréat à quatre ans
La question spécifique du baccalauréat professionnel est traitée à travers de multiples propositions. Il s’agit tout d’abord d’accroître le nombre de classes à effectifs réduits, particulièrement en seconde (mesure 2), puis de l’ouverture d’options en terminale par analogie aux terminales du baccalauréat général comme technologique(mesure 3). Il s’agit également d’introduire des terminales en partie différenciées selon le projet d’avenir envisagé par l’élève: insertion professionnelle directe ou la poursuite d’études (mesure 4) ou encore (mesure 8), de développer des formations de spécialisation d’une année au-delà du baccalauréat, pour 10 % des bacheliers. Des mesures à caractère incrémentiel, alors qu’il eût fallu des mesures bien davantage disruptives. On ne peut que regretter ainsi l’absence d’une remise en cause de la contreréforme de 2009 qui avait réduit de 4 à 3 années la durée de sa préparation, alors que pourtant le niveau des élèves sortant du Collège et entrant en formation professionnelle régressait de façon considérable. Cette contreréforme a ainsi conduit à une baisse du niveau de compétences et en conséquence à la dévalorisation du baccalauréat professionnel à l’entrée du marché du travail. De plus, contrairement à l’argument mis en avant, en 2009, suivant lequel un baccalauréat professionnel en trois ans devrait être plus attractif qu’une formation y conduisant en 4 ans, c’est le contraire qui est survenu. Un baccalauréat professionnel en quatre ans débouchant de façon convenable sur l’emploi est plus attractif qu’un baccalauréat en trois ans, mais dévalué. De plus, on remarquera, et ceci est loin d’être anodin, que même si dans certaines spécialités, pour des métiers considérés comme en tension, les conditions d’accès à l’emploi sont encore convenables, il ne faudrait pas en déduire que les compétences attestées par le diplôme sont suffisantes. Les entreprises font souvent, dans ces métiers, avec ce qu’elles ont, même si elles aussi pourraient espérer mieux. Plutôt que de prendre appui sur les quatre mesures « incrémentielles » ainsi proposées, dont certaines très coûteuses, il eût fallu aller plus loin, avec un nouveau baccalauréat professionnel dont la préparation s’étendrait sur quatre années. Un projet disruptif, car il pourrait impliquer une innovation majeure, à savoir une année supplémentaire consacrée pour un semestre à la formation en lycée professionnel et un autre semestre à la formation en milieu professionnel. Compte tenu aussi des perspectives démographiques scolaires à la baisse, et aussi des coûts associés au quatre mesures évoquées ci-dessus, qui n’auraient, pour l’essentiel, plus leur raison d’être, tout cela aurait un coût limité.
D’autres remarques conduisent également à remettre fortement en cause la réforme proposée. Elle ignore tout d’abord l’existence des formations préprofessionnelles des Collèges, alors qu’une fraction importante – environ un tiers des entrants en lycée professionnels – en est issue. Un ordre de grandeur du nombre d’élèves situés dans ces structures ignorées de tous, ou presque, est fourni par l’effectif des inscrits aux épreuves nationales du Brevet, option professionnelle, épreuves passées en fin de classe de troisième : 85 000. On y trouve notamment des élèves des classes de troisième dite prépa-métiers ou de découverte professionnelle, avec leurs 30 000 inscrits, des classes de troisième des sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) avec leurs 23 000 inscrits ou encore les 13 000 élèves des troisièmes agricoles. Une réforme en profondeur de l’enseignement professionnel ne peut les oublier. Un silence d’autant plus surprenant que des professeurs de lycée professionnel sont présents dans ces trois dispositifs.
Quid des CAP et des BTS ?
La seconde remarque : il existe, pour l’enseignement professionnel, à côté du baccalauréat professionnel et de ses 180 000 diplômes délivrés chaque année, les Certificats d’aptitude professionnelle (CAP) avec leurs 160 000 diplômés. Pourtant, là encore, se pose, globalement, mais aussi pour chacun des CAP, la question du niveau de compétences attendu et, en conséquence, celle du dispositif nécessaire afin de le faire acquérir. Un allongement de son temps de préparation, avec là encore, un semestre de formation supplémentaire en lycée, et un semestre en milieu professionnel mérite là d’être envisagé. Dans le cadre d’une scolarisation pour tous, qui s’étendrait alors jusqu’à l’âge de 18 ans.
Le projet de réforme ignore le CAP. Mais il ignore tout autant le BTS et ses 120 000 diplômés. En fait un projet élaboré dans le seul cadre des enseignement des lycées. De cette absence résulte ainsi une absence de référence à l’adaptation entre les flux de sortie, à l’issue du baccalauréat professionnel et ceux à l’entrée en BTS. Sans compter la question de l’orientation des bacheliers vers l’enseignement supérieur, avec le dispositif Formasup qui maltraite les bacheliers technologiques comme professionnels. De cette fermeture sur soi résulte également l’absence de toute référence au Bachelor professionnel, alors qu’une réforme du BTS analogue à celle qu’a connu le DUT avec le Bachelor universitaire de technologie s’impose, dans le cadre de la construction d’une filière cohérente et complète pour nos enseignements professionnels. Et comment traiter d’une réforme de l’enseignement professionnel sans ouvrir le dossier de la formation initiale des enseignants intervenant dans les lycées professionnels, du CAP jusqu’aux BTS, une formation dont personne ne nie qu’elle pose question. Mais comment faire sans les enseignements supérieurs ? Mais aussi quel silence assourdissant sur les Campus des métiers et des qualifications, dont la réussite nécessite une collaboration étroite entre les enseignements scolaires et supérieurs, mais aussi avec les collectivités territoriales et les entreprises. Des murs entre les enseignements professionnels secondaires et supérieurs, qui se reconstituent très vite, dès l’heure où ils sont abattus. Des murs de châteaux-forts bien anachroniques.
Daniel Bloch
