Le 1er février dernier, l’Observatoire des Zones Prioritaires (OZP) organisait une rencontre sur le thème « L’Éducation prioritaire : comment faire réseau ? », une rencontre dans la continuité de la table ronde « Réseaux, travail collectif, pratiques professionnelles : quelles évolutions ? » organisée le 19 novembre dernier par l’association. Comme bien souvent, l’OZP a donné la parole aux acteurs de terrain. Céline Vallée, coordinatrice, Isabelle Siriex directrice d’école élémentaire du REP+ Besson à Paris et Laurent Kauffman, principal du collège Rep Fabien de Montreuil. Chacun d’entre eux livre au Café pédagogique sa définition de « Faire réseau »
Laurent Kaufman un une longue carrière dans l’Éducation nationale. « Je suis rentré dans l’institution à 30 ans après avoir voyagé et exercé de nombreux métiers » nous confie-t-il. « J’ai commencé comme CPE, je suis ensuite passé par la case responsable de formation continue. Aujourd’hui, je suis personnel de direction et cela depuis 14 ans en Seine Saint Denis. J’ai toujours exercé en éducation prioritaire ».
Faire réseau : un collectif qui s’implique
Pour Laurent Kauffman, faire réseau, ce sont avant tout « des femmes et des hommes qui s’impliquent ». Quant au rôle des équipes de direction, c’est le lien avec les partenaires qui prime pour le chef d’établissement, « ouvrir l’établissement sur le quartier et également aller vers les acteurs du quartier pour que l’établissement soit vu comme un lieu de vie ». Un pas vers l’autre qu’il explique par le besoin de se connaître pour accepter de travailler ensemble et ensuite faire réseau. . Laurent Kauffman ne minimise pas la difficulté de cette tâche, « C’est une gageure quand l’organisation temporelle est si différente entre le 1er et le 2nd degré. Mais à force de persuasion et de moments conviviaux on y parvient ».
Faire réseau, c’est aussi formaliser l’information avec les enseignants (passage du premier au second degré…) et les professionnels de santé (Psy, AESH…). « On constitue les classes à partir de ces informations et on prolonge les projets d’accueil individualisé pour assurer un bon suivi aux élèves et à leur famille ».
Il évoque aussi des temps de formation communs, qu »il est loin d’être évident à mettre en place. « Par exemple sur le réseau du collège Fabien dont je suis le principal, nous avons organisé une formation sur la laïcité pour l’ensemble des acteurs – personnels communaux, départementaux, enseignants, professionnels » détaille-t-il. C’est dans les interstices de ces moments communs que se tissent des liens précieux. On organise aussi des observations croisées pour apprendre à se connaître. Et on essaye de faire venir des professeurs des écoles dans le collège pour des actions de remédiation – devoirs faits ou autre. C’est toujours émouvant de voir la réaction des collégiens quand ils revoient leur « maitre ou maîtresse » ».
Toujours dans cette main tendue, dans cette volonté de faire réseau, le principal travaille avec les associations de quartier qui aident à faire venir les parents éloignés de l’école.
Solidarité : le maître mot en éducation prioritaire
Isabelle Siriex est directrice de l’école élémentaire Tourtille en REP+. « J’ai commencé ma carrière dans l’éducation nationale en 1988 en Seine Saint Denis, j’y ai enseigné dans plusieurs communes Sevran, Pantin, Montreuil, Noisy le Grand dans des zones qui sont toutes désormais en éducation prioritaire » nous raconte-t-elle. « Aujourd’hui, j’enseigne à Paris. Sur 35 années d’ancienneté, seules cinq se sont déroulées hors éducation prioritaire ».
Enseigner en éducation prioritaire est loin d’être une tannée pour la directrice. « Dans les écoles en EP, j’ai travaillé avec des équipes motivées réellement engagées et le partenariat avec le tissu associatif est l’occasion de soutenir la réussite scolaire par des approches différentes ».
Pour Isabelle Siriex, la solidarité est le maître mot de l’exercice en éducation prioritaire. « Ce n’est pas un vain mot et à de nombreuses reprises je l’ai expérimentée auprès de familles à la suite d’événements difficiles. Je reste convaincue après toutes ces années qu’au-delà de mes missions d’enseignement je peux contribuer autrement à améliorer les conditions d’apprentissage des élèves qui me sont confiés chaque jour. Le tissage indispensable conditionné par le travail dans un REP+ avec des partenaires choisis et motivés est un axe fort de ma pratique professionnelle. En tant que directrice d’école, j’ai l’occasion de faire du lien autour des élèves et de leurs familles. Quand la relation de confiance est installée, les familles acceptent plus facilement les propositions faites tant dans l’école que sur un territoire ».
Se connaître pour travailler ensemble
Pour Isabelle Siriex, pour faire réseau en éducation prioritaire, il faut connaitre son territoire, appréhender les ressources possibles et analyser les besoins repérés pour les élèves et leurs familles. « Chaque quartier a ses spécificités et derrière l’étiquette REP+ se cachent des réalités bien différentes » ajoute l’enseignante . « Le Bas Belleville est depuis de nombreuses années une terre d’accueil et les parcours migratoires y sont nombreux et se sont diversifiés au fil des ans. La connaissance géographique du quartier est également un atout pour mieux comprendre les familles, et faire ainsi des liens lorsque certaines situations hors les murs surgissent à l’école. Loin de moi l’idée de l’omniscience dans la vie des familles mais l’impact de la rue est tel que le méconnaitre par souci de discrétion et de distinction du temps scolaire et du temps de la famille est un réel écueil. Aller à la rencontre des partenaires de terrain, apprendre à se connaitre, participer à des évènements du quartier – festival, rencontres sportives… – sont autant d’occasion de donner une visibilité à l’école, d’en partager les attendus et de lever les implicites sous-jacents à l’enseignement. Avec mes collègues directrices et directeurs d’école issus du même réseau nous partageons nos observations et mutualisons les ressources pour renforcer la cohérence du parcours des élèves. Chaque parcours est différent et selon les besoins, les aides apportées seront spécifiques. L’analyse que nous pouvons faire des différents évènements du quartier nous donnera toute légitimité pour soutenir les élèves ».
Faire réseau permet aussi de faire front ensemble, de travailler ensemble lors de situations difficiles. « Des situations quelquefois dramatiques peuvent émerger dans la cour de récréation ; par exemple lors d’une rixe ayant occasionné la mort d’un jeune de 14 ans, ce sont les petits frères scolarisés en école élémentaire qui ont diffusé les faits. Les liens pré existants avec l’association d’éducateurs de rue ont permis de contenir les réactions des jeunes en prenant en compte la parole des tous, petits et grands pour tenter d’absorber cette terrible nouvelle ».
Faire réseau, au service des élèves
« Faire réseau c’est aussi l’occasion de s’appuyer sur les différents partenaires pour recentrer l’école sur sa mission première à savoir l’enseignement » complète Isabelle Siriex. « Les difficultés sociales peuvent parasiter les élèves dont on expliquera qu’ils ne sont pas disponibles pour les apprentissages et de même leurs familles dont les priorités souvent liées aux premières nécessités sont absorbées dans un quotidien difficile. En les adressant à différents partenaires, l’école permet de préserver leur dignité et leur légitimité de parents. L’école sera quelquefois le seul lieu où le parent englué dans de nombreuses difficultés sociales pourra exprimer des compétences, et alors lorsque l’école reconnait ces compétences chez le parent, le regard de l’enfant évolue et sa relation aux savoirs peut s’améliorer ».
« Accompagner les élèves et leurs familles dans nos écoles de REP+ relève d’un subtil équilibre entre proximité et soutien » conclut la directrice. « C’est souvent un exercice périlleux, c’est toujours un travail de dentelle mais exercer en réseau d’éducation prioritaire est une formidable opportunité d’activer de nombreux leviers au service de la réussite des élèves. Les premiers fondements de l’éducation prioritaire « donner le plus à ceux qui ont le moins » doivent persister dans nos pratiques : ils donnent du sens et permettent de compenser les inégalités ».
Coordo Rep, une fonction centrale
Céline Vallée est coordinatrice REP /REP+ dans le REP+ BESSON. Elle rappelle la mission du coordonnateur. « Il ou elle doit faire vivre le réseau, vaste projet qui est animé par un objectif commun à tous les membres du réseau : l’inscription des élèves du réseau dans un parcours de réussite de la classe de toute petite section à la classe de 3ème, et même au-delà, lors de l’accompagnement dans les choix d’orientation ». Pour mener à bien cette mission, il faut « créer du lien entre les différents acteurs, de développer la connaissance du territoire dans lequel s’inscrivent le réseau et ses ressources, d’accompagner une réflexion pédagogique s’appuyant sur la complémentarité des différents professionnels pour trouver des réponses collectives et construire d’une culture commune, tout cela dans l’inter-degrés et l’inter-métier.
Faire réseau nécessite donc de créer du collectif, tel que le préconise Le Référentiel de l’éducation prioritaire dans son axe 4 : Favoriser le travail collectif de l’équipe éducative, référentiel qui guide les réseaux d’éducation prioritaire depuis 2014 ».
Céline Valée rappelle le rôle prépondérant des instances institutionnelles pour faire vivre les réseaux (COPIL, réunions de directeurs et directrices, concertations inter-degrés, conseils des maitres et pourquoi pas d’autres collectifs…) et du lien nécessaire avec les partenaires du territoire.
La prochaine rencontre de l’OZP aura lieu le 29 mars. La thématique abordera la mixité sociale à l’école, sujet au combien politique et d’actualité.
Lilia Ben Hamouda