Les ceintures de compétences, ou ceintures de couleurs de Fernand Oury, beaucoup de professeurs des écoles connaissent et pratiquent depuis longtemps. Dans le second degré, c’est beaucoup plus rare. Julie Plouvier, professeure d’anglais en est adepte. Elle explique ce qui l’y a amenée, comment elle les met en place et pour quels bénéfices.
L’école est le théâtre d’une multitude d’émotions. L’enfant puis l’adolescent se construit sur les plans physiques, émotionnels, intellectuels et psychologiques. Ces changements s’opèrent plus ou moins heureusement selon la personnalité, le cadre familial et social, et l’environnement amical.
Aussi arrive-t-il parfois, que certains élèves développent une confiance en eux insuffisante pour savoir gérer l’erreur ou l’échec, qui au fil du temps devient la norme dans leur parcours scolaire, quitte à pratiquer l’auto-sabotage dans certains cas. Malgré une posture ou un discours qui afficherait un refus d’étudier, de s’impliquer dans les apprentissages ou de s’adapter aux règles de classe, les intentions sont en réalité toutes autres. Chaque enfant a un désir d’apprendre, de se mêler et partager avec ses pairs, de se sentir valorisé et compétent.
L’évaluation en ce sens peut être un facteur de démotivation, voire de renoncement. L’élève en difficulté et n’ayant pas la capacité psychologique de dépasser les émotions ressenties par l’échec ne sera plus en mesure de fournir les efforts nécessaires pour progresser. Comment alors évaluer au plus juste, et permettre que cette action soit ressentie par l’élève comme un bilan d’acquisitions de connaissances et compétences et non comme une sanction déterminant sa propre valeur ? Comment donc, dédramatiser l’erreur et valoriser les progrès ?
Fernand Oury et ses ceintures de couleur
C’est en me posant ces questions et par le témoignage de collègues professeurs des écoles que je me suis intéressée aux ceintures de compétences. Celles-ci sont mises en place en élémentaire dans plusieurs disciplines, mathématiques, français (lecture, orthographe) et même pour valoriser le savoir-être (ceintures de comportement). Je lis et j’écoute alors l’enthousiasme d’enseignants : “mes élèves sont très motivés par les ceintures de couleur, ils se sentent fiers de progresser”, ou “tous les élèves progressent, peu importe leur niveau, et à leur rythme”. Je pense à mes propres élèves, d’abord ceux qui ont renoncé car ma discipline est une épreuve, la langue étant pour eux incompréhensible. Je pense aussi aux élèves désireux d’avancer, par appétence ou par besoin d’apprendre.
C’est Fernand Oury (1920 – 1998), instituteur et judoka (il était ceinture noire) qui intègre les ceintures de couleur dans sa pédagogie. Lorsqu’il commence à enseigner, il observe la grande hétérogénéité de ses élèves (ils sont en effet 45 élèves de CE2) et réfléchit à une manière de la prendre en compte pour que chacun puisse apprendre et progresser. C’est ainsi qu’il découvre Freinet et modifie sa pédagogie tout en intégrant et transposant dans sa classe les éléments de sa pratique du judo, c’est-à-dire les ceintures de couleurs. Chaque couleur représente un niveau de compétence, et l’élève s’entraîne pour obtenir la ceinture visée. Une fois acquise, l’entraînement se poursuit pour obtenir la ceinture suivante (exemple, blanche, puis jaune, puis orange, etc.).
Mises en place des ceintures dans mes classes
Beaucoup de professeurs des écoles se sont emparés de ce système et les retours d’expérience sont majoritairement très positifs voire dithyrambiques. Les réflexions issues de la lecture de témoignages m’ont conduites à rédiger les descripteurs de ceintures (quels items doivent être acquis pour qu’un niveau (= une couleur) soit maîtrisé dans chacune des activités langagières). Puis, s’en est suivie la création des contenus de chaque ceinture et de leur entraînement.
L’enthousiasme n’a pas été immédiat chez mes élèves. En effet, l’évaluation dans sa manière traditionnelle est un processus qui s’ancre très vite dès l’entrée en sixième. Bien souvent, en fin de chapitre ou de leçon, intervient l’évaluation, identique pour tous, dont le niveau sera mentionné par une note, qui apparaîtra dans le bulletin. Les ceintures viennent bouleverser ce système pour plusieurs raisons.
- Le droit à l’erreur : pour valider une ceinture, l’élève doit réussir au moins 80% des éléments à maîtriser. Certains items peuvent être acquis, d’autres pas. Il ou elle pourra donc s’entraîner à nouveau, repasser la ceinture, et l’obtenir lors d’un deuxième voire troisième essai si nécessaire.
- L’adaptation au niveau de l’élève. Tous n’ont ni les mêmes compétences ni les mêmes facilités. Un élève dont la compréhension de la langue est faible pourra se préparer aux ceintures inférieures, alors que celui qui possède une bonne maîtrise visera les ceintures supérieures.
- La coopération. En observant les judokas, Fernand Oury s’est aperçu que, malgré des niveaux très différents au sein d’un même groupe, ils avaient la capacité de coopérer. En classe ce principe s’applique également. Des élèves ayant validé une ceinture deviennent des ressources disponibles pour ceux qui s’y entraînent. Deux élèves qui souhaitent passer la même ceinture peuvent s’entraîner ensemble, chacun profitant de l’émulation du binôme tout en ayant le même objectif individuel (“on gagne ensemble”).
- La confiance en soi. Se tromper et parfois échouer fait partie de la vie au quotidien. Il arrive fréquemment de ne pas être dans les meilleures dispositions physiques ou psychologiques avant un examen, une évaluation, un entretien, et cela peut dans certains cas mener à l’échec, alors même que des efforts d’apprentissage et de mémorisation ont été fournis. La répétition de ces conditions ou la répétition d’erreurs due à une non compréhension du contenu du cours entraîne irrémédiablement une perte de confiance en soi et c’est alors une spirale négative qui peut s’enclencher. La possibilité de recommencer sans tenir compte des échecs précédents et la visualisation concrète des progrès (affichage des ceintures validées) permet de susciter la motivation et la fierté d’avoir atteint un niveau, puis un autre, et ainsi de suite.
Résultats de la mise en place chez les élèves
Cependant, au fil du temps, les élèves ont alors réalisé les avantages qu’offrent les ceintures. Ils se sont alors emparés du dispositif avec engouement et la relation à la discipline en a été modifiée. Le climat de classe est serein, propice au bien-être.
J’ai également observé un changement au niveau des apprentissages. Les efforts sont réalisés pour acquérir des savoirs, des connaissances, des compétences, et non pour obtenir un chiffre convenable (la note) aux yeux de l’élève ou de ses parents. Avec les ceintures, ce sont les progrès qui sont mesurés de manière visible et tangible (je passe d’une couleur à une autre, je change mon étiquette sur le tableau des ceintures). L’angoisse et le stress diminuent voire disparaissent.
La notion de plaisir est également bien présente, induite par l’absence de pression liée à l’échec mais aussi par l’entraide et la coopération. L’élève n’est plus seul f ace à ses leçons et exercices, il peut partager ses questionnements, ses incompréhensions ou difficultés avec ses pairs et développer ses compétences grâce au groupe. Chacun se sent alors pris en compte et écouté dans son parcours.
Enfin, dans mes classes, les ceintures de compétences ne pourraient être mise en place sans le plan de travail, car les situations de coopération ne sont pas uniquement liées à l’évaluation. Elles sont également souhaitables voire nécessaires dans les activités à réaliser en classe, qu’elles soient libres ou obligatoires. Il en va de même pour les notions de responsabilité et d’autonomie inhérentes à cette pédagogie.
Mon regard sur l’évaluation
Au fil de mes réflexions sur l’évaluation, il me paraît plus juste et pertinent de porter un regard global sur les compétences de l’élève. Ce sont mes observations des réussites ou des difficultés qui me permettent de savoir où en est l’élève dans ses apprentissages. La maîtrise de l’écriture, du langage, de la compréhension orale et écrite, la capacité à prendre le temps de la réflexion ou à organiser son travail, tous ces éléments sont des observables qu’il est possible de mesurer sans avoir recours à l’évaluation classique, chiffrée, telle que majoritairement pratiquée dans le secondaire.
L’élève est évalué en permanence par son ou ses professeurs: chaque prise de parole ou chaque ligne d’écriture atteste d’un niveau de maîtrise que l’enseignant analyse instantanément, sans même parfois le conscientiser. En outre, les ceintures attestent elles-mêmes d’un niveau de maîtrise, il est donc devenu pour moi inutile de proposer des évaluations communes à intervalles réguliers comme je le faisais avant.
Pratiquée ainsi, l’évaluation donne le droit, donc, d’essayer, de se tromper et de recommencer pour finalement progresser.
Julie Plouvier
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Administratrice du groupe Facebook Ceintures de compétences en LV