Alors que le Ministre annonçait sa stratégie dans le domaine « Numérique pour l’éducation » lors de son dernier déplacement, force est de constater, qu’il n’a pas grand-chose de nouveau sur le plan pédagogique. On peut même s’interroger sur l’annonce d’un PIX en 6ème alors que l’heure de cours de technologie et les enseignants qui vont avec disparaissent à la prochaine rentrée… Le Café pédagogique vous présentait en exclusivité les documents de travail sur lesquels réfléchissait la rue de Grenelle. Pas de gros changements sur le fond entre la première version et celle présentée par le ministre jeudi et vendredi derniers, juste une « toilettage médiatique ».
Afin de « mieux parler », de « mieux communiquer », les services de l’État développent des stratégies de communication et mettent en œuvre les moyens de « faire de la pédagogie ». Cette dernière expression que l’on retrouve souvent dans la bouche des commentateurs dès lors qu’un propos est mal compris, qu’un texte fait polémique, se traduit par des habillages habiles qui doivent permettre à des propositions ou des décisions d’être au minimum comprises, au mieux acceptées. On comprend cette exigence d’être compris du public auquel on s’adresse. Mais on peut aussi s’interroger sur ce que cela révèle ou cache sur le fond des questions abordées. Le ministère de l’Éducation n’est pas étranger à cette manière de faire comme on a pu le constater lors de la visite des 26 et 27 janvier du ministre à Poitiers en vue de présenter la « stratégie » dans le domaine du « numérique pour l’éducation » définit ainsi dans le document présenté : « Numérique pour l’éducation : inclut le numérique éducatif ainsi que la conduite du changement, l’innovation et les activités de support en lien avec l’éducation. » Pour la compréhension de tous il faut donc aussi reprendre l’autre définition : « Numérique éducatif : désigne la gouvernance et l’animation des acteurs, l’organisation de l’ensemble des infrastructures informatiques, des équipements, des services et outils numériques, et des ressources numériques utilisés dans des activités pédagogiques et éducatives, ainsi que la formation aux compétences numériques. ».
D’une version provisoire à une version publique
La préversion dont nous avons disposé et que nous avons présenté ce 27 janvier a donc été revue. Le texte de la stratégie numérique présentée par le ministère de l’Éducation a subi un « toilettage médiatique » de la part des services communication. En effet, une étude comparative du texte qui a circulé en amont et celui qui a été mis en ligne le 27 janvier 2023 met en évidence la manière dont est organisée l’information en direction des médias et du grand public. Ne nous y trompons pas, il s’agit d’un habillage, les questions de fond demeurent. Nous reprenons ci-dessous certains de ces points que la communication a mis en évidence :
Le Compte ressource pour les enseignants qui est apparu ici semble « nouveau« , mais en réalité c’est un habillage du GAR (Gestionnaire d’accès aux Ressources imposé dans les ENT) et les financements des collectivités (en 2019 on peut lire un point sur ces financements) pour des ressources au service des enseignants que nombre d’entre elles ont, depuis longtemps, développé. Si d’une part les enseignants sont peu concernés par ce compte, les expériences antérieures dans ce sens n’ont pas vraiment eu de succès.
Le paradoxe du collège : au moment où on annonce la suppression de la techno en 6ème, le ministère annonce un PIX 6ème et surtout un renforcement des programmes en 5ème, 4ème et 3ème. On s’étonne d’ailleurs que la dénomination officielle « cycle 4 » ne semble pas avoir atteint les rédacteurs du discours du ministre… où sont passés les cycles ?
L’EMi. Alors que depuis début 2022 outre le vadémécum et qu’un texte réglementaire (Circulaire du 24-1-2022) a été diffusé, le ministre annonce une action d’éducation aux médias en oubliant tout ce qui se fait (la semaine de la presse… cette ancienne pratique) et ce qui a été préconisé en début 2022… Cela ressemble à de « l’actualisation »
On peut lire aussi cela : « La vision stratégique est publique et place les enfants, leurs familles, les enseignants et tous les acteurs de l’éducation au centre des orientations. ». Que voici une belle phrase qui est censée amadouer la sphère médiatique qui ne sera pas dupe, espérons-le, de ces éléments de langage bien connus… Rappelons-nous les propos de tous les ministres sur le sujet depuis 1989… jusqu’à la loi d’orientation de l’époque jusqu’à la loi Peillon de 2013… et aussi par la suite. Hors de question de ne pas y faire allusion si l’on veut paraître « démocratique ».
Éléments de langage ou messages ciblés ?
On peut aussi noter que la présentation retenue (graphique et structure) met en exergue certains éléments qu’il est nécessaire d’interroger au-delà des éléments de langage qu’ils tentent de faire passer.
Ainsi en est-il de la proposition de « réunions politiques » (page 17) dont on voit qu’elles ont pour objectif de rapprocher les collectivités locales qui ont aussi en charge le numérique
Quant à la proposition du tableau de bord et de la cartographie (page 18), c’est, en creux, la preuve que le ministère n’avait pas les éléments de pilotage nécessaires…
Étonnamment le ministère évoque l’équipement individuel des élèves (collège lycée) et l’indique comme souhaitable pour le primaire…. On comprend là qu’il y a une rupture avec le précédent ministre et que la crise sanitaire ainsi que les démarches de nombreuses collectivités (certaines depuis vingt ans, comme dans les landes) qui équipent individuellement les élèves (Île-de-France, Grand-Est, Normandie, Occitanie) ont fait changer l’attitude du politique sur le numérique. En espérant que ce ne soit pas simplement un aveu de constat… et d’évidence… de ce qui est de plus en plus présent sur le terrain des établissements. Encore faudra-t-il accompagner cela, et pas seulement avec des « ressources »…
Reprenant le refrain des compétences numériques des élèves (aïe que le B2i est loin, aussi imparfait soit-il il était largement précurseur) le ministère est face au paradoxe actuel : « À l’école élémentaire, l’enjeu est à la fois de minimiser l’exposition aux écrans et de développer l’aisance au numérique » Ce refrain qu’on entend depuis plusieurs mois accompagne bien sûr les interrogations sur le progrès technique et la relation que l’école peut entretenir avec lui autour de l’éco-responsabilité. Est-ce le grand écart ? D’autant plus que « Participer à l’objectif de former 400 000 à 500 000 professionnels du numérique supplémentaires d’ici à 2027 » ainsi que c’est écrit dans le texte « officiel » ne laisse aucun doute sur les attentes du secteur professionnel (lobbying du Syntec entre autres ?).
On pourra aussi s’amuser de cette proposition : « Des professeurs, notamment de NSI ou de SNT, sont en attente d’une « forge » qui leur permettrait de collaborer entre pairs et de partager du code informatique. » alors qu’elle était suggérée en 2012, à l’aube des formations informatiques réinstaurées en lycée, et qu’elle n’a pas abouti…
Parole de DNE
La dernière partie du document officiel diffusé ce 27 janvier 2023 intitulée « De nouvelles règles du jeu pour un système d’information ministériel au service de ses utilisateurs » concerne en particulier ce qui va être de l’ordre de la doctrine qui devrait être publiée prochainement, lorsque la consultation prévue (qui se termine le 31 janvier) aura été « exploitée ». Il s’agit de ce que l’on peut appeler l’invisible du numérique pour l’éducation. Invisible pour la plupart des acteurs, dès lors qu’ils se contentent d’utiliser les applications avec leurs qualités et leurs défauts, mais très sensible pour tous les responsables nationaux et locaux qui connaissent bien les tracas de ces « infra » tout comme les collectivités qui sont aussi dans la boucle de ces problèmes. On peut penser qu’il s’agit d’une sorte de reprise en main de la structure antérieure des développements informatiques dont l’éclatement dans les services académiques avait généré des incohérences et des disparités importantes…
De la communication à l’action, en attente d’actions concrètes
Finalement de la relecture de ce texte, il apparaît que la communication du ministère a su trouver quelques axes pour s’adresser aux enseignants, aux familles, moins aux élèves et pas du tout aux responsables des établissements scolaires. Il apparaît aussi que le pilotage ne peut se passer désormais des collectivités, ces structures qui financent ou co-financent le numérique pour l’éducation. Celles-ci attendent beaucoup de ces évolutions qui devraient leur permettre de ne plus être simplement aux ordres de l’État, mais bien de participer réellement, à condition que ce qui est l’action de fond de l’éducation, la pédagogie dans les classes soient plus lisible pour elles et surtout plus co-responsabilisée avec les financeurs. Certes, la loi pour l’instant laisse ce volet pédagogique comme territoire ou prérogative de l’État, mais si le politique veut davantage d’autonomie, il faudra qu’il lâche du lest et aille réellement vers de réelles collaborations. Et non pas, ce qui est trop souvent le cas, des confrontations, voire des oppositions….
Ce document est opportun et nécessaire. Il rejoint les impulsions politiques voulues pour la période 2023 2027 et qui sont déclinées depuis quelques mois. On y identifie une forme d’embarras actuel autour du numérique en éducation. Nous sommes probablement au milieu du gué. D’une part, une volonté d’améliorer l’infra et d’autre part une certaine tempérance pour encourager et développer les usages en classe.
Bruno Devauchelle