« Cette exigence de l’innovation est une exigence quotidienne largement partagée par mes collègues de l’ombre ». À la veille du Forum des enseignants innovants 2022, Aurélie Badard, un pilier des premiers Forums, revient sur son parcours. Avec une pincée d’amertume. Et beaucoup d’énergie encore pour ses élèves.
Poursuivre le chemin de l’innovation
Cette invitation au forum des enseignants innovants du 25 novembre m’a amenée à réfléchir à cette injonction pressante et assez étonnante à l’innovation.
Depuis 25 ans, dans les différentes missions que j’ai pu occuper au sein de l’éducation nationale : professeure de physique-chimie, chargée de mission école entreprises, coordinatrice pédagogique au sein d’un CFA, j’ai toujours essayé d’inventer, de concevoir, d’imaginer parfois même d’improviser avec plus ou moins de succès.
Comme nombre de mes collègues, j’ai quand même poursuivi sur ce chemin, car, pour moi, c’était une façon de m’épanouir dans mon métier en sortant des sommations à suivre telle ou telle mode du moment et surtout une façon d’amener les élèves vers le progrès en m’adaptant aux besoins de l’instant.
Même si je ne porte plus de projets à grande échelle comme j’ai pu le faire au collège par le passé, j’ai continué mes expérimentations à l’échelle de mes classes, et encore, pas dans toutes, car, en terminale, la pression du programme et les échéances des épreuves de Mars ne laissent pas vraiment place au tâtonnement et au droit à l’erreur !
Pas de valorisation
Est-ce que cette posture qui consiste à faire le pas de côté nécessaire pour voir ce qui n’allait pas, à proposer des axes de progrès a été valorisée par le système ? Je ne pense pas. Est-ce que j’ai eu le sentiment de gêner ?? Souvent. D’être encouragée ?? Rarement.
Quand j’ai obtenu un prix au Forum des enseignants innovants en 2012 à Orléans, j’étais touchée par cette reconnaissance même si elle ne provenait pas de l’institution et j’imaginais que cela me permettrait de pousser plus loin mon souhait d’une pédagogie qui me ressemblerait, me permettant d’échapper un peu plus aux oukases. Mais je me trompais, le système éducatif aime les exécutants dociles, ceux qui ont fait serment de fidélité aux corps d’inspection et surtout qui ne font pas de vagues.
On te dit « démarche d’investigation », tu dois penser, respirer, rêver « démarche d’investigation » même si tu mesures bien vite les limites de l’approche. Et que PISA te confirme, plus tard, ce que tu pressentais.
On te dit démarche spiralaire et bien tu « spiralises » en attendant qu’on te dise l’inverse.
Je crois qu’avant d’inviter les enseignants à sortir de leur zone de confort pour se risquer à d’autres approches pédagogiques, il faudrait d’abord dire que beaucoup d’entre nous sommes déjà dans cette belle dynamique.
Malheureusement, nous sommes dans une société où « ce qui ne se voit pas, n’existe pas ». Alors si on commençait par valoriser ceux qui s’y collent depuis des années, les invisibles, ceux qui sont trop jeunes pour être vieux et trop vieux pour être jeunes, qui expérimentent dans leur classe au quotidien par choix ou par nécessité ! Ceux qui bossent sans relâche, mais qui ne font pas partie des courtisans les plus conformes.
Quelles sont les perspectives pour ces enseignants engagés, mais qui ne font pas partie des vassaux donneurs de leçons du premier cercle ? Clairement, je pense aucune !
J’ai été décorée des Palmes Académiques pour ma créativité, mais je sais que je ne ferai jamais partie de la shortlist de l’agrégation sur liste d’aptitude, par exemple, et que mes perspectives et mon avancement n’en seront pas pour autant favorisés.
Alors pourquoi continuer ?
Pour échanger régulièrement avec des enseignants croisés au cours des différents forums auxquels j’ai pu participer. Je peux dire que nous ne sommes pas de « super-héros » du quotidien et que nous sommes assez largement rattrapés par la lassitude du combat.
Mais nous continuons quand même parce que cette conviction de la nécessité de changer nos pratiques pour éviter le naufrage nous habite malgré tout.
Alors, tous les matins, quelles que soient les difficultés professionnelles ou personnelles, nous nous habillons d’un sourire et jouons le rôle de « Monsieur (Madame) Loyal » avec un maximum d’énergie, cette énergie qu’on n’imagine parfois même pas avoir.
Arrêtons de faire croire que les acteurs du système éducatif sont figés, sclérosés et de donner de nouveaux arguments à ses détracteurs pour le dénigrer. Oui, il a ses limites et devra évoluer. Mais cette exigence de l’innovation est une exigence quotidienne largement partagée par mes collègues de l’ombre : donner le meilleur de soi-même aux élèves pour leur donner l’envie d’en faire de même.
Aurélie Badard