L’évaluation des enseignants des premier et second degré pourrait évoluer rapidement avec le nouveau quinquennat. La publication par la Cour des Comptes d’un référé de janvier 2022 sur les inspecteurs du 1er et du 2d degré relance un débat déjà instruit par le Grenelle de l’éducation. La Cour recommande la révision des accords PPCR et l’évaluation des enseignants par leur supérieur hiérarchique immédiat, le chef d’établissement dans le 2d degré, le directeur d’école dans le 1er degré. Elle demande aussi la fusion des deux corps d’inspection et l’évaluation des inspecteurs par leur supérieur direct. Toucher à l’inspection pour changer le système.
Trop de missions
« La double enquête de la Cour montre que l’activité des inspecteurs est de plus en plus morcelée et que cet éparpillement s’effectue au détriment de leur mission première, qui reste le suivi des enseignants et l’appui pédagogique », écrit la Cour des Comptes dans son référé du 13 janvier 2022. Après un rapport qui voulait peser sur la campagne électorale, ce nouveau référé sur les inspecteurs des 1er degré (IEN) et du 2d degré (IPR) va dans le même sens , celui d’une transformation du système éducatif. En touchant à la position clé des inspecteurs dans le système éducatif, on modifie l’ensemble du système. Cette modification demandée par la Cour se ferait au profit d’une gestion directe par les supérieurs hiérarchiques immédiats, gommant pour les inspecteurs les garanties des corps nationaux.
Le référé estime que les 3650 inspecteurs des deux degrés ont trop de missions. « Les inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN), assurent le pilotage administratif et pédagogique de proximité des écoles et de leurs équipes enseignantes, en lien avec les directeurs d’école et les municipalités… L’importance des tâches de nature administrative effectuées aujourd’hui par ces inspecteurs ne leur permet pas de se consacrer suffisamment au suivi des enseignants dans leur classe, mission qui devient trop souvent la « variable d’ajustement » de leur activité. Dans le 2nd degré, où le cloisonnement disciplinaire est considéré comme un obstacle à l’efficacité du système éducatif, les questions pédagogiques transversales ont pris une importance croissante. Ce mouvement de fond est venu déstabiliser une partie des inspecteurs du 2nd degré dont la légitimité est assise sur la maîtrise de leur discipline et qui souffrent de devenir des « généralistes de l’encadrement pédagogique » ».
Les enseignants évalués par leur supérieur direct
Parmi ces missions, l’évaluation des enseignants dans le cadre du PPCR absorbe environ 30% du temps des inspecteurs et c’est ce temps là que la Cour souhaite récupérer. Elle souligne que « cette évaluation individuelle des enseignants est une spécificité du système éducatif français ». La Cour critique le PPCR. « Ce dispositif ne laisse qu’une place résiduelle aux réunions d’équipes autour de l’inspecteur, aux visites conseil, à l’accompagnement pourtant nécessaire des professeurs qui entrent dans le métier ».
Et la Cour introduit ses solutions. « Une solution alternative laissant davantage de place à l’entretien avec l’évaluateur de proximité qu’est le chef d’établissement dans le 2nd degré présenterait de nombreux avantages : elle pourrait prendre la forme d’un entretien professionnel annuel, à l’instar des pratiques des autres services publics ».
Dans le premier degré, « la remise à plat de l’organisation actuelle de la circonscription et du positionnement des inspecteurs semble impossible à atteindre sans reconnaissance d’une véritable autorité fonctionnelle aux directeurs d’écoles ».
Une vieille demande de droite
Ces recommandations ne sont pas vraiment nouvelles. Elles suivent la logique de la loi de transformation de la fonction publique qui vise à renforcer l’autorité des supérieurs hiérarchiques immédiats sur les personnels.
Dans le premier degré, les décrets d’application de la loi Rilhac précisant les champs de la nouvelle « autorité fonctionnelle » des directeurs d’école ne sont pas encore publiés. Le champ reste ouvert pour cette évolution. E Macron a déjà fait savoir qu’il souhaite qu’ils recrutent les enseignants, à l’image de ce qui est mis en place à Marseille. Leur mission pourrait évoluer aussi vers une évaluation des enseignants.
Dans le second degré, on retrouve dans la recommandation de la Cour des Comptes une vieille idée de la droite. En novembre 2011, Luc Chatel, ministre de N Sarkozy, fait préparer par sa DRH deux textes (décret et arrêté) que le Café pédagogique publie. Cette publication, avec les réactions qu’elle a entrainé, fait capoter le projet. Mais l’idée se retrouve encore dans un rapport de l’Inspection générale sur l’évaluation des enseignants en 2013.
Pour les enseignants, ces réformes modifieraient profondément leurs conditions de travail et la gestion du système éducatif. C’est probablement ce que cherche, avec une certaine continuité, la Cour des Comptes, de rapport en référé. C’est ce que nous voyons se mettre ne place dans le premier degré avec la loi Rilhac. C’est le projet du nouveau management public qui s’accompagne d’un encadrement local renforcé avec une hiérarchisation aussi au sein des enseignants.
Une évolution du métier d’inspecteur
La recommandation de la Cour entrainerait une évolution profonde du métier des inspecteurs. Ce que souhaite la Cour c’est la définition « d’un nouveau projet fonctionnel » pour les inspecteurs aboutissant à une fusion des deux corps d’IEN et d’IPR. On rejoint là aussi un projet ancien qui fait son chemin petit à petit dans l’Education nationale. JM Blanquer a déjà amorcé un rapprochement des carrières. « Le rapprochement fonctionnel entre les corps d’inspection, que la Cour appelle de ses voeux, permettra à la fois de renforcer les liens entre l’école et le collège, et, au sein du 2nd degré, entre les différents types d’enseignement, et de favoriser les processus d’évaluation collective. La fusion des deux corps d’inspection ne peut en être que la résultante de ce processus de rapprochement fonctionnel », écrit la Cour.
Pour cela, la Cour recommande aussi de changer la gestion des carrières des inspecteurs, gérées nationalement, selon le même principe que les enseignants. « Si le nombre relativement peu élevé des inspecteurs justifie, en partie, cette gestion centralisée, il est cependant peu satisfaisant que, pour des cadres dont l’action s’exerce quasiment exclusivement en académies, elle tienne si peu compte des avis et de l’expertise des responsables académiques… La gestion collective des inspecteurs ne prend pas suffisamment en compte leur rôle de cadre en académie et les préoccupations de leurs employeurs directs », écrit-elle. Elle veut aussi agir sur leur répartition. Elle constate que leur nombre varie fortement selon les territoires (un IEN pour 229 professeurs en moyenne mais un pour 307 dans le 93, un IPR pour 137 enseignants à Limoges contre un pour 228 à Versailles).
Que font les inspecteurs ?
En 2016, un numéro de la revue de l’AFAE avait poussé la réflexion sur l’évolution du métier d’inspecteur. Il montrait la multiplication de leurs missions. Et aussi la particularité du système français. Pour Xavier Pons on arrivait au bout d’un système. » C’est dramatique », nous disait-il. « Car on a des enseignants qui demandent des inspecteurs. Des inspecteurs qui entrent dans le métier pour aider à faire évoluer les pratiques pédagogiques. Des responsables académiques et nationaux qui ont intérêt à ces évolutions. Pourtant le système pèse avec l’émiettement des tâches, les hésitations sur les missions entre lesquelles on ne veut pas trancher. Tout cela fait que personne n’est satisfait. On ne pourra pas le trancher sans avoir une politique d’évaluation très claire, sans dire quelles sont les priorités, sans décider si on peut attribuer ou pas des fonctions à d’autres acteurs. Tant que cela ne sera pas tranché on aura ce gâchis. Car c’est cela qui se dégage ».
Mais il soulignait aussi le blocage sur l’évaluation des enseignants. « Les enseignants sont insatisfaits mais ils craignent encore plus des modes d’évaluation alternatifs. Les inspecteurs sont très déçus par ce système, qui leur laisse peu de marge personnelle, mais ils considèrent que leur coeur de métier est d’aller dans les classes ».
Plus récemment Eric Maurin a réussi une démonstration qui mériterait d’être portée à la Cour des Comptes. Il a calculé la rentabilité des inspections d’enseignants. » Il ressort que les inspections sont capables de bonifier les enseignants même quand ils ont accumulé 10 ou 20 ans d’expérience », écrit-il. « L’effet est particulièrement net en début en carrière mais il reste très significatif pour les professeurs expérimentés… Il semble bel et bien possible d’aider les enseignants à mieux faire face aux élèves et ce faisant à les faire progresser ». Et en plus pour pas cher car une inspection revient à environ 100€…
Les réponses des ministres
Les deux ministères (Finances et Education nationale) ont répondu à la Cour des Comptes, ce qui est la procédure normale. Du coté des Finances, B. Le Maire et O. Dussopt sont favorables à l’évaluation des enseignants par les chefs d’établissement et l’extension de cette mesure au 1er degré.
JM Blanquer fait une longue réponse où il relève que des chefs d’établissement sont formés au management et que les postes à profil augmentent (+14% en 2021). Autrement dit sans remettre en question la recommandation, le ministre ne semble pas prêt à aller plus loin.
C’est différent pour le premier degré où il annonce que « l’autorité fonctionnelle, qui doit être distinguée de l’autorité hiérarchique, clarifiera les missions du directeur d ‘école relatives à l’encadrement… et contribuera à la mise en œuvre de la délégation de compétences que le directeur d’école recevra de l’autorité académique ». La rédaction du décret d’application serait en cours.
François Jarraud
Le référé de la Cour des Comptes
L’évaluation des enseignants confiée aux seuls chefs d’établissement
Mais que font les inspecteurs ?