Faire de chaque cours une aventure dont seraient héros les élèves, partis à la conquête du savoir ? C’est l’ambition d’un projet mené par Cyril Mistrorigo, professeur de lettres au collège Albert Thomas à Egletons en Corrèze. La ludification passe ici par la transformation de la séquence en intrigue de type « Donjons et Dragons » : les élèves, qui se voient assigner une mission, doivent surmonter des épreuves et peuvent obtenir des « points de force » lors des évaluations. Dans ce dispositif susceptible de renforcer la motivation, le travail en équipes apparait comme la clef de la réussite : l’héroïsme cesse d’être perçu comme une performance individuelle, l’enjeu devient le déploiement et le développement des compétences collaboratives …
Dans quel contexte avez-voua mené ce travail ?
Le cours est une séquence pédagogique pour le niveau 5ème. Avec pour objectifs la fréquentation de textes littéraires issus principalement de la littérature d’Heroïc Fantasy (Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux, Bilbo le Hobbit ou encore La Quête d’Ewilan), l’écriture d’extraits d’une histoire longue, le travail en groupes. Ce cours est l’occasion de poursuivre et d’améliorer une expérimentation qui avait été menée pendant l’année 2020-2021 et qui s’était montrée prometteuse.
Quel est le principe de l’expérience ?
Le principe est le suivant : les élèves sont les héros et héroïnes d’une aventure. Lors de cette aventure, ils et elles vont apprendre, découvrir et travailler les mêmes compétences que dans une séquence pédagogique habituelle, mais sous le biais de la ludification. Le support pédagogique se présente sous la forme d’une longue bande dessinée, dont les dessins ont été récupérés sur différentes plateforme d’art digital, réagencés pour créer une intrigue à la manière des « Livres dont vous êtes le héros », puis étoffés d’encart narratifs et de bulles de dialogue (malheureusement, la plupart des images n’est pas libre de droits).
Pourquoi un tel fil directeur ?
J’avais déjà réalisé certaines activités sous la forme d’une ludification, mais trop ponctuelles et peu récurrentes. Les élèves appréciaient, mais je trouvais ça surfait. Ça arrivait comme un cheveu sur la soupe, et repartait. Le but de cette séquence était de réussir à rendre le tout cohérent, du début du récit à la fin de l’histoire, en passant par la question de l’apport des évaluations ou de l’investissement en classe.
Quelle est l’intrigue ?
Une jeune combattante du village d’Egletons, poursuivie par un sombre personnage, a réussi à fuir, mais a disparu. Le village fait alors appel à des chevaliers ancestraux : ce sont les élèves. Ils vont devoir affronter tous les dangers pour la retrouver.
Quel est le dispositif de travail ?
Les élèves seront placés en équipes de 4 ou 5. Elles et ils vont obtenir des points de force. Ces points sont obtenus par leurs réussites sur les différentes évaluations (maîtrise de l’orthographe / écriture / compréhension de l’écrit / oral). En vert, je gagne 3 points ; en vert foncé, je gagne 5 points. Mon personnage va ainsi gagner en efficacité puisqu’il peut affronter des monstres en utilisant un dé à 6 faces, puis à 20, puis à 100 (les dés des jeux de rôles le permettent), créer des formules magiques, inventer des potions, etc. En outre, les élèves gagnent des points de vie en participant. Ces points permettent d’être touché•e sans mourir instantanément. Ils constituent une réserve importante pour la conduite de l’aventure.
Quel est le rôle de l’enseignant ?
Une part de la création de l’univers repose sur le conteur (l’enseignant•e) qui doit improviser et raconter les combats de telle sorte qu’ils puissent faire vibrer les élèves, car le déroulement de ces moments ne dépend que des résultats aléatoires du dé. Un coup impair peut ainsi devenir « un crachat de feu qui s’abat sur l’épaule d’un combattant » ou « une attaque composée faite d’une boule de glace qui se brise en harpons tranchante sur l’échine d’un dragon ». Pour renforcer l’imprégnation de l’univers, le cours, c’est-à-dire l’histoire en bande dessinée, est projeté au tableau, en couleur, avec les pastilles sons, les vidéos et les gifs qu’il contient. Le contenu aide ainsi par son aspect multimédia à constituer une séquence active et saisissante.
Quels effets positifs percevez-vous chez les élèves ?
Le constat le plus frappant est l’enthousiasme né de la cohérence de chaque partie du cours. Les élèves sont motivé•e•s par le fait que leur personnage va évoluer et constituer, avec ceux de leurs camarades, un réel atout pour vaincre dragons et forces maléfiques. On remarque également que l’instauration d’un temps de révision, de partage et d’apprentissage en groupe, avant les évaluations ou après la découverte des notions, devient ainsi logique et naturel : puisque chaque membre du groupe a des capacités uniques qui permettent de rendre l’équipe quasi imbattable, chaque membre doit réussir au mieux. Les élèves prennent donc conscience très rapidement que c’est l’équipe qui doit « marquer des points ».
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Cyril Mistrorigo dans Le Café pédagogique