Et si on assimilait mieux les connaissances qu’on est amené à enseigner ? Peut-on adapter cette hypothèse jusque dans un domaine aussi complexe que l’acquisition du vocabulaire ? L’exemple en est donné par Alexia Bonnet au collège Jean-Jacques Rousseau à Labastide Saint-Pierre dans le Tarn-et-Garonne : en 5ème, lors d’une séquence autour d’« Yvain ou le chevalier au lion », diverses activités conduisent les élèves à faire advenir, à enrichir, à transmettre du lexique autour du Moyen-âge. « En leur donnant la possibilité de devenir des passeurs de vocabulaire, je cherche avant tout à les initier à une démarche qui les conduit à apprendre par eux-mêmes, à vérifier et à renforcer leurs apprentissages en cherchant à les transmettre à d’autres. ». Inspirant et transférable ?
Ce travail sur le vocabulaire trouve sa place et son sens dans une séquence plus large autour d’« Yvain ou le chevalier au lion » et même d’un projet interdisciplinaire : pouvez-vous nous dire quelques mots des autres activités menées dans ce cadre ?
Ce travail de vocabulaire mené dans le cadre d’un projet interdisciplinaire avec un professeur d’Histoire peut également être réalisé dans une séquence de Français à partir de l’étude d’une œuvre intégrale médiévale. Il me semblait cependant intéressant d’y associer mon collègue puisque les élèves avaient déjà travaillé autour du Moyen-âge avec lui. L’activité de vocabulaire a été préparée en classe puis intégrée à une sortie culturelle interdisciplinaire à Carcassonne durant laquelle tous les élèves du niveau 5ème ont pris en charge à tour de rôle des activités proposées à leurs camarades. Certaines classes ont ainsi présenté des fabliaux, d’autres ont mené des activités pour découvrir la légende de Dame Carcass ou ont accompagné la réalisation de blasons. Une des classes de 5ème que j’accompagne cette année a, quant à elle, proposé trois activités ludiques autour du lexique médiéval. Ce travail de vocabulaire s’articule à celui de l’oral (récit oral, écoute d’un fabliau), de la lecture (étude d’extraits et approche transversale de l’œuvre intégrale), de la langue (expansions du nom, conjugaison des temps du récit, champs lexicaux) et de l’écriture (récit d’un combat entre deux chevaliers).
Vous commencez le travail spécifique sur le lexique en faisant émerger « le déjà là » des élèves : selon quelles modalités ?
J’ai choisi de leur proposer un échange verbal en binôme à partir d’associations d’idées. Le principe est simple : un mot fait penser à un autre qui fait lui-même penser à un autre mot. Parfois l’association des deux premiers mots permet d’en trouver un troisième. Les élèves ont retranscrit sous la forme d’une carte mentale l’ensemble des mots trouvés. J’ai choisi ce dispositif pour plusieurs raisons : d’une part, l’oral entre pairs facilite la spontanéité des réponses. D’autre part, la carte mentale permet de mener plus facilement un classement par champs lexicaux et de distinguer plus aisément les mots acquis lors des cours d’Histoire, ceux connus grâce à la lecture de l’œuvre lue en amont de la séquence ou ceux appartenant aux connaissances personnelles des élèves. Certains ont même su retranscrire le souvenir de la rencontre de quelques mots : cela a été une belle occasion de leur montrer que le vocabulaire pouvait s’apprendre grâce aux conversations, aux lectures ou lors de situations parfois improbables. Nous avons constaté ensemble que les événements vécus lors de la rencontre d’un mot pouvaient participer à fixer le souvenir de ce lexique et c’est aussi sur ce principe que repose l’activité “passeurs de vocabulaire”.
Comment procédez-vous pour amener les élèves à enrichir leur lexique ?
Comme mes collègues, j’essaie de faire du mieux que je peux mais ce n’est pas une tâche facile ! Je fais de l’acquisition du lexique l’objectif principal de certaines séances et je cherche à articuler ces dernières avec le reste du travail mené durant la séquence. L’acquisition et la maîtrise du vocabulaire renvoient aux compétences « Lire, Dire et Écrire » et le choix des textes étudiés en classe est à ce titre essentiel : le vocabulaire utilisé dans certains textes considérés comme résistants peut alors devenir un atout. Je fais depuis plusieurs années le choix de ne plus accompagner les extraits étudiés d’un appareillage lexical : je préfère demander aux élèves d’identifier les mots qu’ils ne comprennent pas et je favorise la réflexion sur les stratégies qui permettent de retrouver le sens d’un mot. Cela constitue une première étape car comprendre les mots ne suffit pas pour les faire siens : des activités d’appropriation menées à l’oral et/ou à l’écrit sont indispensables. Pour cela, j’utilise par exemple régulièrement la fleur de vocabulaire. Cette activité m’a été présentée par des collègues formateurs du CASNAV de l’académie de Toulouse. Il s’agit de travailler à partir d’un mot et de demander aux élèves de répondre à une consigne par pétale (un pétale « champ lexical », un pétale « mots de la même famille », un pétale « mots étrangers », un pétale « dessin du mot », un pétale « mot dans des phrases », …). Enfin, pour renforcer l’acquisition du lexique, les travaux d’écriture ou les activités orales de réinvestissement constituent des temps importants d’appropriation.
Vous ambitionnez de faire des élèves des « passeurs de vocabulaire » : de quelle façon ?
Cet intitulé d’activité m’est venu en voyant faire les élèves : en effet, ils avaient d’abord reçu ou construit un savoir qu’ils faisaient ensuite passer à d’autres élèves. Le dispositif repose sur un changement de posture des élèves : ces derniers n’ont pas pour seul objectif leur apprentissage personnel puisqu’ils visent également l’acquisition du lexique par d’autres élèves. Transmettre le lexique acquis passe par les échanges verbaux lors de la réalisation des activités proposées par les élèves (schéma à légender, mots mêlés et mots fléchés). Les élèves ont appris à questionner ou à guider leurs camarades plutôt que de donner directement une réponse : ces reformulations entre pairs sont aussi très intéressantes pour l’acquisition du vocabulaire.
Comment jugez-vous l’engagement des élèves dans ces diverses activités créatives et interactions orales ? Comment en évaluez-vous l’efficacité ?
En devenant passeurs de vocabulaire, les élèves ont pu vivre une expérience dans laquelle ils en savaient plus que d’autres et cela s’est révélé très motivant pour eux. De façon générale, je les ai vus se considérer comme des experts de cette connaissance au fur et à mesure des séances. Il est important de souligner qu’en dehors des temps de travail spécifiques autour de ce projet, nous avons évoqué à chaque séance le vocabulaire médiéval. Cela m’a permis d’en mesurer l’appropriation progressive par chacun avant d’évaluer la présence et l’utilisation à bon escient de ce lexique dans le travail d’écriture final (récit d’un combat entre deux chevaliers). Plus que la maîtrise de ce vocabulaire, j’ai observé un changement plus grand encore chez les élèves : grâce à l’appropriation de termes comme heaume, haubert ou écu et en étant initiés à la démarche d’acquisition du vocabulaire, l’apprentissage de mots nouveaux leur semble désormais plus accessible.
A la lumière de l’expérience, en quoi vous semble-t-il intéressant de conduire ainsi les élèves à « apprendre pour enseigner aux autres » ?
Ce qui relevait pendant longtemps d’une intuition pédagogique m’est soudain apparue comme une évidence lorsque je l’ai formulé en échangeant avec les élèves. Nous discutions lors d’une séance de préparation d’une évaluation et nous nous interrogions sur la meilleure façon d’acquérir certaines notions. Spontanément, je me suis entendue leur dire que j’avais acquis de façon beaucoup plus efficace les connaissances que j’avais été amenée à enseigner. En effet, transmettre une connaissance nécessite de la maîtriser mais aussi de savoir la vulgariser ou de savoir la reformuler de plusieurs façons pour pouvoir la partager avec un interlocuteur. Toutes ces opérations renforcent la connaissance qui s’imprime alors mieux en nous. Il n’y a rien d’innovant là-dedans mais cette prise de conscience a modifié le type d’activité que je peux proposer aux élèves. En leur donnant la possibilité de devenir des passeurs de vocabulaire, je cherche avant tout à les initier à une démarche qui les conduit à apprendre par eux-mêmes, à vérifier et à renforcer leurs apprentissages en cherchant à les transmettre à d’autres. C’est sur ce type de principe que repose par exemple le dispositif du marché de connaissances. Cependant, il me semble important de souligner qu’il ne s’agit en aucun cas d’appliquer cette approche à l’ensemble des apprentissages menés en cours de français : ces dispositifs ne sont que des outils parmi d’autres à disposition des enseignants pour engager les élèves à devenir acteurs de leurs apprentissages.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Le diaporama présentant l’activité
Comment enseigner l’oral par Alexia Bonnet dans le Café Pédagogique
Séance proustienne avec Alexia Bonnet dans Le Café pédagogique