Le 6 mai 2021, le ministre de l’Education nationale a publié une circulaire médiatique contre l’écriture inclusive. Or il s’avère qu’elle défend l’écriture inclusive dans ses aspects les plus centraux (féminisation des noms de métiers, recours à des formulations de type « les recteurs et les rectrices »…). Il s’agit en réalité d’une circulaire contre le point médian, dénoncé en particulier comme un « obstacle pour l’accès à la langue d’enfants confrontés à certains handicaps ou troubles des apprentissages. » Combattre le point médian, est-ce vraiment aider les élèves dys ? Réponses éclairées et éclairantes : d’une part de Celia Guerrieri, dys, professeure de lettres, autrice de deux guides de survie pour l’élève dys au lycée et pour son enseignant.e ; d’autre part de Pauline, dys, 21 ans, étudiante en informatique.
Célia Guerrieri : Aider vraiment les dys
« Je laisse aux linguistes, aux grammairiennes et aux historiennes de la langue la question du point médian en lui-même. Toutefois, c’est avec une certaine surprise que j’ai pu constater que les élèves dys étaient prises à parti dans ce débat. Étant dys moi-même et enseignant à des élèves dys dans des ateliers qui leur sont réservés, la question me touche intimement.
Il y a quelques années, j’ai présenté aux élèves que j’avais en atelier quelques groupes nominaux écrits en écriture inclusive. Un instant de pause, puis les élèves eurent deux réactions: « Oui, j’arrive à lire » et « Il m’a fallu deux secondes, mais ensuite je n’ai pas eu de souci. » Depuis, je propose cet exercice bref, afin de savoir. Il faut le dire : de toutes les élèves dys que j’ai eues à charge, aucune n’a mentionné être gênée par ce point médian, mis à part ce premier instant déstabilisant. Bien entendu, mes élèves dys sont des élèves de lycée général et technologique. Peut-être n’est-ce pas le cas pour des élèves plus jeunes ou dans d’autres voies.
Après tout, qui pourrait prétendre parler pour toutes les personnes dys ? Nous sommes toutes profondément différentes, car nous avons eu des parcours différents.
Mais n’est-ce pas là que les efforts devraient plutôt porter ? Dans la recherche d’une prise en charge qui permettrait à chaque élève dys, quel que soit son parcours, d’avoir les mêmes chances pour faire face aux difficultés ? Avec des formations plus régulières pour les enseignantes qui le demandent, avec un plus grand nombre d’AESH afin qu’elles puissent s’occuper de façon suivie des élèves qu’elles ont en charge, avec des aménagements aux examens repensés, en particulier pour l’exercice de lecture à voix haute aux EAF, profondément discriminant pour la vaste majorité des dyslexiques, et pour l’exercice de grammaire, qui l’est tout autant pour les dyscalculiques.
J’espère la poursuite de ce regain d’intérêt pour la réussite scolaire des élèves dys et je ne doute pas qu’elle pourra mener à une authentique réflexion de fond afin de véritablement mettre en œuvre tous les moyens concrets nécessaires à cette réussite. »
Pauline : les véritables freins à la lecture
« Posons les bases : j’ai appris à lire, écrire, compter « seule » (j’étais encadrée par ma mère pour le français et par un simple livre pour les mathématiques) à l’âge de 5 ans (j’étais dans ma dernière année d’école maternelle). Mes classes de CP au CM2 ne me posaient de problèmes qu’en géométrie, conjugaison et lecture. Mais c’est en arrivant au collège que ces problèmes se sont révélés être des difficultés majeures. Je lisais très lentement, sans comprendre ni retenir ce que je lisais, je ne finissais jamais mes interrogations dans le temps réglementaire, et je n’avais aucune leçon d’écrite entièrement car ma graphie était trop lente par rapport aux autres élèves. Je fus diagnostiquée dys (et pas que) en janvier 2012.
L’écriture inclusive a pour but, à mon sens, à la fois d’inclure toutes les personnes indépendamment de leur genre ressenti, mais aussi à la fois de casser cette « règle » du genre masculin utilisé quelle que soit la majorité. Depuis que je l’ai découverte en lisant un article sur internet, je me suis mise à l’utiliser. Je la trouve respectueuse envers tou•te•s (ou toustes) les lect•eurs•rices (ou lecteurices). De plus, elle était déjà utilisée dans certains documents administratifs. Par exemple, « Né(e) ou admis/admise » est déjà une forme d’écriture inclusive. Pour ma part, en tant que personne dys, l’utilisation du point médian ne me gêne pas plus que cela. En revanche, ce qui m’handicape et qui m’a posé problème tout au long de ma scolarité, c’étaient des consignes trop peu claires, des textes écrits avec des polices d’écriture comportant des empâtements (qui sont quelque chose de tellement ralentissant) ou des interlignes trop petits. D’ailleurs, je prends mes cours exclusivement sur traitement de texte depuis maintenant 6 ans, et j’ai passé l’intégralité de mes examens sur ordinateur avec un traitement de texte. Sur ce logiciel, j’utilise les caractères non imprimables (qui sont des points médians) et cela m’aide beaucoup. Que l’écriture inclusive se fasse avec des dash (« tiret du 6 »), des apostrophes ou des points réguliers, cela m’est égal. L’utilisation de cette écriture, indépendamment du caractère qui est utilisé, n’est pas un frein à la lecture pour moi, contrairement à la taille de la police, des interlignes, et des empâtements. »
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
La circulaire sur l’écriture inclusive :
Enseigner aux dys, par Célia Guerieri