La publication de l’enquête TIMSS ces jours derniers a été largement commentée; elle montre que la France est, en mathématiques, la dernière de tous les pays européens, et l’avant-dernière de l’OCDE, juste devant le Chili, en 4ème comme en CM1. Ce n’est pas une surprise : les enquêtes PISA montrent des résultats semblables, sans aucun progrès ces dernières années. Si l’on ne veut pas d’enquêtes internationales, qui pourraient ne pas prendre en compte correctement le génie français, on peut regarder les enquêtes CEDRE, du ministère de l’éducation nationale. Elles donnent des résultats comparables, bien documentés par les notes d’information de la Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance. Une note de mars 2019 compare les résultats en calcul des élèves de CM2 de 2017 et de 1987: elle montre une baisse régulière des performances, le niveau moyen de 2017 étant celui des 5% les plus faibles en 1987; l’élève moyen de 2017 est au même niveau que le cancre de 1987.
On pourrait se lamenter sur ces résultats; je préfère y voir un message encourageant.
Depuis des années, quand je discute de cette question, on me dit que ces changements, comme le nombre d’élèves qui arrivent au baccalauréat, sont des évolutions sociologiques de long terme, et inaccessibles aux politiques éducatives; on ne peut rien contre la société. Mais quelles sont ces politiques?
Entre 1997 et 2019, la dépense intérieure d’éducation est passée de 7,7% du PIB à 6,6% : en proportion de la richesse du pays, un septième du budget total de l’éducation a disparu. Les enseignants français, tout le monde le reconnaît, sont parmi les plus mal payés d’Europe; leurs salaires sont bloqués depuis 10 ans : en 2006, Robert Gary-Bobo et ses co-auteurs (1) estimaient déjà leur perte de pouvoir d’achat en 25 ans à 20%, et cette perte a continué depuis. La désastreuse réforme de mastérisation, qui a reculé d’un an le premier salaire d’un nouvel enseignant, a fait s’effondrer à partir de 2009 le nombre de candidats pour devenir professeur de mathématiques (et aussi d’anglais, de lettres classiques…); ce nombre de candidats n’a pas remonté depuis. Une proportion importante, presque la moitié dans certaines académies, des nouveaux professeurs sont des ingénieurs en reconversion, car il reste peu de candidats étudiants; ce sont le plus souvent de bons professeurs, mais est-il sain qu’il y ait si peu de jeunes candidats? La profession est-elle si peu attractive? Et que fera-t-on quand ce vivier sera épuisé? La majorité des professeurs des écoles sont recrutés parmi des étudiants qui ont arrêté les mathématiques après la seconde, et qui ont fait des études de lettres ou de sciences de l’éducation; ils suivent ensuite un master MEEF pour professeur des écoles, qui ne comprend souvent que 30 heures de mathématiques : ils arrivent donc dans les écoles avec des connaissances tellement faibles, en calcul comme en géométrie, qu’ils ont du mal à enseigner une discipline qu’on ne leur a donné aucune chance d’aimer, et encore plus de mal à penser la didactique de cette discipline. Le ministère a interdit avec constance, pour des raisons de principe, les tentatives de licences pluridisciplinaires qui pourraient entre autre former des professeurs des écoles : c’est ce qu’on appelle l’autonomie des universités. La formation continue des enseignants a continuellement reculé pour faire quelques économies, et se réduit aujourd’hui à une poignée de jours par an, toutes disciplines confondues, dans le primaire (elle est facultative dans le secondaire). Les programmes sont modifiés de façon chaotique, sans aucune tentative d’y impliquer la communauté éducative, malgré ses propositions, et sans cohérence : des notions ou des méthodes nouvelles sont introduites de façon abrupte puis retirées quelques années après, donnant raison aux plus immobilistes de professeurs.
Si, dans ces conditions, le niveau des élèves ne bougeait pas, ce serait désespérant : cela voudrait dire que les enseignants et leur formation ne comptent pas, que tous les efforts qui ont pu être faits à une époque étaient vains, et que l’action politique n’a aucun effet.
Ce n’est pas ce que nous disent TIMSS, PISA et CEDRE; ils nous montrent au contraire que des politiques désastreuses ont des effets forts. Evidemment, des effets désastreux. Mais des politiques contraires ont eu des effets remarquables dans les années 60 et les années 80. Il suffirait de changer de direction.
Pour le moment, on n’en prend pas le chemin. La réforme du lycée produit les effets prévus : comme le ministère l’a noté avec satisfaction, seuls 41% des élèves de terminale générale ont choisi la spécialité mathématique, et 17% les mathématiques complémentaires (Les mathématiques ne sont enseignées que comme choix; pour le ministre, elles ne font pas partie de la culture commune). La proportion des élèves de lycée qui étudient les mathématiques est donc passée de 85% à 58%; elle a particulièrement baissé parmi les filles et les élèves défavorisés, comme cela était prévu par plusieurs des participants à la commission Mathiot de réforme du bac. Un des résultats intéressants de ce recul est une forte baisse du nombre de cours de mathématiques à assurer, qui diminue la pression sur le recrutement : puisqu’on ne trouve plus que difficilement des professeurs de mathématiques, le plus simple est de supprimer les cours correspondants. Dans ces conditions, il est aussi fort probable qu’il va devenir encore plus difficile de trouver des professeurs des écoles ayant des notions de mathématiques, ce qui va accentuer le problème de l’enseignement primaire. La réforme du recrutement qui est en train d’être imposée actuellement va à nouveau reculer le recrutement d’un an, et faire baisser l’attractivité de la profession, et le nombre de candidats. C’est tout à fait logique : le ministre actuel fut, en 2009, le directeur des enseignements scolaire qui a participé à la mise en place de la première réforme du recrutement qui a abouti au résultat actuel. Il est normal qu’il continue dans ce sens.
Ces politiques, comme les précédentes, vont avoir des effets que nous lirons dans la prochaine édition de TIMSS et de PISA. Peut-être, un jour, si les responsables changent, en tirerons-nous les conséquences?
Pierre Arnoux
Professeur à l’université d’Aix-Marseille, vice-président de la commission Française de l’enseignement mathématique,
président sortant du comité scientifique des IREM
(1) Les traitements des enseignants français, 1960-2004 : La voie de la démoralisation, par Btissam Bouzidi, Touria Jaaidane et Robert Gary-Bobo, Revue d’économie politique 2007/3 (vol 117), pp. 323-363