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Cette fois-ci ils ont visé l’Ecole. Cinq ans, presque jour pour jour, après les attentats de 2015, l’Ecole doit apporter une réponse éducative au crime sauvage qui nous touche tous. L’émotion est-elle moins forte qu’en 2015 ? Non. Mais cette fois-ci c’est l’Ecole qui a été attaquée directement par le terrorisme. C’est un enseignant qui a été assassiné. La guerre s’est abattue sur nous.

Il est important de souligner que cet attentat est extérieur à l’Ecole. L’agresseur n’est ni un élève, ni un parent d’élève. L’enquête aura à le définir, mais il a probablement agi sur commande et on a choisi de frapper l’Ecole. La personnalité de la victime, ses qualités pédagogiques ne sont pour rien dans cet assassinat. C’est celle de l’agresseur qui explique ce meurtre. Samuel Paty est tombé victime d’une violence construite en Tchétchénie et peut-être télécommandée d’ailleurs. L’Ecole ne peut pas résoudre cette situation. La réponse est d’abord policière. Et il est urgent que le ministère apporte des réponses claires à ce sujet.

Là où l’Ecole peut agir c’est dans le choix d’aggraver le mal ou d’éviter qu’il ne se propage. Le défi que nous adresse le terroriste c’est le défi intérieur. Les terroristes cherchent à dresser les communautés les unes contre les autres. Il est important de ne pas encourager les amalgames. Attaquer les musulmans en les désignant tous comme complices de cet assassinat c’est faire gagner les terroristes. C’est ce qu’ils veulent.

Tricher sur nos valeurs c’est aussi aider les terroristes. Or la République n’est pas à la hauteur de ses valeurs. Elle est laïque mais de fait la discrimination s’est glissée partout et elle vise en particulier les musulmans. Cela se voit dans l’accès à l’emploi, dans l’inégalité dans l’accès au logement. L’Ecole reste encore un lieu où tous les enfants sont accueillis. Il faut faire les efforts nécessaires pour que cela reste possible. Et pour que cette ouverture s’accompagne d’une réelle égalité des parcours scolaires.

Tricher sur nos valeurs a aussi un aspect pédagogique. Pour accueillir tous les enfants l’Ecole doit avoir la confiance des parents. Elle doit parfois la regagner, d’autant plus que le ministre souhaite interdire l’enseignement à domicile. Cette question s’était déjà posée en 2015. Claude Lelièvre rappelle les propos des anciens ministres de l’Education nationale consultés par N Vallaud-Belkacem. G de Robien disait que « ce qui va être préconisé ne doit en aucun cas pouvoir être perçu comme de l’anti-religion ». Benoit Hamon : « il ne s’agit pas de mettre l’accent sur ce qui doit unifier mais sur ce qui doit rassembler en veillant à ce que chacun puisse avoir sa place ». Jean-Pierre Chevènement rappelait les paroles de Jules Ferry dans sa lettre aux instituteurs de 1883 : « Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire… Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment ». Etre fidèle à la République c’est déjà ne pas trahir ses principes.

Les vacances de la Toussaint éloignent les enseignants et leurs élèves. Cela laisse les enfants seuls face à leur angoisse et les empêche d’entrer en dialogue tout de suite. Cela donne aussi le temps de réfléchir à la réponse.

Ce que peuvent faire les enseignants le 2 novembre c’est leur métier. Ils peuvent combattre la ségrégation dans l’Ecole. Ils peuvent y faire vivre les valeurs de la République pour de vrai. Ils peuvent construire l’Ecole de la fraternité. Cela n’empêchera pas des assassins extérieurs à notre société d’agir. Mais cela renforcera la sécurité collective. Pour les professeurs, enseigner c’est toujours résister.

François Jarraud