Depuis le 16 mars, le système scolaire a été mis au défi de la « continuité pédagogique », selon l’expression de Jean-Michel Blanquer. Fidèle à la tradition descendante du système éducatif français, des instructions ont été transmises par le ministère aux enseignants. Un « protocole » a ainsi précisé qu’il fallait rechercher une continuité de la forme scolaire et une continuité des contenus d’enseignement. Le laboratoire BONHEURS de l’université de Cergy a effectué plusieurs enquêtes pour apprécier comment cette continuité pédagogique se réalisait particulièrement en collège. Plus de 3000 collégiens ont été interrogés. Les résultats dessinent un collège à distance qui a tenté de reproduire le collège en présentiel. Les professeurs de collège se sont fortement employés à donner du travail utile et de l’aide aux élèves. Pour cela, ils se sont largement appuyés sur l’ENT (Environnement numérique de travail) qui s’est (enfin!) révélé comme un outil pertinent, au moins pour reproduire le modèle scolaire traditionnel. En ce sens, la mission de continuité assignée a été remplie. Mais les réponses des élèves font aussi clairement ressortir des points qui pourraient contribuer à faire que le futur collège évolue et réponde mieux aux besoins des élèves.
Un savoir plus ouvert : Sortir d’une approche fondée sur les disciplines et sur leur hiérarchie implicite
La période de confinement a reposé de manière criante la question des priorités éducatives au niveau du collège. Clairement, les consignes de « continuité pédagogique » ont porté sur les aspects cognitifs. Les disciplines sont apparues comme la colonne vertébrale du système. L’élève a dû faire en premier lieu du français, des maths, des langues vivantes ; en complément, de l’histoire-géographie, des sciences. Les autres disciplines ont sombré, ce qui se comprend aisément. Un professeur d’éducation musicale ou d’arts plastiques ayant un nombre de classes et donc d’élèves bien plus élevé que ses collègues.
Ce collège à distance a aussi fait disparaitre les travaux interdisciplinaires, les projets. Il ressort des enquêtes l’absence quasi-totale de l’éducation aux médias et à l’information alors que les élèves disent avoir été beaucoup plus attentifs aux informations.
Une première proposition est de repenser la hiérarchie des disciplines au collège, non pas pour la remplacer par une autre, mais par un système qui permettrait de donner aux élèves des clés de compréhension du monde à partir d’angles différents, mis en relation. L’hyper spécialisation disciplinaire serait réservée au lycée. Nous proposons une recomposition des apprentissages autour du savoir-relation : relation à son esprit, à son corps, à l’autre, à la planète, à l’inconnu. Par exemple, les Sciences et vie de la terre seraient mobilisés pour la compréhension de la relation à son corps mais aussi de la planète. L’éducation physique et sportive serait mobilisé dans la relation à soi, mais aussi dans la relation à l’autre (règles de respect, travail d’équipe…).
Des équipes plus collectives : Coordonner les enseignements et les enseignants
Changer de modèle d’enseignement prendra du temps et intégrera des transitons. Celles-ci sont déjà engagées avec l’enseignement intégré des sciences et de la technologie qui permet de supprimer les cloisonnements entre trois disciplines : physique-chimie- SVT – technologie. Ce type d’expérimentation génère un gros effort de coordination entre les enseignants. Il en découle une meilleure efficacité des enseignements et un plus grand intérêt des élèves.
Les enquêtes révèlent que cette concertation entre enseignants a souvent fait défaut au coeur de cette crise. Même si les équipes de direction ont cherché à organiser cette continuité, le travail a reposé sur chaque professeur. Chacun à sa manière a joué sa partition en demandant à ses élèves de se connecter pour une visio, de renvoyer un exercice pour le cours suivant… Une partition jouée – les programmes – sans chef d’orchestre. Les professeurs principaux auraient pu jouer ce rôle de coordonnateur des enseignements disciplinaires. Ils l’ont assumé parfois, mais ce n’est pas la mission qui leur confiée officiellement par un texte récemment revu qui précise qu’ils ne doivent pas intervenir sur les questions spécifiques relevant des champs disciplinaires. La crise a mis en évidence que les enseignements n’étaient pas coordonnés : chaque enseignant a envoyé ses messages et ses consignes sans toujours se soucier des collègues, en consultant parfois ce qui figure sur l’ENT.
Une deuxième proposition pour le collège d’après est de développer les relations entre les disciplines ; la première proposition y contribuera, mais la création d’une fonction de coordonnateur des disciplines est nécessaire. Cette fonction irait bien au-delà des missions du professeur principal, qui est souvent limité à la relation avec les élèves et les familles, ou du coordinateur interne à chaque discipline.
Des collégiens et des enseignants plus heureux : Repenser la relation éducative au sein d’espaces conçus pour le bien-être
Un dernier enseignement fort des enquêtes est que l’acquisition des compétences méthodologiques a été placé au second plan au moment où le confinement mettait précisément en évidence les difficultés à travailler seul : « c’est très difficile », nous ont dit les élèves. Le collège d’avant n’était bien souvent pas organisé pour répondre aux besoins d’aide et d’accompagnement des élèves. Un professeur de SVT est d’abord un enseignant de sa discipline avant d’être un enseignant tout court. Il ne se sent donc pas en mesure d’aider un élève en français, en anglais, en maths… De facto, l’enfant peine à trouver un référent, tandis qu’il dispose d’une dizaine de professeurs qui ne peuvent répondre que dans le cadre de leur discipline. Ce sont donc les parents, la famille, les camarades qui apportent l’aide transversale dont les élèves ont besoin, avec toutes les conséquences inégalitaires que l’on sait. Deux enquêtes réalisées par Bonheurs, l’une auprès de 300 professeurs documentalistes, l’autre auprès d’un nombre équivalent de CPE ont montré que l’équipe de la vie scolaire, le professeur documentaliste auraient pu être davantage mobilisés durant dette période, justement en raison de leur expertise pluridisciplinaire, de leur vision globale de l’adolescent. Le besoin d’un lieu « école » est apparu d’autant plus criant pour l’épanouissement de chacun, un lieu où l’on se sent bien pour apprendre ensemble et apprendre à être ensemble.
Une troisième proposition pour le collège d’après est de redéfinir (les textes sont pourtant récents) les missions des personnels de la vie scolaire et des professeurs documentalistes, faire de ceux-ci des médiateurs de la culture et de l’acquisition de méthodes. La notion de « bien-être scolaire » pourrait être intégrée aux projets d’établissement, ainsi que la question des espaces. Que le collège en ses murs transforme son centre de documentation et d’information et ses salles d’étude en une véritable bibliothèque moderne, dynamique, agréable que les élèves plébisciteront comme un lieu de réflexion, de débat, d’échanges, de vie, de bonheur partagé.
François Durpaire et Jean-Louis Durpaire
Laboratoire BONHEURS, CY Cergy-Paris Université