Le bien-être a t-il aussi sa place au lycée ? Eddie Playfair a enseigné durant 35 ans dans les quartiers sensibles et a été chef d’établissement de deux lycées polyvalents : 6 ans à Leicester et 10 ans à Newham, une des communes les plus défavorisées de Londres. Il est actuellement un des cadres de l’ « Association of Colleges » (AoC), l’association nationale des établissements postobligatoires (16-18 ans) en Angleterre (environ 250 établissements d’enseignement général et professionnel qui accueillent plus de 2 millions d’élèves et étudiants de 16 à 25 ans (Environ 750 000 âgés de 16 à 19 ans ; 1, 4 million de plus de 18 ans).
Pourriez-vous nous décrire vos responsabilités au sein d’AoC et en quelques mots le rôle d’AoC ?
Je suis chargé de politique éducative à l’AoC. Nous avons un rôle de représentation et de soutien de nos établissements. Nous encourageons les bonnes pratiques éducatives, nous menons des projets développementaux et nous avons de bonnes relations avec le ministère, les syndicats étudiants et enseignants et les autres partenaires sociaux. Nous exerçons une influence politique sans avoir de statut particulier dans le système éducatif anglais.
Parmi les priorités de votre association, figure ‘mental health and well-being’. Pourriez-vous situer plus précisément ce que vous attendez des collèges dans ce domaine ?
Au cours des 5 dernières années, le bien-être psychologique de nos étudiants et de notre personnel est devenu prioritaire pour nos établissements. En 2016, ce sont les lycées eux-mêmes qui ont voulu que cela devienne une priorité stratégique pour l’AoC. Auparavant, les initiatives gouvernementales de collaboration entre l’éducation et la santé a cet égard visaient surtout les collèges. Nous avons donc poursuivi une campagne au niveau national pour donner plus de visibilité à la perspective lycéenne.
Les lycées sont conscients de leur responsabilité pour le bien-être du personnel et des étudiants et nous les avons encouragés à adopter une vision globale en mettant en place des projets d’établissement avec la santé psychique en évidence. Les établissements sont enthousiastes mais il faut reconnaitre qu’ils manquent souvent de ressources et nous réclamons des investissements pour le soutien du bien-être.
Auriez-vous des exemples concrets d’action positive dans ce domaine ?
Nous avons mené des enquêtes à cet égard à deux reprises depuis 2016. 85% des établissements signalent une augmentation du nombre d’étudiants et des personnels qui affirment éprouver des problèmes de bien-être psychologique. Il y a plusieurs raisons possibles : les enjeux de l’éducation sont de plus en plus élevés pour les jeunes qui connaissent de plus en plus la crainte de l’échec scolaire et les pressions économiques. En même temps les politiques d’austérité réduisent les services de soutien disponibles, la précarité, les inégalités économiques et sociales sont en forte croissance. L’influence des médias sociaux se fait sentir aussi, les jeunes sont très conscients d’être constamment affichés et jugés par leurs pairs, bien que les réseaux sociaux puissent également jouer un rôle positif de soutien et d’encouragement.
AoC désigne l’année scolaire 2016/17 l’année de la santé psychique et deux de nos directeurs, Richard Caulfield et Liz Maudslay, mènent ce dossier. Un nouveau groupe de travail est créé, comprenant des chefs d’établissement et dirigeants des lycées et comprend aussi des représentants du ministère de l’Éducation, de la santé nationale et du secteur bénévole. Nous avons créé un outil d’audit et de nouvelles ressources pour soutenir l’innovation et l’implantation des bonnes pratiques et nous avons invité les lycées à signer une charte de santé psychologique pour mettre en valeur leurs pratiques et démontrer leur engagement. Nous avons mis en place un nouveau certificat de secourisme psychique qui est maintenant en usage à travers le pays. Ces initiatives ont suscité des réactions très positives et sont très bien reçues par les établissements.
Y a-t’il des pratiques spécifiques pour développer le bien-être à l’école ? On peut penser au yoga, la relaxation, la musique, le sport…
Les lycées en Angleterre connaissent une grande autonomie, il existe donc de nombreux exemples différents de pratiques efficaces et réussies dans les établissements. Nous avons aussi au sein d l’AoC une organisation sportive dédiée qui a fait de la santé mentale une priorité dans le cadre d’une vision du bien-être physique et psychologique.
D’autres initiatives sont courantes : activités et techniques de relaxation, y compris le yoga, soutien aux moments clés qui peuvent être stressants ; période d’inscription et période de préparation aux examens par exemple. Tous ces projets s’inscrivent dans une culture qui encourage tous les membres de la communauté éducative à comprendre et à partager leurs sentiments et leurs émotions en sachant qu’ils seront écoutés. Il n’est plus question de chercher de d’aide pour les «problèmes mentaux » mais de mieux se connaitre et de bien se soutenir entre nous.
Il est essentiel de soutenir et de former le personnel, surtout ceux qui eux-mêmes vont soutenir leurs étudiants. Nous collaborons avec des associations bénévoles (notamment le Charlie Waller Memorial Trust) pour former et sensibiliser le personnel. Il est important que les équipes soient au courant de la recherche récente dans ce domaine – par exemple l’impact des traumatismes d’enfance.
Comment sont évaluées les actions en la matière ?
Ce travail n’est pas toujours facile à évaluer. Les interventions différentes ont des objectifs différents et les établissements s’interrogent régulièrement sur toutes ces questions. Nous avons un outil d’évaluation que nous recommandons aux lycées et nous constatons que les inspections font de plus en plus une évaluation de l’efficacité du soutien qu’offrent les lycées pour leurs étudiants. C’est un bilan plutôt qualitatif que quantitatif et il sera certainement nécessaire de procéder à des évaluations plus systématiques des différentes stratégies adoptées.
Vous qui connaissez également très bien le système français, pourriez-vous établir une comparaison entre les deux systèmes en matière de bien être à l’école ?
En fait je connais assez peu le système français contemporain. Je constate qu’il affronte de défis comparables à ceux du système anglais tout en se situant plutôt au pôle étatiste par rapport au nôtre qui est très marchandisé, avec une forte autonomie des établissements. Je pense que le résultat est que l’éducation nationale, une fois qu’elle se mobilise, peut s’investir et mettre en œuvre des projets nationaux pour tous ses établissements quand elle en a la volonté. Chez nous, il y a une marge d’expérimentation et l’innovation est peut-être plus facile au niveau de l’établissement – mais il y a aussi un manque de coordination entre les acteurs et donc plus d’inégalités et d’incohérence sur le terrain.
Propos recueillis par Jean-Louis Durpaire
Membre professionnel du Laboratoire BONHEURS
(Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs). CY CERGY-Paris Université