En plein confinement, comment contourner l’impossibilité de faire des travaux pratiques ? Fleur Ypres, professeure de SVT au lycée Raymond Naves de Toulouse a conçu 3 jeux d’évasion (Escape Games) disponibles en ligne. « Réviser des notions du programme, extraire des informations ou mettre en œuvre des stratégies de résolution », ses productions permettent de faire progresser ses élèves. Inspirée de la série Games of Thrones, l’enseignante propose aussi un Escape Game géologique où le métamorphisme hydrothermal n’a plus de secret pour des lycéens « qui ressentent de la fierté à résoudre les différentes énigmes ». Toujours à l’écoute de ces élèves pour améliorer ses jeux d’évasion, Fleur Ypres n’oublie pas « d’évaluer l’ensemble des notions retenues à la fin de la partie ».
Qu’est-ce qu’un Escape Game en ligne ?
Un « Escape Game » ou « Jeu d’évasion », est un jeu de rôle, grandeur nature, qui consiste à s’échapper d’une pièce, en un temps limité, grâce à la résolution d’un certain nombre d’énigmes. Par extension, cette expression désigne également les jeux pour lesquels l’objectif final est d’apporter une solution à un problème en un temps limité : ouvrir un coffre, résoudre un meurtre, désamorcer une bombe … De ce concept sont nés les jeux de société, comme Unlock ou Exit qui sont des Escape Games de plateau, et se sont développés les Escape Games virtuels, qui n’existent pas matériellement, mais numériquement. Du fait du confinement, les Escape Games en ligne, accessibles gratuitement, ou pas, se sont multipliés dans le cyberespace.
Quelles sont les notions mobilisables avec vos Escape Games ?
Je passe par la ludification c’est-à-dire que j’utilise des éléments ludiques, et des techniques de conception de jeu, pour atteindre un objectif qui se trouve en dehors du jeu. Dans le cadre d’un Escape Game pédagogique, je vais faire jouer mes élèves dans le but de leur faire construire ou réviser des notions du programme, mais également, de leur faire développer des capacités comme concevoir et mettre en œuvre des stratégies de résolution, observer, extraire des informations, coopérer et collaborer … Selon moi, n’importe quelle notion du programme peut faire l’objet d’un Escape Game : il suffit juste d’un peu d’imagination.
Evaluez-vous les performances des élèves ? Est-ce possible d’évaluer les compétences et les connaissances des élèves avec ces propositions ?
Je ne cherche pas à savoir en combien de temps les élèves terminent l’ Escape Game. Le chronomètre n’est là que pour rajouter de l’intensité à l’expérience de jeu. En revanche, le débriefing est une étape indispensables d’un Escape Game réussi : il permet de faire l’état des lieux des émotions, des connaissances et des compétences cristallisées pendant le jeu.
A minima, je demande aux élèves de répondre à un sondage anonyme. Mais pour évaluer plus précisément l’ensemble des notions retenues, je propose à la fin du jeu de me rédiger un compte-rendu contextualisé (par exemple, le rapport d’un médecin légiste, ou un dialogue entre deux personnages de l’histoire, ou un mail adressé à des survivants d’une épidémie pour obtenir leur sérum, …), et dans ce cas, je peux également évaluer leur compétences numériques, s’ils ont illustré le compte-rendu avec des captures d’écran des logiciels ou modélisations utilisés, ou alors un QCM sur Pronote.
Quel est ce jeu géologique autour de la série Games of Thrones ?
L’inconvénient du télé-enseignement né des contraintes du confinement, c’est qu’il rend impossible la réalisation de travaux pratiques, alors qu’il s’agit de l’essence même de ma discipline. Comment intéresser les élèves à la géologie, et notamment, comment les engager à observer (volontairement !) des photos de roches, et des photos de lames de roches observées au microscope ? Très souvent, lorsque je dois aborder le phénomène de la divergence des plaques tectoniques, je choisis mes exemples en Islande, car il s’agit d’un objet d’étude très riche, et aux paysages à couper le souffle.
Par ailleurs, j’ai récemment découvert la série Game of Thrones diffusée pour la première fois en 2011 et dont le dernier épisode de la dernière saison a été diffusé l’année dernière en 2019. Cette série télévisée, qui se déroule dans un univers médiéval fantastique, et dont le succès international a été retentissant (série la plus diffusée dans le monde, et la plus téléchargée illégalement), a été tournée en Irlande du Nord, en Espagne, en Croatie, à Malte, au Maroc et aussi, en Islande : notamment à Grjótagjá, à Þingvellir, à Svínafellsjökull, à Mýrdalsjökull et à Vík í Mýrdal.
Il m’est alors venu à l’idée de mêler d’une part les décors et les personnages de la série, avec des photos de paysages islandais, pour l’esthétique du jeu et d’autre part, des documents et des énigmes pour atteindre mes objectifs pédagogiques. Dans le meilleur des cas, je touchais à un domaine de prédilection des élèves, et dans le « pire » des cas, je leur proposais une promenade virtuelle en Islande, dans une atmosphère médiévale.
Comment vos élèves apprécient vos productions ?
Selon les sondages anonymes que j’associe aux différents Escape Games depuis le début du confinement, sur 50 élèves qui ont répondu, 60% des élèves se disent intéressés, 58% ont déclaré s’être amusés, 56% ont été curieux et 38% enthousiastes. C’est un retour très positif. Par ailleurs, les élèves rapportent également qu’ils ont ressenti de la fierté à résoudre les différentes énigmes, et si cela participe à l’amusement, j’apprécie également le fait que cela participe à la construction d’une meilleure estime d’eux-mêmes.
Enfin, si l’aspect ludique est celui qui leur plait le plus, ils reconnaissent également apporter plus d’attention à l’étude des documents, puisqu’ils recherchent dedans des « indices », ce qui leur permet de mieux mémoriser les notions au programme.
En quoi les retours vous permettent-ils d’améliorer vos jeux ?
Les élèves ont toujours des idées formidables ! Il suffit de leur demander leur avis ! Ainsi, certains ont demandé l’intégration de musiques d’ambiance. Beaucoup ont suggéré de nouveaux thèmes comme la génétique, ou l’immunologie ou encore les plantes à fleurs. D’autres ont réclamé des scenari particuliers (les enquêtes criminelles sont les plus plébiscitées !).
Par ailleurs, certains élèves ont exprimé leur frustration d’être restés bloqués à certaines énigmes (ce que l’intelligence collective lors d’un Escape Game en présentiel et par équipe, permet habituellement d’éviter). Cela m’a amenée à introduire des aides d’intensité progressive que l’élève peut consulter en cas de difficulté.
Une autre proposition intéressante était d’organiser les énigmes en paliers successifs et de difficulté croissante : on retrouve dans cette idée les concepts de base des jeux vidéos !
Enfin, certains élèves ont partagé leur stress dû à la présence du minuteur et ont demandé à ce qu’il soit supprimé. Cela pose alors un dilemme et devient matière à réflexion car la pression du chronomètre est l’un des éléments essentiels d’un Escape Game et participe à l’immersion dans le jeu.
Entretien par Julien Cabioch
Escape Game 100% numérique de Fleur Ypres
Dans le Café
Stéphane Agniel : Un Escape Game en SVT
Le livre pour tout savoir sur les Escape Games
S’Cape : Le site de mutualisation des jeux d’évasion pédagogiques