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Qui imagine aujourd’hui De Gaulle en amoureux et en aventurier ? Quel réalisateur peut avoir l’audace de représenter ainsi un personnage historique à la stature si imposante qu’elle brille par son absence dans la fiction française sur grand écran ? Gabriel Le Bomin, déjà auteur de documentaires et de longs métrages remarqués, inspirés par l’histoire politique et militaire de la France du XXème siècle, relève l’immense défi. Avec modestie. Fort de sa connaissance pointue des ‘guerres françaises’ contemporaines, il choisit (avec sa coscénariste Valérie Ranson Enguiale) de raconter les quelques semaines, d’avril à juin 1940, dans l’existence d’un militaire inconnu, soutenu par une épouse énergique, lequel, par son refus de la défaite, scelle son destin à celui de la France. Loin de la mythologie légendaire et des images d’Epinal, étayé par les conseils avisés de l’historien Olivier Wieviorka, le « De Gaulle » de Gabriel Le Bomin, au-delà du classicisme de la mise en scène, nous propose, pour la première fois au cinéma, le portrait romanesque et documenté d’un rebelle fragile et orgueilleux. Le drame nous livre ainsi le déploiement d’un moment clé pour ‘l’homme de l’appel du 18 juin’, le moment historique où sa voix incite à la résistance collective et incarne la France libre. Une œuvre instructive, ouverte au débat.

De Gaulle en époux amoureux et militaire aimant son pays

La première scène (située en 1970) a de quoi nous surprendre. Dans la pénombre d’une chambre, un homme aux mains fanées caresse affectueusement le corps de sa femme allongée à ses côtés. Une ouverture sous le signe de la tendresse comme pour revendiquer les liens d’amour indéfectibles unissant les époux De Gaulle jusqu’à la mort du Général.

Une douceur qui contraste avec le fracas des armes, et les inquiétudes du colonel de Gaulle (Lambert Wilson), qui dirige alors une division blindée, face à l’avancée des troupes allemandes. Nous le suivons lorsqu’il revient du champ de bataille pour les ‘ors’ des palais de la République défaillante et tenter de faire valoir sa vision offensive de la poursuite de la guerre. Paul Reynaud (Olivier Gourmet), Président du Conseil, le nomme provisoirement Général et lui demande d’enter dans son cabinet en tant que sous-secrétaire à la guerre et à la défense. Avec la mission de multiplier les échanges avec Winston Churchill (Tim Hudson) pour impliquer la Grande-Bretagne dans l’aide militaire à la France alors que les nazis sont aux portes de Paris. Le Maréchal Pétain (Philippe Laudenbach) est prêt à se soumettre et à collaborer et Reynaud fait montre de sa faiblesse. Georges Mandel (Gilles Cohen), ministre de l’intérieur, esprit lucide, sait à quel point son avis compte peu : il est juif et menacé (il sera assassiné par la Milice en 1944).

Dans ce temps de confusion politique, la débâcle sur le front et l’exode sur les routes précipitent les civils dans d’incertaines traversées de la France. Yvonne (Isabelle Carré) et ses enfants, accompagnés de la délicate gouvernante, Mademoiselle Potel (Catherine Mouchet) en font partie. De la maison de Colombey-les-Deux Eglises à la demeure de sa sœur dans le Loiret jusqu’à Carantec et la côte bretonne. Des escales provisoires au cours desquelles Yvonne avec énergie et constance entoure d’affection sa famille et la petite Anne , enfant trisomique, tout en tentant sans cesse de garder le contact avec un mari dévoué à sa mission, lequel multiplie les voyages vers l’Angleterre et les déplacements dans le pays en plein chaos.

Séparé d’une famille qu’il aime profondément, auteur d’écrits et de théories militaires décriées par sa hiérarchie, conscient de son peu d’influence au sein du cabinet Reynaud, De Gaulle, conscient de la gravité des enjeux, se sait seul. Alors que sa décision est prise (le départ pour Londres, l’appel à la résistance, la séparation d’avec ses proches…), il vole quelques heures à l’urgence pour gagner la Bretagne, serrer Yvonne et les enfants dans ses bras, s’assurer du soutien déterminé d’une femme dont le regard ne tremble pas.

La mue historique, du fugitif mis au ban à l’incarnation de la Résistance

Encore une entrevue à Londres avec Winston Churchill, un échange dont l’enjeu est cette fois d’une toute autre dimension. De Gaulle est autorisé à enregistrer le ‘fameux’ appel du 18 juin 1940 dans un minuscule studio de la BBC, une déclaration dont le fugitif (déchu de sa nationalité et condamné à mort dans son pays) a pesé chaque mot durant la longue phase de rédaction solitaire. La proximité de cadrage, l’exiguïté du lieu et le jeu nuancé de Lambert Wilson donnent à ce moment crucial toute son épaisseur humaine : loin de son pays et des siens, un homme seul, considéré comme un criminel chez lui, refuse la capitulation, devient celui qui dit ‘non’, décide que la voix de la France sera la sienne et appelle à la résistance collective. Le réalisateur, à sa façon, nous pose la question qui taraude tout le film : ‘qu’est-ce qui peut pousser un homme à faire un choix politique et personnel aussi incroyable ?’.

Le drame historique concocté par Gabriel Le Bomin ne répond pas à pareille interrogation existentielle mais en nous rapprochant (avec respect et retenue) de l’intimité du personnage, il nous en fait percevoir la vulnérabilité. La profondeur de l’amour reliant De Gaulle à Yvonne (qui parvient in extremis à Brest à monter à bord d’un cargo avec les enfants et à gagner l’Angleterre), la richesse et l’intelligence de la personnalité, finement incarnée ici par Isabelle Carré, battent en brèche les clichés tenaces réduisant la compagne fidèle du Général à son statut d’épouse terne et soumise.

En dépit de l’académisme de la forme, l’exploration approfondie et très documentée du cinéaste de « De Gaulle » nous fait vivre le ‘saut dans l’inconnu’ d’un homme à un moment crucial de sa vie et du destin de son pays, lorsque ce dernier prend une décision capitale qui va changer le cours de notre histoire commune.

Samra Bonvoisin

« De Gaulle », film de Gabriel Le Bomin-sortie le 4 mars 2020