Le 4 juin, en réponse à un référé de la Cour des comptes, les ministres de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur ont annoncé que les futurs enseignants seraient recrutés par des épreuves d’amissibilité en fin de L3 comme la Cour le souhaite. Les épreuves d’admission seraient placées « en M1 ou en M2 ». « L’annonce ministérielle va reposer la question de la rémunération des futurs enseignants », écrivions-nous. « Peut on étendre d’une année la formation avec une épreuve d’admissibilité passée en L3 et ne prendre en charge le futur enseignant que sur une année ? » C’est sur cette question que nous invitons le lecteur à nous suivre. L’enjeu , on le verra, va bien au-delà de la rémunération des stagiaires et touche à l’avenir de l’Education nationale.
Le système actuel
Il faut commencer par rappeler comment se passe le recrutement des enseignants actuellement. Les épreuves d’admission ont lieu en M1 sous forme d’épreuves écrites. Elles sont suivies dans la foulée (à quelques semaines de distance) des épreuves d’admission, orales cette fois. S’il est admis, le candidat devient fonctionnaire stagiaire. Il y a en a environ 25 000. Chacun est rémunéré tout au long de son année de M2 où il doit à la fois rédiger un mémoire de recherche , obtenir le master 2 et découvrir le métier en enseignant à mi temps. A la fin de cette année il est titularisé et obtient une affectation comme fonctionnaire.
Evidemment cette formule réduit à peu de chose la dimension professionnelle de la formation. Le stagiaire est écartelé entre toutes les tâches qu’on lui demande. Le temps dévolu à une analyse des pratiques enseignantes en souffre.
C’est pour cette raison que la Cour des comptes recommande d’avancer le concours en L3. » la Cour recommande de déplacer les épreuves d’admissibilité en L3 de façon à laisser les universités préparer les étudiants sur le plan disciplinaire. « Les épreuves d’admission, qui seraient alors placées au cours de l’année de M1, seraient plus axées sur la professionnalisation afin de sélectionner ceux des admissibles qui présentent les meilleures aptitudes et la plus forte motivation pour le métier, quitte à compléter leur formation disciplinaire par la suite », écrit la Cour dans son référé.
Ce qu’ont décidé les ministres
Dès janvier 2018, avant que la Cour lui tende une perche publique, le ministre avait pris position pour l’admissibilité en L3. le ministre déclarait : « La situation actuelle, avec le concours en fin de master 1, ne satisfait pas tout le monde et suscite beaucoup d’interrogations. La réflexion est ouverte… Ce sera l’objet de discussions dans les temps à venir… Le passage du concours en licence 3 présenterait un réel intérêt ».
Le 22 mai, en réponse à la Cour, les ministres écrivent : « Un consensus se dégage progressivement en faveur d’une épreuve d’admissibilité en fin de licence et d’une épreuve d’admission située en M l ou en M2. Cependant, ce scénario doit être affiné et son impact étudié, non seulement en termes de coût et de réingéniérie des maquettes de licence et de master, mais aussi en termes d’attractivité des parcours de formation pour les meilleurs étudiants ».
On notera que pour les ministres l’épreuve d’admission n’est pas en M1 comme le souhaite la Cour mais « en M1 ou en M2 ». Ils introduisent l’année de M2 ce qui laisse penser que ce serait plutôt M2…
Le nouveau calendrier et le statut des reçus
Les ministres s’abritent derrière des considérations techniques pour dire que cela demandera un peu de temps. Mais en réalité le problème n’est pas dans la définition des maquettes de concours. Il est plutôt dans la redéfinition complète que cette annonce implique dans l’entrée dans le métier d’enseignant.
En distinguant nettement l’admissibilité (en L3) de l’admission (deux ans plus tard), les ministres posent en terme nouveaux la question du statut et de la rémunération des futurs enseignants. Le choix pour le concours d’admission entre M1 et M2 change tout.
Si les épreuves d’admission ont lieu en M1, le futur professeur sera formé en 2 ans. On garderait sans doute la qualité de fonctionnaire stagiaire rémunéré pour la période suivant l’épreuve d’admission (l’année de M2). Quel sera alors le statut du futur professeur durant l’année de M1 (entre admissibilité et admission) ? Dans cette situation on peut imaginer cette année avec un statut étudiant, éventuellement boursier, et celle de M2 comme aujourd’hui, en professeur stagiaire. On reste dans ce cas dans la fourchette des 25 000 postes actuels.
Un report du concours final en M2 rend impossible le maintien du statut des stagiaires
Seconde hypothèse, qui semble avoir la préférence des ministres : le concours d’admission en fin de M2. Dans ce cas le temps de formation est de 2 ans après admissibilité. Quel serait alors le statut du futur professeur durant ces deux années ? Celui de fonctionnaire stagiaire ? C’est impossible car cela doublerait leur nombre. Or c’est incompatible avec l’objectif gouvernemental. Le gouvernement ne veut pas augmenter le nombre de fonctionnaires. Il a annoncé vouloir le réduire. 50 000 postes dans la fonction publique d’Etat seront supprimés et l’Education nationale, qui gère la moitié de ces emplois, se verra très probablement demander 25 000 postes.
Si le ministère ne veut pas faire le grand saut vers 50 000 professeurs stagiaires (au lieu de 25 000 actuellement), il ne peut que repousser à après l’admission en M2 le statut de fonctionnaire.
Autrement dit, avancer l’admissibilité en L3 pourrait conduire à remettre en question le statut des professeurs stagiaires. Parce que si le candidat reçu au concours d’admissibilité n’est pas fonctionnaire stagiaire il sera tout au long des deux années de formation étudiant, éventuellement étudiant boursier.
L’économie réalisée par l’Education nationale sera sensible. JM Blanquer referait ce que Darcos a fait en 2008. Il rendrait au Budget les postes de stagiaires : ça tombe pile à 25 000 postes, exactement ce qui est attendu pour atteindre l’objectif gouvernemental. Le ministre pourra même être généreux sur les bourses attribuées à ces futurs professeurs : elles sont payées par l’enseignement supérieur…
Changer le concours pour changer l’Education nationale
Mais cela va bien au-delà. C’est le statut du concours lui-même qui est touché. A quoi ressemble ce concours d’admissibilité qui ne donne pas le statut de fonctionnaire stagiaire ? Tout simplement à celui de l’enseignement privé sous contrat où le futur professeur doit trouver un chef d’établissement qui l’accepte après le concours ou perdre le bénéfice du concours. On distingue le concours et le recrutement.
Dans « L’école de demain », JM Blanquer a prédit que le concours ne sera plus qu’une « habilitation à enseigner…, le recrutement étant de la responsabilité du chef d’établissement ». L’avantage étant d’avoir une gestion plus proche du terrain et donc « plus humaine » des enseignants.
En aout 2017, dans le Nouvel observateur, il annonçait que les chefs d’établissement auraient leur mot à dire dans le recrutement des professeurs. » Mon objectif est simple : des établissements avec des équipes unies, partageant un projet éducatif fort. Dans ce cadre, oui, il est logique que le chef d’établissement ait un rôle à jouer en matière de recrutement. Cela se pratique d’ailleurs dans les lycées français à l’étranger et participe à leur rayonnement. Les professeurs auraient tout à gagner à ces évolutions » Et il annonçait son intention d’introduire le sujet dans les mois à venir.
Selon ce que le ministre finalement décidera, l’organisation entière de l’Education nationale changera. Le choix du concours d’admission en fin de M2, c’est aussi celui d’établissements autonomes gérant leur personnel. C’est la fin du statut actuel des enseignants et une nouvelle organisation de l’Education nationale, plus « agile »…
Cette nouvelle formule, distinguant concours et recrutement, répond à une autre question qui pour moi reste sans réponse dans le report en L3 de l’admissibilité : que fait-on des reçus collés, admissibles mais non admis ?
François Jarraud