» Après un an de travail, il est possible de rendre précisément compte de la mise en oeuvre des premières mesures et de l’esprit de la transformation qui s’opère ». Alors que le gouvernement assure une communication offensive sur sa première année, Jean-Michel Blanquer fait sa part avec un nouvel ouvrage (Construisons l’Ecole de la confiance, Odile Jacob). L’ouvrage reprend les éléments de la communication officielle de son ministère depuis un an. Ecrit sur un ton très professoral, il fait sans surprise un auto-bilan flatteur de cette première année rue de Grenelle. Plus intéressant, il passe sous silence des pans entiers de la politique ministérielle…
Un scoop et un passage drôle
Ceux qui chercheraient dans ce livre des informations nouvelles, un scoop : passez votre chemin. Il n’y a rien dans ce livre qui n’ait déjà été dit par le ministre ou publié par son équipe de communication. Le seul « scoop » c’est l’annonce d’une nouvelle distribution des Fables de la Fontaine aux élèves de Cm2. C’est un scoop relatif car le ministre refait en 2018 ce qu’il a fait en 2017 et ce qu’un directeur de la Dgesco, un certain Blanquer, a fait en juin 2010…
Ceux qui chercheraient un passage drôle sont quand même servis avec ces quelques lignes qui résument l’ouverture sociale du ministre et la finesse qu’il y a à opposer les syndicats les uns aux autres en période électorale. » L’exercice du dialogue atteint cependant assez vite une limite dès lors que certaines organisations syndicales s’installent dans la critique systématique… Tout cela ne m’empêchera pas d’avancer avec les organisations syndicales qui sont de bonne foi et qui veulent véritablement faire évoluer notre école pour qu’elle permette la réussite des élèves ».
La réforme de l’Ecole
Arrivons en au fond. Ce troisième livre sur l’école de JM Blanquer veut « rendre compte » de l’action du ministre depuis un an. JM Blanquer aborde les différents niveaux de l’éducation nationale. C’est d’abord la maternelle « école de l’épanouissement et du langage ». Puis l’école élémentaire, celle des fondamentaux, où l’accent est mis sur les dédoublements et les 4 circulaires signées de sa main sur l’enseignement de la lecture, l’écriture et des maths. Ces textes sont annexés au livre. On comprend qu’ils ont une fonction bien plus politique que pédagogique. Ils sont destinés au grand public alors même qu’ils donnent une vision très négative des enseignants.
Au collège, JM Blanquer estime qu’il a redonné de « la souplesse et de l’ambition » et « consolidé » les fondamentaux. Le ministre met en avant le dispositif « Devoirs faits », dont on sait pourtant les insuffisances. Les lignes écrites sur la réforme du lycée relèvent elles aussi de la communication officielle. Parcoursup va permettre de réussir dans le supérieur. Lors de la présentation à la presse, JM Blanquer récuse le mot sélection mais parle « d’affectation rationnelle ». Il vante l’accompagnement des élèves, le grand oral, tous dispositifs dont on sait maintenant qu’ils sont bradés dans le futur lycée : orientation sans horaire au delà des heures de la « Semaine de l’orientation », préparation du grand oral regroupée sur le seul 3eme trimestre de terminale.
Postes et salaire
La dernière partie revient sur le thème de la confiance « aux professeurs » et « aux partenaires de l’école ». Et c’est là que le ministre passe sous silence bien des points de sa politique.
JM Blanquer ne parle pas des postes. « On installe de fausses idées dans l’opinion. On fait croire que c’est le sujet principal », a-t-il répondu lors de la présentation de l’ouvrage à une journaliste du Monde. JM Blanquer ne parle pas rémunération des enseignants. « On a des efforts à faire mais la situation budgétaire ne le permet pas à court terme. Le sujet du nombre des postes est lié », rétorque-t-il à une autre question.
Carrière et statut
Il parle très peu carrière et statut. » Nous devons développer une gestion des ressources humaines au plus près du terrain. C’est ce que j’appelle la « GRH de proximité »… « , écrit JM Blanquer. » Nous devons mieux reconnaître. le mérite de nos professeurs. C’est d’ailleurs une approche globale que promeut pour la fonction publique le gouvernement auquel j’appartiens ».
Pourtant JM Blanquer a été plus précis à trois reprises, dans Le Nouvel Observateur et Acteurs publics en août 2017 puis devant les députés en janvier 2018.
« Mon objectif est simple : des établissements avec des équipes unies, partageant un projet éducatif fort. Dans ce cadre, oui, il est logique que le chef d’établissement ait un rôle à jouer en matière de recrutement », écrivait-il dans le Nouvel Observateur d’août 2017. Des propos repris devant les députés en janvier 2018. Il évoquait « une gestion des ressources humaines plus humaine et probablement une vision plus académique, c’est-à-dire plus proche du terrain ». Le recrutement par les chefs d’établissement, à l’image du privé, c’est la fin du concours entrainant un recrutement. La « reconnaissance du mérite », c’est la paye variant selon l’évaluation du chef d’établissement.
Dans Acteurs publics, en aout 2017, le ministre avait déjà avancé l’argument de l’humain pour une réforme de l’affectation des enseignants. » Pour le mouvement des enseignants, il ne faut pas s’en remettre uniquement à la « machine » et à l’ancienneté. Nous devons remettre de l’humain dans la gestion des ressources humaines ». Il disait à la fois que le recrutement serait régional et que les postes à profil se multiplieraient « notamment pour favoriser la constitution d’équipes pérennes » dans les établissements. Il annonçait aussi » plus de pouvoirs aux recteurs, aux inspecteurs d’académie, aux chefs d’établissement » et » la « pluriannualisation » du temps de travail des enseignants. »
Enfin il dessinait déjà la réforme de la territorialisation de l’éducation nationale. » Nous avons hérité d’une situation très “hybride”, très “intermédiaire” et nous devons en tirer les conséquences. Il est normal que nous regardions dans quelle mesure on peut aboutir à de véritables régions académiques dans les temps à venir ».
Toutes ces idées sont développées dans son ouvrage précédent « L’école de demain » où il envisage aussi de séparer le concours du recrutement et de l’affectation des enseignants.
Bien que l’ouvrage se fixe comme objectif de « présenter les premiers changements concrets à l’école car ils préfigurent une approche qui se déploiera dans la durée », il est dommage que ces projets politiques n’apparaissent pas clairement.
JM Blanquer et Pasteur
Un autre aspect a disparu du livre alors qu’il était bien présent lors de la présentation de l’ouvrage. C’est l’amertume ou l’autoritarisme du ministre. Tout au long de la présentation, JM Blanquer s’est plaint d’être caricaturé et a voué aux enfers les responsables de ce méfait. « Je suis souvent décrit comme passéiste. C’est évidemment faux. Cela a un effet boomerang pour les gens qui le font… Il suffit que j’évoque les sciences cognitives pour être accusé de scientisme… Ils (les détracteurs) se mettent dans la situation d’être jugés dans l’avenir comme ceux qui se sont opposés à Pasteur ». Excusez du peu…
Car la dernière caractéristique du livre c’est le ton professoral et les certitudes de l’auteur. Le mot « doute » apparait pourtant 6 fois dans l’ouvrage. C’est pour dire que « les Français doutent », que « Paul Valéry jetait un doute » ou que « certains voudraient nous faire douter ». Mais Jean Michel Blanquer, lui, » ne doute pas » du futur bac. Il n’a « aucun doute sur la motivation des professeurs » à aller dans le sens de ses réformes. Peut-être que Pasteur, lui, doutait…
François Jarraud
Jean-Michel Blanquer, Construisons ensemble l’École de la confiance, Odile Jacob, 2018, ISBN 978-2-7381-4545-1
Les enseignants recrutés par les chefs d’établissement