« Je voudrais dire simplement ce que je retire de cette expérience au sein d’un CFA éducation nationale ». Alors que le gouvernement veut relancer l’apprentissage, que sait-on de lui ? Aurélie Badard témoigne de son expérience en CFA et de l’utilité de l’apprentissage pour certains élèves.
Il y a 2 ans, suite à une mutation professionnelle de mon mari, j’ai postulé sur un poste à profil en CFA sur la ville d’Arles. Après avoir passé plus de 15 ans en tant qu’enseignante, j’ai eu besoin de me nourrir de nouvelles expériences et de sentir que je pouvais faire autre chose car cela m’oppressait de m’imaginer coincée dans une case jusqu’à ce que carrière se passe. J’ai eu la chance de collaborer à des projets en parallèle de ma mission première durant quelques années puis j’ai été chargée de mission école entreprise sur l’Académie de Lyon pour finalement être durant ces 2 dernières années coordonnatrice pédagogique et administrative.
Cette expérience a pris fin car l’appel de la salle de classe a été le plus fort mais j’ai souhaité la partager avec vous car j’ai le sentiment que la méconnaissance du domaine de l’apprentissage que j’avais il y a quelques mois est assez répandue parmi mes pairs et que cela me paraît vraiment dommage d’occulter une partie importante de la formation sous prétexte qu’elle est dans l’ombre portée de la formation sous statut scolaire. Loin des postures politiques ou idéologiques, des mots d’ordre syndicaux, des considérations financières, je voudrais dire simplement ce que je retire de cette expérience au sein d’un CFA éducation nationale.
Ce texte a juste la prétention d’être un témoignage donnant mon ressenti après ces 2 années dans ma structure. Il n’est en rien exhaustif et mériterait certainement d’être complété par la vision des acteurs des CFA de branches, des CFA des chambres consulaires, des CFA sur des niveaux 2 ou 3, …
Même si à titre personnel, je dresse un bilan en demi teinte de mon « rendez-vous en terre inconnue », je veux dire la nécessité de préserver (voire de développer) cette voie de formation même si je suis consciente de ses limites.
Pourquoi l’apprentissage ?
Pour moi, sur les apprentis de niveaux 4 et 5 que j’ai pu croiser dans mon bureau, la réalité est la suivante : de nombreux élèves arrêteraient leur scolarité ou seraient dans la catégorie décrocheur (je préfère toujours dire décrochés) s’ils n’avaient pas la possibilité de faire un apprentissage.
Pourquoi ? Parce que l’école les a dégoutés d’une scolarité classique. Parce que ces jeunes vivent une précarité économique qui les oblige à gagner (un peu) leur vie pour assurer le minimum pour eux et leurs familles. Parce que certains jeunes ont soif de devenir autonomes en apprenant concrètement un métier.
Durant les entretiens de recrutement souvent poignants, les jeunes expliquent leurs parcours, leurs situations personnelles et disent leur mal être à l’école. Certains vivent l’échec scolaire depuis des années et d’autres, plutôt de bons élèves, ne trouvent plus d’intérêt à ce qu’on leur propose à l’école. Ces jeunes ont parfois déjà rencontré un patron prêt à leur tendre la main et ça, cela change tout pour eux.
Pour les élèves les plus fragiles, le collège par une vraie individualisation des parcours n’a pas su prendre en compte leurs difficultés et, riches des lacunes accumulées, ils doutent de leur capacité à faire quelque chose de leur vie ayant passé plusieurs années « à rouiller » (plus ou moins gentiment) au fond d’une salle de classe. Par ce contrat d’apprentissage que j’aime à définir comme un contrat de confiance signé avec leur patron, ces jeunes ont enfin la possibilité de sortir du bocal, de cet environnement clos parfois angoissant, de retrouver une certaine dignité, de se sentir utile quelque part … enfin.
Mais passé le moment de la signature du contrat le plus difficile reste à venir : des entreprises « accueillantes » multiples, une pédagogie de l’alternance exigeante, une vie de salarié à part entière.
Une entreprise « accueillante » multiple
Pourrais-je vous donner le profil des entreprises qui choisissent l’apprentissage ? Non. J’ai pu constater que l’entreprise, ce partenaire essentiel dans le cadre de la convention tripartite est animée de motivations très différentes. Il y a les « mauvais », les « très bons » et puis ceux qui font comme ils peuvent pris dans la gestion des contraintes quotidiennes d’une entreprise.
Oui, la sensibilité gauchisante des lecteurs va se réjouir, il y a le « profiteur », celui qui se renseigne avant tout sur les aides de l’état, de la région et qui cherche de la main d’œuvre pas chère, corvéable à merci, qui s’assoit sur les horaires légaux, qui rechigne à payer, qui se débarrasse de l’apprenti quand il lui coute trop cher pour se replier sur un apprenti mineur « gratuit », qui retient le jeune en entreprise sur les semaines où il devrait être au CFA ne voyant guère l’intérêt pour l’enseignement professionnel et surtout général qui y est dispensé. Oui, ce patron existe. Il n’est pas trop dérangeant car on le voit très rarement car il n’est jamais disponible pour nous rencontrer. Il ne remplit jamais le livret d’apprentissage et n’a même pas le temps de le signer. Par contre, il a le temps de consulter la législation du travail pour en desseller toutes ses failles.
Et là, vous pensez : on devrait « blacklister » ces entreprises. On devrait pouvoir dénoncer ces agissements inadmissibles. Oui, on devrait. Mais, dans la vraie vie, on ne le fait pas. Pourquoi ? Par intérêt.
Le problème de l’apprentissage, pour certaines filières, ce n’est pas le manque d’apprentis mais le manque de lieux de formation en entreprise. Donc, quand on arrive « à caser » un jeune, on ne fait pas la fine bouche car une chose importante guide notre quotidien : les chiffres. La région, notre financeur mais aussi les instances académiques veulent des structures rentables et les effectifs sont le nerf de la guerre.
Heureusement, il y les patrons que je classe dans la catégorie des « humanistes qui souhaitent faire leur part pour notre jeunesse ». Ils souhaitent transmettre un savoir faire mais aussi accompagner le jeune dans l’acquisition des compétences sociales qu’il ne possède pas toujours. Ce patron idéal s’intéresse à ce qui est vu en CFA, place le jeune sur des missions qui sont en résonance avec ce qui a été traité en classe afin de l’entrainer. Il respecte le code du travail qu’il connaît peu mais n’hésite pas à faire appel à nous pour l’aider. Il se propose même parfois de prendre les apprentis les plus fragiles parce qu’il trouve qu’il y a des mains tendues qu’on n’oublie pas. Dans le meilleur des cas, il a même le souhait d’intégrer le jeune dans son staff à l’issue de sa formation. Même s’il a parfois eu une scolarité difficile, il est à l’écoute des remarques des enseignants pour lesquels il a le plus grand respect et œuvre de concert avec eux.
Et puis, il y a la 3ème catégorie. Les entreprises qui en bavent et qui font de leur mieux pour accompagner le jeune dans sa formation mais qui parfois sont dans de telles difficultés qu’elles cèdent à la facilité. Un collaborateur malade, on fait appel à l’apprenti … Un surplus d’activité, on fait revenir l’apprenti le soir après ses cours au CFA et on lui donne la pièce, … Ces dérives existent mais elles sont à la marge alors le système ferme les yeux.
J’ai toujours porté l’idée de créer un label « entreprise accueillante » avec une forme d’audit qui permettrait d’évaluer l’engagement réel du maitre d’apprentissage mais, plus globalement, de l’ensemble de l’entreprise dans la prise en charge du jeune en formation. Ce label pourrait être valorisé dans le cadre des démarches RSE des plus grandes structures ou mis en avant pour les petites PME dans le cadre de la relation avec la clientèle.
Les formateurs
Ma vision des formateurs est limitée à ce que j’ai pu observer durant 2 ans dans ma structure les accompagnant d’un point de vue administratif et pédagogique. Il faut savoir que sur un CFA éducation nationale se côtoient plusieurs « catégories » de profs : les profs Education nationale qui ont déjà un poste par ailleurs et qui interviennent en heures sup.; les contractuels en CDD, CDI à quotités variables et des personnels en vacation. Ces enseignants interviennent après validation d’un service du rectorat qui octroie des « droits à enseigner ».
Ce mélange est une richesse car les formateurs contractuels ont souvent eu plusieurs expériences professionnelles avant d’intégrer la structure. Ce parcours permet d’avoir une connaissance du tissu économique local et un réseau important dans le cadre du dialogue permanent entretenu avec le monde de l’entreprise.
Ces formateurs relèvent un défi assez insensé quand on y pense : Transmettre en 12 semaines de présence au CFA sur l’ensemble de l’année scolaire le contenu du même programme que pour les lycéens inscrits en lycée professionnel. Pour arriver à réaliser ce petit miracle, ils doivent développer une pédagogie à part qui prend en compte les référentiels du diplôme mais aussi l’expérience de chaque apprenti au sein de son entreprise.
Pas (ou peu) de devoir à la maison pour les apprentis donc tout doit se concentrer en classe sur ces 35 heures en présentiel et 12 petites semaines. La différentiation et la réactivité sont donc indispensables.
J’avoue avoir beaucoup de respect, voire d’admiration, pour ces formateurs qui élèvent véritablement chaque jeune vers la réussite. Mais je porte le même respect aux apprentis qui vivent une transition vers la vie active un peu douloureuse à vitesse accélérée : plus de vacances scolaires pour ces jeunes qui sortent tout juste du collège, de très grosses semaines quand ils sont en entreprises mais aussi des semaines très denses au CFA, ajouter à cela les problèmes de transports, les problèmes financiers, …
Les formateurs, en plus des cours qu’ils dispensent, font vivre la structure par leur engagement dans les projets éducatifs portés par le CFA. Ils ont conscience du rôle qu’ils doivent jouer sur l’accompagnement dans la construction d’un parcours citoyenneté, santé ou artistique.
A côté de cela, il y a les enseignants qui interviennent en plus de leur activité au lycée en heures sup. et j’avoue être plus dubitative sur ce point. En effet, soit ils font trop peu d’heures pour s’impliquer vraiment dans la vie du CFA, soit au contraire beaucoup trop en terme de cumul. Je pense que ce qui permet à une structure d’être efficiente est la stabilité et la cohésion de ses équipes et qu’aucune contrainte budgétaire ne devrait pouvoir passer avant cela.
Mais concrètement, c’est quoi le vie d’un apprenti ? Quel est l’intérêt de cette formation par rapport à la voie scolaire ?
Une formation exigeante
Envoyer les élèves les plus fragiles vers l’apprentissage s’il n’y a pas une réelle motivation derrière est juste une hérésie. Pourquoi ? Parce que c’est une formation très exigeante.
Quand on a appris à être passif, à « passer à l’ancienneté » de classe en classe … Quand on a renoncé à comprendre, il n’est pas simple de relancer la machine à penser … Cela demande du temps ! Et, dans le cadre de l’apprentissage, le temps on ne l’a pas !
Le rythme de l’alternance, c’est ça : l’apprenti arrive au CFA après avoir travaillé 3 semaines et là, même s’il reste salarié de son entreprise, il est maintenant payé pour penser, faire, dire, écrire et ce n’est pas toujours simple. Malgré la fatigue, il va falloir être attentif durant les 35 heures de présence au CFA et optimiser chaque minute. La passivité qui était la règle au collège devient alors le pire ennemi !!
Ces apprentis qui nous arrivent de plus en plus jeunes doivent opérer une métamorphose en l’espace de quelques semaines. Ils doivent se responsabiliser et gagner en maturité et ce n’est pas simple à tout juste 16 ans.
Les séquences s’appuient sur des situations rencontrées dans l’entreprise et alors même la physique chimie peut prendre du sens. Quand on parle acide base aux coiffeurs, c’est en lien avec le risque professionnel et les produits utilisés. Quand on fait des arts appliqués avec ces mêmes coiffeurs, on travaille les arrachés (coiffures sur le papier). L’enseignement général est au service de la spécialité mais participe aussi à une certaine idée de la culture générale. Les formateurs travaillent de concert pour donner du liant à cette sauce où chaque ingrédient est important et ça marche.
Les apprentis même s’ils sont fatigués se montrent plutôt intéressés et scolaires (c’est un comble), les résultats aux examens sont plutôt bons. Ils réinvestissent le savoir en mesurant enfin le lien entre connaissances et compétences.
Ce tableau doit vous paraître un peu trop idyllique et c’est vrai car il y des échecs. Certains apprentis n’arrivent à relancer la machine à penser embourbés dans de mauvaises habitudes prises au collège. Certains apprentis n’ont pas l’énergie de mener à bien cette formation car c’est trop lourd pour eux et ils n’ont pas la force de dépasser leurs difficultés.
Et puis, certains partent car ils doivent gagner leur vie parce que les parents les ont mis dehors, ou que la famille vit dans une très grande précarité alors le salaire de l’apprenti ne suffit plus et on préfère faire des petits boulots plus ou moins déclarés et quelques extras.
Mais ces échecs sont à la marge et, la plupart du temps, cette formation est le chemin vers la réussite : un diplôme, une expérience professionnelle et humaine.
Et après …
Après ces 2 années, je tire 2 grandes leçons de cette expérience.
Plus jamais, je ne tiendrai de propos sévères sur l’apprentissage parce que je ne serai plus otage d’un discours très caricatural trop souvent porté en salle des professeurs.
Je crois maintenant sincèrement que l’apprentissage peut répondre au souhait de certains jeunes et qu’il faut les soutenir dans ce choix. Ils sont passionnés par un métier, ils ont envie de rentrer dans la vie active (même hyperactive), ils veulent gagner en autonomie très vite … Alors l’apprentissage est peut-être une voie qui leur conviendra. Et de toute façon, il faut essayer pour savoir.
L’éducation nationale ou plutôt ses acteurs doivent encore beaucoup progresser pour faire de cette voie de formation une voie comme une autre.
Nulle part on ne m’avait vraiment parlé des CFA et de l’apprentissage. Alors comment en parler aux collégiens sans un minimum de connaissance initiale ?
Dans le cadre du « Parcours Avenir » et si tous les 3eme avaient un module sur le sujet ? Et si on invitait les principaux à se féliciter d’une orientation vers la voie professionnelle et plus particulièrement l’apprentissage en faisant disparaître le critère qui évalue le nombre de passage en 2de Générale et technologique du contrat d’objectifs. Et si on mettait véritablement en place la journée de l’apprentissage avec des jeunes et des maitres d’apprentissage qui viendraient témoigner de leur belle rencontre ?
Ce texte était pour moi une façon d’apporter une contribution concrète à la réflexion qui doit être menée aujourd’hui par les différents acteurs de l’apprentissage pour espérer sortir d’un modèle qui a montré ses limites.
Aurélie Badard