Saisie fin juin par le Snes et la Cgt sur l’ouverture subite de l’Ecole aux entreprises du Gafam (Google Apple Facebook Amazon Microsoft) révélée par le Café pédagogique, la Direction des Affaires Juridiques (DAJ) du ministère vient de connaitre sa position. Le Café pédagogique s’est procuré ce document. Selon la DAJ, les conditions générales d’utilisation des GAFAM ne réduisent pas les obligations juridiques des établissements scolaires et que le ministère est dans le plus grand flou sur les usages réels.
Un tournant à 90° du ministère
A l’origine de cette affaire la publication par le Café pédagogique, le 16 mai, d’un message envoyé par le Directeur du numérique éducatif aux responsables académiques (DAN, DSI) les invitant à utiliser dans le cadre scolaire les services des GAFAM et à communiquer les annuaires des établissements.
Pour l’Education nationale c’était un virage à 90°. Depuis des années, le ministère développe ou fait développer des applications qui veillent jalousement sur les données des élèves, empêchent leur exportation et encore davantage celle des annuaires d’établissement. Tout cela coute très cher mais c’est le sens du développement de réseaux sécurisés comme les ENT.
Ces données d’utilisation constituent une manne incroyable pour les entreprises puisqu’elles permettent de connaitre les usages de chaque utilisateur et donc de lui proposer des publicités adaptées.
L’analyse de la DAJ
Dans un courrier du 29 juin, la DAJ répond aux questions du Snes et de la Cgt. La DAJ relève d’abord que l’exportation d’un annuaire d’établissement ne serait possible qu’après que chaque inscrit ait été personnellement informé. Il faut aussi que la déclaration Cnil de chaque annuaire mentionne les possibilités d’exportation. Le responsable de l’annuaire, le chef d’établissement, est responsable si ces points ne sont pas respectés.
A la connaissance de la DAJ aucun établissement n’a encore transmis d’annuaire. La DAJ va mandater des responsables académiques, les CIL, pour enquêter et rappeler la loi.
La DAJ rappelle aussi que les Conditions générales d’utilisation (CGU) des GAFAM n’ont aucune valeur réglementaire et qu’elles varient d’une entreprise à l’autre. « Il n’y a pas de CGU éducation type ». Les CGU ne peuvent être sanctionnées que par la rupture du contrat d’utilisation et rien d’autre. Par contre le responsable français peut être poursuivi devant les tribunaux français s’il n’a pas respecté les obligations juridiques des fichiers informatiques.
La lettre de la DAJ met donc les montres à l’heure. Elle montrent clairement les risques liés à la transmission des annuaires d’établissement, risque pour le chef d’établissement mais aussi pour l’enseignant qui serait à l’initiative de l’utilisation du service. Le fait que le ministère ne sache pas ce qu’il en est sur le terrain n’est pas rassurant.
Pour le Snes des risques pour les enseignants…
Interrogée par la Café pédagogique, Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Snes, un des syndicats qui a saisi la DAJ, explique ce que son syndicat retient de cette affaire.
« On est satisfait que la DAJ apporte des éclaircissements, par exemple sur le fait que les élèves comme les personnels doivent être informés personnellement des usages faits de l’annuaire d’établissement. Ce qui est étonnant c’est que si la loi française n’est pas respectée, la personne qui a fourni les données peut être sanctionnée mais il n’y a aucune contrainte possible sur les GAFAM. Si la CGU n’est pas respectée on peut se retourner vers l’éducation nationale, c’est à dire le chef d’établissement ou même l’enseignant qui aura créé les comptes élèves Facebook, par exemple, mais pas vers l’entreprise étrangère. Cela alors qu’on voit dans les établissements une multiplication de logiciels en ligne utilisés en classe sans accord des parents ».
Et pour les entreprises françaises
Le Snes analyse aussi la situation sur le long terme. « Le Directeur du numérique éducatif pense qu’il est plus facile de travailler avec les GAFAM plutôt qu’avec de petites entreprises françaises avec qui il faudrait multiplier les contrats. Tout se passe comme si le ministère avait renoncé à normaliser le travail sur le numérique.
Résultat les données relatives aux usages du numérique en classe qui pourraient être très utiles aux entreprises françaises pour mieux adapter l’offre aux besoins des élèves, ces données vont alimenter de grosses entreprises étrangères. Ni l’éducation nationale ni les startups françaises ne pourront les utiliser. Enfin l’usage fait de ces données va nous échapper. Que deviendra le droit à l’oubli par exemple pour chacun des élèves ? »
Comment expliquer ce changement à 90° du ministère ? « Peut-être le ministère s’st -il rendu compte que le développement du numérique éducatif a un coût. Il y a peut-être l’idée que les GAFAM sont moins chers ».
« On a besoin de savoir quelle politique le ministère veut finalement mettre en place avec une vision à long terme. Faute de soutien à long terme on voit les entreprises françaises du numérique éducatif s détourner du marché scolaire. On attend du ministère une solution qui permette de se projeter dans le temps tout en protégeant les données ».
François Jarraud