Ils ne savent pas chercher de l’information ! Refrain constamment entendu à mettre en écho à toutes les phrases qui montrent que l’on déplore les comportements de notre jeunesse. Ces propos ne sont pas nouveaux, les premières traces de ces critiques remontent à près de 3000 avant JC. Le changement de contexte, en lien avec l’omniprésence des moyens numériques, amène à nous interroger sur nos propres incompétences afin d’envisager les moyens de les éviter aux générations à venir…
Première observation, les résultats de nos recherches dans les moteurs les plus courants sont de moins en moins satisfaisants. Plusieurs éléments concourent à la difficulté de plus en plus grande à trouver une information « réellement pertinente ». La frappe prédictive, l’élargissement (modification) automatique des mots clés proposés, les publicités insérées dans les réponses, l’algorithme de classement des résultats, sont les principaux freins que l’on observe aisément de manière empirique. L’augmentation considérable de la quantité de données disponibles rend désormais quasiment impossible une gestion technique rationnelle permettant aux concepteurs de moteurs de recherche de les mettre à disposition le plus directement possible, de les rendre simplement accessibles. Si on ajoute à cela qu’une grande partie des données sont inaccessibles aux moteurs de recherche (du fait de leur enfouissement), on se rend compte de la faiblesse de la seule recherche d’information. C’est pourquoi il est de plus en plus important de penser en termes de veille informationnelle en lien avec un besoin d’information explicité. Cela n’est pas nouveau, mais cela devient de plus en plus urgent…
Se construire et gérer un environnement personnel informationnel
La veille informationnelle ce n’est pas simplement de la syndication ou encore de l’agrégation de nouveautés. Ce n’est pas non plus l’accumulation de documents, de sites ou autres livres. La veille informationnelle c’est d’abord l’identification, pour soi, de ce que certains qualifient de « besoin informationnel ». Il faut élargir bien sûr cette idée de besoin pour ne pas la cantonner à une forme d’utilitarisme à court terme. La veille informationnelle, c’est créer autour de soi un dispositif qui permet aussi bien de recevoir que d’émettre. Recevoir des informations, des alertes, mais de manière en partie structurée. Emettre des informations en particulier pour sonder, interroger et élargir son cercle de veille. C’est aussi organiser ces flux.
Organiser la veille informationnelle, c’est inclure dans son environnement personnel de travail cette dimension de dynamique de développement personnel. La didactique professionnelle nous apprend que l’expérience est source d’apprentissage, de construction de schèmes opérationnels et conceptuels. De l’élève à l’adulte chacun construit dans son psychisme et autour de lui un ensemble coordonné de ressources et de moyens d’utiliser ces ressources. Les processus internes interagissent avec cet environnement qui n’est pas que matériel et qui est aussi humain. Savoir poser la bonne question au bon interlocuteur est un des indicateurs du bon fonctionnement de cet environnement personnel. Ce questionnement permet non seulement d’élargir la recherche mais aussi de la structurer. Dans la réponse que l’enseignant donne au questionnement de l’élève, il peut proposer plusieurs choses différentes : la réponse, une ou des hypothèses de réponse, un questionnement, une invitation méthodologique à poursuivre la recherche par soi-même. On peut dire que le niveau, la modalité d’interaction, va modifier le comportement de l’élève. La médiatisation ne se substitue pas à la médiation, et la médiation instrumentales est insuffisante, malgré les promesses de l’intelligence artificielle revenue au gout du jour.
Du cahier de brouillon numérique
En 1988, nous étions à la recherche d’un environnement logiciel idéal, basé sur les technologies de l’intelligence artificielle à la mode à cette époque-là : le « cahier de brouillon numérique ». L’idée de ce cahier est une aide à la structuration progressive de notre environnement informationnel local. A l’époque il n’y a pas Internet, mais la télématique prend son essor, et surtout l’informatique personnelle mobile commence à émerger (les premiers ordinateurs portables deviennent réellement accessibles aux environs de 1990). Ce qui se produit c’est que l’usage individuel de l’ordinateur dans des contextes d’apprentissage met en évidence le risque de dispersion de l’information qui petit à petit devient envahissante. Il s’agit dans ce projet de structurer d’abord ses propres productions : au cours de ses activités scolaires, l’élève produit de nombreux documents dans différents contextes et disciplines. Comment envisager de faire des liens entre tous ces documents stockés sur les ordinateurs personnels. L’idée est de permettre à l’élève d’avoir un outil de supervision de son ordinateur qui lui permet de faire automatiquement le lien entre ce qu’il est en train de faire et les documents qui lui sont directement accessibles. Ainsi, alors qu’il est en train de faire un compte rendu d’expérience en physique, une fenêtre s’ouvre, s’il le souhaite, pour lui suggérer les documents disponibles dans son environnement personnel.
Un tel instrument de travail à l’époque ne concernait que les ressources directement accessibles localement. A l’époque les disques durs ont de la peine à dépasser quelques dizaines de méga-octets. Si nous transposons cette idée à ce qui se passe aujourd’hui, on peut imaginer l’urgence d’une telle solution pour chacun de nous lorsque nous apprenons, nous travaillons, nous nous développons. Imaginons un instant un logiciel qui auto-organiserait les informations dont nous disposons et qui nous permettrait de faire des liens et d’approfondir nos connaissances. On aurait ainsi une sorte d’extension, d’externalisation de notre cerveau, de notre cognition. Face à l’immensité des informations disponibles cet instrument très personnel pourrait assurer l’interface entre ce monde extérieur et le monde intérieur. Ainsi nous aurions à notre disposition un auxiliaire de veille informationnelle. Non seulement il faciliterait la recherche, la veille, mais il aiderait aussi au traitement de l’information en la mettant en lien et éventuellement en rapprochant les contextes informationnels les uns des autres. Par contre il serait indispensable qu’à intervalles réguliers, l’utilisateur de cet espace soit amené à aider le logiciel à y voir clair. Pour cela un dialogue intelligent permettrait de clarifier les ambiguïtés, mettre en avant les choix personnels, clarifier des analogies, des ressemblances, des similarités.
Prendre le risque informationnel
Au-delà de cette utopie technicienne, il faut transposer cette idée à l’action de l’adulte auprès du jeune, de l’enseignant auprès de l’élève. Imaginons que ce soit l’enseignant, le parent qui aient le rôle de cet instrument numérique désormais humanisé. Cela signifierait que la place de l’adulte devrait s’appuyer sur une véritable maîtrise et une bonne compréhension de cet environnement. Par ailleurs, l’interaction bienveillante (voir les recommandations de P Lardellier dans Génération 3.0, enfants et ados à l’ère des cultures numériques, EMS 2016, p.143) entre jeunes et adultes devrait être une modalité évidente du vivre ensemble. Mais aussi la dimension structurante basée sur la mise en lien entre les informations devrait être un fondamental de cette éducation. Il se s’agit pas de se substituer au jeune, à l’autre, mais de lui renvoyer, presque de manière socratique, les questionnements face à ces éléments disparates qu’il rassemble. La limite de l’humain n’est pas celle de la machine et inversement. Aussi peut-on imaginer des dispositifs hybrides qui associent un environnement logiciel adapté et du travail humain qui facilite l’organisation de l’espace personnel numérique et donc ce qui doit être nommé de manière générique la gestion informationnelle.
Les logiciels de documentation traditionnels organisent et conservent les fiches, les notices. Ils se sont progressivement ouverts et ont commencé à intégrer les documents eux-mêmes mais aussi les liens vers d’autres sources. Avec la GED (Gestion électronique de documents) l’organisation industrielle de l’information s’est imposée en permettant la structuration d’un environnement informationnel limité. Mais dans un monde d’informations en quantité illimitées, la GED touche à ses limites. Pour le dire autrement les mots et les images sont sortis des livres et des pellicules. Numérisés, ils sont accessibles sans médiation autre que technique. Mais leur « incorporation » suppose que l’on examine la place du « travail » humain pour piloter, à défaut de maîtriser ou contrôler. Car il faut désormais renoncer à la toute-puissance sur son espace informationnelle, sauf à le limiter, auquel cas les certitudes peuvent réapparaître et les dérives associées. Le risque de l’ouverture informationnel est là : accepter la non maîtrise, prendre le risque informationnel en se dotant, en dotant les élèves des moyens de l’affronter. Quel que soit son niveau d’étude, la vie professionnelle et personnelle impose de plus en plus une adaptation au contexte, encore faut-il avoir les instruments (cognitifs et techniques) pour le prendre en compte.
Complément sur Pix
A titre indicatif voici quelques éléments de PIX, le référentiel successeur du B2i/C2i, qui concerne ces questions et qui devrait devenir opérationnel à la rentrée 2017 – 2018. On peut constater que les trois composantes de cette première partie du référentiel intitulée « Information et données » sont en lien avec cette problématique qui évolue chaque jour et prennent en compte cette idée de veille. On constate cependant que la faiblesse de la proposition (en réalité inhérente à tous les référentiels) est liée à deux points, une dynamique peu mise en évidence, une personnalisation et/ou contextualisation peu exprimée. L’inscription dans le temps et dans la prise en compte des changements est difficile à exprimer dans un référentiel, on a déjà pu l’observer avec les précédents référentiels. Pour ce qui est de la personnalisation, le problème est dans le domaine du fonctionnement cognitif : chacun construit dans son cerveau un ensemble de repères et de processus qui tentent d’être cohérents avec le milieu dans lequel il évolue. Cela implique d’une part des différences individuelles qui peuvent être fortes et d’autre part une construction des compétences qui est fortement liée au milieu dans lequel chacun évolue. Quand on parle de cognition située, on tente de mettre en évidence ce point qui rend difficile l’évaluation d’une compétence « en soi » alors qu’elle est construite « par soi » et le plus souvent en interaction. Ces difficultés sont probablement en partie à la source de la difficulté que rencontrent nombre d’enseignant pour évaluer ces compétences. Car une compétence évaluée dans un contexte est difficile à évaluer dans un autre, et différemment avec un autre élève.
PIX
1.1. Mener une recherche et une veille d’information
Mener une recherche et une veille d’information pour répondre à un besoin d’information et se tenir au courant de l’actualité d’un sujet (avec un moteur de recherche, au sein d’un réseau social, par abonnement à des flux ou des lettres d’information, ou tout autre moyen).
1.2. Gérer des données
Stocker et organiser des données pour les retrouver, les conserver et en faciliter l’accès et la gestion (avec un gestionnaire de fichiers, un espace de stockage en ligne, des tags, des classeurs, des bases de données, un système d’information, etc.).
1.3. Traiter des données
Appliquer des traitements à des données pour les analyser et les interpréter (avec un tableur, un programme, un logiciel de traitement d’enquête, une requête calcul dans une base de données, etc.).
Bruno Devauchelle