La laïcité peut-elle exclure ? Doit-elle être universelle ? Peut-elle évoluer sous le poids des événements ? Voire disparaitre ? Najat Vallaud Belkacem et Jean Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, ont fait face aux questions des élèves de 6 lycées parisiens réunis le 9 décembre au lycée Paul Bert, à l’occasion de la Journée de la laïcité instituée et en souvenir de la loi de 1905. Une occasion unique de montrer le travail que réalisent en éducation morale et civique les enseignants. Et aussi de défendre une définition « ouverte » et non liberticide de la laïcité.
A quoi servent les cours d’EMC ?
La vedette du jour vient d’Afghanistan. Un élève du lycée professionnel Charles de Gaulle de Paris, en France depuis 7 mois, a témoigné de ses surprises face à l’école en France. « En Afghanistan les filles et les garçons sont séparés et les filles restent le plus souvent à la maison », explique-t-il. Ici tous les élèves sont mélangés. Les professeurs parlent de religion dans les cours et d’une seule. Pas ici. Mais sa plus grosse surprise c’est de rencontrer des camarades qui ne croient pas en dieu. « Pourquoi la laïcité n’est pas présente partout dans le monde », demande t-il ?
Le 9 décembre une centaine de lycéens venus de 6 établissements parisiens (Charlemagne, Charles de Gaulle, Raspail, Paul Valery, Hélène Boucher et Paul Bert) sont accueillis au lycée Paul Bert par le proviseur Philippe Pradel. Pour une fois on a mélangé les publics et les lycéens des quartiers populaire se mélangent aux élèves d’établissements plus bourgeois.
Durant une heure et demi, la ministre et Jean-Louis Bianco font face à des questions préparées durant les cours d’Education morale et civique (EMC). Ainsi à Charlemagne, les élèves ont débattu de la loi de 2004 sur l’interdiction du voile à l’école. 36 se sont déclarés en faveur de la loi, 21 pour son évolution. « Vous avez compris que toute loi est imparfaite et qu’il s’agit de concilier des inconciliables », répond la ministre. « Je suis tellement heureuse de voir ce qu’est un cours d’EMC. Non pas un cours théorique mais un débat ».
Les questions des élèves ne ménagent rien. Un lycéen de Paul Bert explique que la religion musulmane est ciblée dans le débat actuel sur la laïcité. « La laïcité peut-elle mettre fin à cet amalgame ? ». « La laïcité peu-elle devenir universelle », demande un lycéen de Raspail. « La laïcité peut-elle être remise en cause », interroge un élève d’une classe d’Upe2a de Paul Valery, classe d’accueil de non francophones.
La laïcité instrumentalisée
« J’étais mal à l’aise devant la façon dont on a demandé aux musulmans de se distinguer des actes terroristes », explique la ministre. « Ces discours ont été une terrible erreur. C’est avec eux qu’on alimente les discours des extrémistes et la conviction qu’il n’y a pas de place dans la société française (pour les musulmans)… Il se trouve que souvent ces dernières années la laïcité a été entendue comme une rège visant à s’opposer à une religion en particulier. Ca dit que la laïcité a été instrumentalisée, exploitée politiquement pour en faire une arme anti religion avec des dégats terribles ». La ministre donne en exemple les mère accompagnatrices ou le débat sur la cantine scolaire. « Vous vous rendez compte comme le débat a été dévoyé. On en fait une chose qui traite en ennemis une partie de nos concitoyens ».
Dans sa défense de la laïcité ouverte, la ministre est soutenue par Jean-Louis Bianco. « N’oubliez pas que la laïcité a ses racines dans la déclaration des droits de l’Homme », rappelle-t-il. « Nul ne peut être inquiété dans la manifestation de sa religion ».
Ca tombe bien. Ce 9 décembre, jour de commémoration de la loi de 1905, les députés identitaires des Républicains, Lionel Luca et Eric Ciotti, ont déposé une proposition de loi « visant à interdire l’accès à la baignade sur le domaine public maritime à toute personne civile vêtue d’un vêtement d’une connotation religieuse ». Et les élèves aussi se soucient du burkini.
La réponse de la ministre est claire. « C’est une remise en cause de la liberté fondamentale des citoyens. Il faut se demander dans quelle société on veut vivre. Une société de flicage dans la rue ? »
Jean-Louis Bianco rappelle les maitres fondateurs. En 1905, l’Assemblée a débattu de l’interdiction de la soutane dans la rue. « N’ayez aucun doute que l’imagination des tailleurs et des curés donnerait une autre façon de se faire reconnaitre. Ne nous donnons pas le ridicule d’interdire des tenues dans la rue », avait répondu A Briand pour la camp laïque. Le message est destiné aux élèves et aussi aux Républicains…
Professeurs documentalistes et EMI
La ministre a aussi présenté, un peu plus tard, le nouveau livret laïcité destiné aux enseignants et personnels de direction. Ce livret part de cas concrets (accompagnatrices, candidats aux examens, voyages scolaires etc.) pour rappeler le droit. La ministre a rappelé le travail fait dans les établissements pour l’éducation au sens critique. « Au triptyque canonique « lire, écrire, compter », il est donc urgent d’ajouter un quatrième verbe : « penser ».
N Vallaud Belkacem a cité l’éducation aux médias et à l’information. « C’est donner à nos élèves, en particulier avec les enseignements prodigués par les professeurs documentalistes, les réflexes nécessaires pour trouver des informations, les vérifier, les valider ».
François Jarraud