Travailler plus et gagner moins, c’est inscrit dans le programme Fillon pour l’élection présidentielle. Depuis ce matin, on sait comment le probable futur gouvernement fera. Proche de F Fillon, le sénateur Gérard Longuet a publié ce matin un rapport qui prévoit d’inclure dans le temps de travail des enseignants les deux heures supplémentaires que font en moyenne les enseignants dans un nouveau cadre annualisé. Le temps de travail des agrégés serait aligné sur celui des certifiés, faisant passer leur temps hebdomadaire de 15 à 20 heures. On retiendra de ce rapport la violence et la détermination des Républicains pressés de passer à l’action…
L’heure de la revanche
Clairement, c’est l’heure de la revanche sur les enseignants. La publication ce matin du rapport Longuet sur « les heures supplémentaires dans le second degré » est une vraie déclaration de guerre à la profession enseignante. Si l’on ajoute l’ensemble des mesures présentées dans le rapport, c’est une hausse réelle de 6 heures hebdomadaires au minimum, toutes gratuites, qui sera demandé aux enseignants. Cela correspond à la suppression de 150 000 postes. Rappelons que le candidat Fillon a promis de supprimer 500 000 postes de fonctionnaires.
Le sénateur Gérard Longuet accumule une série de mesures qu’il faut bien observer pour en comprendre tout le sel. Partant d’une analyse très détaillée des heures supplémentaires dans le second degré, G Longuet va beaucoup plus loin, précisément jusqu’à l’annualisation du temps de service des enseignants. L’effet principal est là puisque cette annualisation permet de dégager deux heures gratuites pour tous les enseignants plus un réservoir d’heures dues équivalent à environ 4 heures hebdomadaires. Mais suivons le raisonnement de Gérard Longuet.
Annualiser le temps de travail
Le fondement du rapport c’est l’annualisation du temps d’enseignement. En s’appuyant sur un rapport de la Cour des comptes, G Longuet estime que l’organisation actuelle (hebdomadaire) du service des enseignants « renchérit le coût des heures de remplacement » et n’est plus en adéquation avec la formule annualisée de l’accompagnement personnalisé ou des enseignements d’exploration, deux éléments des dernières réformes du lycée et du collège.
« La définition d’un temps de travail sur une base hebdomadaire ne permet pas de prendre en compte les variations d’intensité qui peuvent être constatées au cours de l’année scolaire », écrit G Longuet , par exemple le fait que dans les lycées des cours se terminent plus tôt du fait du bac.
Assécher les heures supplémentaires
Cela se traduit par une montée des heures supplémentaires qui sont passées de 8 millions d’heures en 2007 à 10 millions actuellement. Leur coût est évalué à 1 milliard par an. C’est évidemment le premier milliard que G Longuet veut récupérer mais on verra que ce n’est pas le seul.
L’étude des heures supplémentaires (HS) permet aussi d’opposer les corps enseignants entre eux. Elle montre par exemple que la répartition des heures se fait au bénéfice des corps les plus avantagés. Ainsi les HS représentent en moyenne 2166€ par an pour un certifié mais 23 300 pour un professeur de chaire supérieure (en Cpge). En moyenne un agrégé obtient un salaire double d’un certifié grâce à elles.
Augmenter le temps de travail
Mais l’essentiel, c’est le temps de travail. G Longuet relève que le temps d ‘enseignement en France dans le secondaire est inférieur à celui de l’Ocde du fait des 36 semaines de cours (contre 37 en moyenne). Les enseignants français font 648 heures en moyenne contre 669 h pour la moyenne Ocde. Quant au temps de travail réel (incluant corrections, préparations etc.) » ces chiffres sont à interpréter avec précaution, d’une part, car ils reposent sur des données déclaratives et, d’autre part, car ces moyennes peuvent masquer d’importantes disparités en fonction de l’âge, du corps d’appartenance », dit G Longuet. Il faut savoir que, d’après la Depp (division des études du ministère), les enseignants du secondaire travaillent 42h53 par semaine pour les certifiés et 39h15 pour les agrégés. C’est nettement plus que les 35 heures. Mais on a vu que cela n’arrête pas G Longuet. Il ne relève pas non plus le fait que les pays en tête dans Pisa sont ceux qui font nettement moins d’heures qu’en France (Corée, Japon par exemple).
Comment passer de 648 à 1607 heures
On en arrive à l’essentiel. G Longuet effectue un calcul simple à partir du décret de 2014 fixant le temps de travail des fonctionnaires annuel à 1607 heures.
» Selon le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, une forme d’annualisation a déjà été mise en place avec le décret du 20 août 2014 dans la mesure où son article 2 fait référence « à la réglementation applicable à l’ensemble des fonctionnaires en matière de temps de travail », soit 1 607 heures par an. Pour autant, dans les faits, comme le rappelle la Cour des comptes « la seule obligation chiffrée à laquelle sont tenus les enseignants en vertu de ces décrets demeure d’assurer le nombre d’heures de cours hebdomadaire comme par le passé… ».
« En faisant l’hypothèse où une heure d’enseignement nécessiterait une heure de travail supplémentaire, comme l’estime la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance dans sa note d’information de juillet 2013 précitée, le temps de travail consacré par les enseignants aux heures de classe, à leur préparation et à la correction des copies s’élève à environ 1 296 heures pour les certifiés (36 semaines x 18 heures de cours x 2) et 1 080 heures pour les agrégés (36 semaines x 15 heures de cours x 2). Au total, le « réservoir » théorique d’heures disponibles s’élève donc à 311 heures pour les certifiés et à 527 heures pour les agrégés », écrit G Longuet.
Un service de 20 heures hebdo pour certifiés et agrégés
Les conséquences peuvent maintenant arriver. « Dans la mesure où les enseignants effectuent en moyenne 2 HSA actuellement, il pourrait être envisagé de fixer le niveau des obligations réglementaires de service à 20 heures par semaine pour les certifiés et à 17 heures par semaine pour les agrégés, correspondant, en termes annuels, à 720 heures pour les certifiés et à 612 heures pour les agrégés. Dès lors, le réservoir d’heures disponibles pour la réalisation d’activités au-delà des obligations réglementaires de service passerait à 167 heures pour les agrégés et à 383 heures pour les agrégés. »
Mais ce n’est pas tout. G Longuet est un humaniste qui veille à l’équité. Il relève que les agrégés font moins d’heures que les certifiés alors qu’ils sont mieux payés. « Ces différences affectent paradoxalement des enseignants placés dans des situations d’enseignement semblables. Elles sont donc à la fois sans lien avec le public d’élèves et inéquitables pour les enseignants », écrit-il. Et il demande d’aligner les temps de service des uns et des autres, autrement dit 20 heures pour tout le monde soit 5 heures de plus gratuites pour les agrégés et deux pour les certifiés. Les professeurs de Cpge auraient un régime spécial.
Mais même quand on a fait ce saut, les enseignants doivent toujours leurs 1 607 heures. En clair les certifiés doivent encore 167 heures et les agrégés 275 soit 4.6 heures hebdomadaires pour les uns et 7.6 h pour les autres. Excusez du peu…
Gratter l’os jusqu’au bout… des options en lycée
G Longuet n’oublie pas de faire le ménage dans les coins. C’est une de ses signatures. Ainsi il relève que « de nouvelles décharges horaires ont vu le jour, notamment dans le réseau d’éducation prioritaire. Ces décharges ont pour conséquence de réduire les moyens d’enseignement disponibles et donc augmenter les besoins en heures supplémentaires. Enfin, il est envisageable que, compte tenu des habitudes prises et de l’importance du montant des heures supplémentaires pour certains enseignants (dans les formations post-bac ou dans l’enseignement technologique par exemple), certaines heures ne relevant pas du face-à-face pédagogique et n’ouvrant pas droit au versement d’une IMP continuent d’être rémunérées sous la forme d’heures supplémentaires en contradiction avec les dispositions du décret du 20 août 2014 ». Il recommande donc d’aller y voir plus près en réalisant « une analyse de l’évolution des moyens d’enseignement en lien avec l’évolution des heures supplémentaires, des effectifs de contractuels et des schémas d’emplois exécutés » (recommandation n°3).
Il reste encore un peu à gratter sur l’os. Comment se fait-il que les enseignants de première aient une pondération horaire alors que la plupart des épreuves au bac ont lieu en terminale ? La recommandation n°9 demande de réserver la pondération aux seules discipline d’examen en 1ère. Et la recommandation n°1, en hors d’œuvre, d’aller y voir de plus près du côté des indemnité de mission (IMP) pour récupérer des miettes.
Enfin, G Longuet s’attaque aux options en lycée. Une recommandation propose d’en revoir le nombre et explicitement d’en retirer certaines, on ne sait lesquelles, de l’offre d’enseignement.
Un tiers des postes supprimés dans le secondaire
Finalement ce qui est extraordinaire chez un libéral comme G Longuet c’est ce goût pour la réglementation étatique tout en prônant l’autonomie des établissements, un souci auquel répondent justement les IMP…
A quelques mois de l’élection présidentielle, alors que l’OCDE elle-même demande le maintien des investissements dans l’éducation, l’entourage de F Fillon pose les bases de son programme. Supprimer plus de 100 000 postes dans l’éducation c’est effectivement possible. Maintenant on sait comment cela se fera.
François Jarraud