Vincent Faillet, enseignant de SVT au lycée Dorian (Paris 11ème) a totalement réorganisé sa salle de classe. Les murs sont couverts de tableaux et les tables disposées en ilots pour un travail de groupe. Ses séances se déroulent désormais en 3 actes. Quel lien entre cette salle de classe reconfigurée et l’idée de « classe mutuelle » ? Quelle place pour l’enseignant ? Entretien avec Vincent Faillet
Quel est le principe de la classe dite mutuelle ? Comment se déroulent vos cours désormais ?
Le principe fondateur est de créer les conditions favorables à l’enseignement par les pairs. Il s’agit de faire potentiellement de chaque élève, un « moniteur » susceptible d’expliquer à un autre. Il fallait pour cela repenser la salle de classe qui est conçue pour une utilisation magistro-centrée : le tableau du maître, les tables alignées pour que les élèves ne ratent rien de la « magistrale » parole… Pour ce faire nous avons couvert les murs de tableaux, et réorganisé le mobilier pour favoriser le travail de groupe.
Le terme « mutuel » est un petit hommage à la méthode d’enseignement mutuel qui a connu son apogée en France au début du 19ème siècle avant de disparaitre au profit de la méthode simultanée, toujours en vigueur actuellement. La méthode mutuelle s’organisait autour de moniteurs qui étaient des élèves plus avancés dans les apprentissages et qui enseignaient aux autres. C’est finalement quelque chose de naturel pour les élèves mais pour cela l’enseignant doit savoir s’effacer…
Les cours se décomposent généralement en trois séquences distinctes. Premièrement une séquence conceptuelle, c’est le cours ou plus précisément les concepts essentiels du cours – un cours version enseignement simultané classique. Sur un cours d’une heure trente, cette séquence dure environ 20 minutes. Deuxièmement, une séquence mutuelle, et là, les élèves prennent possession de l’espace. Ils réorganisent les tables pour travailler en groupes, vont sur les tableaux pour résoudre des exercices, dessiner des schémas-bilan ou des cartes mentales… Pendant cette séquence qui dure environ 50 minutes, je me concentre sur les élèves en difficulté ou sur ceux qui ont besoin d’approfondir le cours. Enfin, troisièmement, une séquence bilan. Pendant 10 minutes, je commente – avec l’aide des élèves – les différents tableaux qui ont été produits. Des corrections sont apportées si nécessaire. A la fin de la séance, les tableaux sont photographiés par les élèves et archivés.
Quels avantages voyez-vous à travailler de cette façon ? Est-ce possible en TP ?
Je trouve de nombreux avantages à travailler ainsi. Déjà, chaque élève travaille à son rythme, ce qui est difficile dans un enseignement simultané. Il m’est arrivé de passer 25 minutes en cours avec deux élèves en difficulté, alors que pendant ce temps le reste de la classe était en activité – un cas de figure impensable dans le cadre d’un enseignement simultané. Je trouve aussi que cette façon de travailler donne de la valeur ajoutée à mon enseignement. Lorsqu’une difficulté apparait dans un exercice par exemple, je m’appuie sur les élèves qui ont passé cette difficulté pour qu’ils expliquent à leurs camarades. Cela me permet de me concentrer sur les élèves qui en ont le plus besoin. Je reste disponible bien évidemment en cas de nécessité. De plus, les activités sur tableau sont très pratiques, j’ai une vision synoptique du travail. Les erreurs sont très vite repérées, de même que les élèves passifs. Je constate aussi une saine émulation dans la classe car les élèves en difficulté du jour pourront être les moniteurs de demain. Les élèves sont beaucoup impliqués, attentifs et valorisés.
Pour ce qui est des TP, je trouve que l’on travaille déjà un peu sous cette forme. Les effectifs réduits facilitent les échanges, les élèves sont en activité et peuvent passer de poste en poste pour recueillir des informations ou des aides auprès de leurs camarades.
Plusieurs collègues se joignent à votre expérience… Une contagion ou une évidence ?
Une évidente contagion… En fait, je suis honnêtement très surpris d’une telle adhésion. Pour avoir conduit quelques expérimentations dans mon lycée, je sais toute la difficulté de « recruter » des enseignants volontaires. Cela étant, ce n’est pas mon objectif sur la « classe mutuelle » car je n’inscris pas cette démarche dans un protocole expérimental – il m’est impossible d’être juge et partie ! Très rapidement une collègue de sciences physiques et chimiques s’est associée au projet puis d’autres sont venus, intrigués par cette salle reconfigurée avec ses tableaux muraux. Il a été très rapidement possible de mutualiser cette classe pour la faire fonctionner presque exclusivement sur le modèle de la « classe mutuelle ».
Quelques enseignants ont rejoint le projet car ils étaient lassés des méthodes traditionnelles et avaient envie « d’expérimenter autre chose ». Et cela a été d’autant plus facile que ce projet n’est pas dépendant du numérique. En réalité, on peut faire la « classe mutuelle » sans y inclure le numérique ce qui a rassuré, je pense, de nombreux collègues. Le numérique vient, dans un second temps, de façon naturelle et ce sont souvent les élèves qui l’apportent : smartphones et enceinte pour écouter des vidéos sortent très vite des sacs, smartphones pour photographier les tableaux ou rechercher des informations, Facebook ou Twitter pour archiver les photographies ou pour échanger sur le cours en dehors des heures de classe.
Un changement de mobilier est envisagé …
Oui, nous venons de changer de tables et de chaises et pour poursuivre mon propos, il y a quelques mois encore, j’aurais plus pensé demander une dotation en matériel numérique qu’en mobilier ! Je suis un partisan convaincu du numérique éducatif mais je me rends compte à présent que doter en numérique une classe prévue pour fonctionner en mode d’enseignement simultané n’est guère plus efficace que « cautère sur jambe de bois ». Aujourd’hui – et c’est paradoxal – pour faire l’« école numérique », j’ai avant tout besoin de mobilier modulaire, de tableaux effaçables, d’un Wi-Fi performant et de prises pour recharger les appareils des élèves.
Outre les tableaux, nous avons besoin de place pour faciliter les déplacements des élèves et la réorganisation des tables pour le travail de groupe est un impératif. Le mobilier ne permettant pas cette modularité – ou très mal, nous avons décidé de tester autre chose. Et notre choix s’est arrêté sur une entreprise française, qui a fait travailler un designer pour concevoir du mobilier scolaire innovant.
Avez-vous des retours des lycéens ? De l’institution ?
Les retours des lycéens sont très positifs, ils apprécient forcément le changement et faire de la classe un espace de liberté et d’échanges ne peut pas leur déplaire. L’institution est bienveillante tant au niveau local que central. Mon chef d’établissement soutient le projet depuis son commencement, quant au Ministère, je crois savoir qu’il suit avec intérêt le travail que nous menons.
Quels sont vos usages du site classemutuelle.fr ? A qui s’adresse-t-il ?
Le site été conçu dans un premier temps pour être un espace numérique de travail dans lequel les enseignants peuvent déposer des ressources pour les élèves. Le site héberge également une « Agora » qui renvoie vers un logiciel de chat sécurisé « Mattermost ». Cette « Agora » est un espace dédié aux élèves sur lequel ces derniers peuvent déposer, indexer et commenter les photographies des tableaux. L’an dernier, il n’y avait pas le site classemutuelle.fr, et j’utilisais Twitter avec mes élèves. Il s’avère que cette année, nous avons beaucoup de mal à fédérer les élèves autour de l’« Agora ». Comme souvent, les élèves lui préfèrent l’utilisation de Facebook. Nous nous sommes donc adaptés aux élèves et nous utilisons une page Facebook, privée et dédiée au travail scolaire ! Le projet évolue aussi avec les retours des élèves.
Dans un second temps, il nous a semblé important de partager cette expérience avec d’autres collègues, c’est pour cela que nous expliquons sommairement la philosophie de la classe mutuelle sur le site. D’autres projets de ce type existent très certainement et nous serions heureux d’échanger à ce sujet. Ce site est aussi une bouteille à la mer…
Entretien par Julien Cabioch