A la veille de la rentrée scolaire, la psychose s’installait sur la menace que pourrait représenter le jeu Pokemon Go dans la vie scolaire. Un mois plus tard, l’hsytérie semble être retombée. Retour sur un phénomène estival et leçon pour l’école. Un outil de réflexion également sur la place des jeux dans l’enseignement.
Lors de la dernière édition de Ludovia fin août, à quelques jours de la rentrée scolaire, l’impact de Pokemon Go sur la vie des établissements scolaires était un des sujets favoris de conversation. Dans le même temps, un certain nombre de participants partaient à la chasse aux Pokémons… en compagnie de jeunes présents dans la station thermale…
Fin août, Najat Vallaud-Belkacem demandait un entretien à Niantic pour bannir les Po-kémons rares des établissements scolaires, craignant le risque d’attroupement, « dans et autour des établissements scolaires », dans un contexte de menace terroriste élevée. Toujours selon la radio – quelques jours plus tôt – la ministre avait déjà indiqué aux responsables d’écoles, collèges et lycées qu’ils pouvaient demander à Niantic que leur établissement ne soit plus un « pokestop », lieu de passage pour les dresseurs (source : http://www.huffingtonpost.fr/2016/08/29/pokemon-ecole-nianti[…]).
De leur côté, certaines universités partaient également à la chasse aux joueurs de Pokémon sur leur campus. D’autant qu’à la sortie du jeu en juillet 2016, des universités étaient devenues des points d’intérêt sur la carte virtuelle. Une arène de combat avait été ainsi implantée au cœur de l’université de Perpignan-Via-Domitia. Fin août, à l’UFR de droit de l’université de Bretagne occidentale de Brest, le personnel indiquait que les désordres générés par le jeu seraient gérés comme n’importe quel trouble, comme des perturbations des cours magistraux, pouvant entraîner des sanctions disciplinaires. Pour sa part, l’université Paris 13 choisissait plutôt de surfer sur cette vague et se servait de la chasse aux Pokémons pour faire découvrir le campus et redorer l’image stigmatisée d’une « université de banlieue ». Le reste est lui laissé à la discrétion de l’enseignant : « S’il ne veut pas de téléphone dans son cours, il peut l’interdire » (Source : http://www.letudiant.fr/educpros/actualite/a-la-rentree-pokemon-g[…]).
Slate.fr (http://m.slate.fr/story/122583/journee-type-adolescent-college-pokemon) allait même jusqu’à imaginer la journée d’un collégien de 15 ans, joueur de Pokémon :
8h32: Pierre, le surveillant qui joue aussi quand il peut, a été sympa et a laissé passer Théo pour qu’il aille en cours. Après avoir rangé son iPhone (évidemment interdit en classe), le collégien frappe à la porte de sa salle de cours, située au troisième étage du bâtiment. Mme Humbert accepte le retard de son élève, mais ne peut pas s’empêcher de lui lancer: « Alors, on chassait du Pikachu? » Mme Humbert n’avait aucune idée de la raison pour laquelle Théo était en retard, mais elle avait fait le choix stratégique: lors de ses vacances en Corrèze, elle avait appris le nom de quelques Pokémons et travaillé leur prononciation afin d’élaborer une répartie qu’elle utiliserait dès qu’elle en aurait l’occasion. La veille, elle avait utilisé la même blague avec une élève de cinquième arrivée en retard, remplaçant avec audace le nom de Pikachu par celui du rare et puissant Dracolosse.
Sur le plan pédagogique, le jeu Pokémon Go a généré des échanges sur les usages possibles du jeu en pédagogie.
Dans un billet de son blog sur Mediapart, Éric Sanchez, désormais professeur à l’université de Fribourg (Suisse), convoquait autour des Pokémons plusieurs grandes figures de la pédagogie : Skinner, Piaget, Vygotski, Brunner, Montessori, Dewey, Rousseau, Freinet (https://blogs.mediapart.fr/eric-sanchez/blog/310816/pokemon-go-da[…]). Eternel débat de la place du jeu en éducation à l’exemple de l’échange imaginaire entre Dewey et Freinet :
John Dewey (songeur) : Oui, le jeu et l’école, c’est important… Comme le travail, le jeu devrait avoir sa place à l’école. Les enfants s’engagent dans leur travail scolaire à travers le jeu. L’éducation ne consiste pas à transmettre un savoir théorique et moral à un enfant pour le préparer à vivre au sortir de l’école. L’éducation est la reconstruction continue de l’expérience, elle est la vie même. Hors, le jeu constitue une telle expérience puisqu’il permet à l’enfant d’expérimenter sa manière de penser et d’agir. Il faut aussi souligner que l’échec est instructif. On apprend tout autant de ses échecs que de ses succès. Les jeux permettent également cela.
Célestin Freinet (Montrant des signes d’impatience): Mais enfin, qu’est-ce que signifie cette idée que le jeu serait un moyen d’enseigner ! On aurait tort de prôner à une pédagogie du jeu. L’enfant joue lorsque le travail n’a pas suffi à épuiser toute son activité. Ce serait admettre implicitement que le travail est impuissant à assurer l’éducation des jeunes générations. Ce qui est naturel à l’enfant c’est le travail et non pas le jeu. Le jeu c’est l’irrationnel, le rêve dans lequel on se réfugie, le jeu-haschich.
Eric Sanchez laissait néanmoins le dernier mot à… Mary Poppins :
Mary Poppins (en chantant) : Le travail ? Mais quel travail ? Dans tout travail il y a de l’amusement. Trouvez l’amusement et snap, comme par magie, le travail devient jeu ! (Mary Poppins – A Spoonful Of Sugar : https://youtu.be/vLkp_Dx6VdI)
Pour leur part, Amber McLeod et Kelly Carabott (http://theconversation.com/les-vertus-pedagogiques-de-pokemon-go-64683) notent que les jeux vidéo peuvent très bien servir à améliorer le niveau des élèves : certaines études montrent en effet que les gamers réguliers ont de meilleures notes en maths et en sciences. En ce sens, ils présentent quelques exemples d’utilisation du jeu en lien avec le programme d’enseignement primaire en Australie. En voici deux exemples en lien avec l’histoire et la géographie :
• débattre sur la façon dont la tectonique des plaques a modifié la lecture des informations GPS en Australie (sciences, géographie, expression) ;
• proposer aux élèves de devenir guide Pokéstop (les Pokéstops sont souvent situés devant des lieux historiques), en leur demandant de s’informer sur l’histoire de chaque lieu (histoire, art, expression).
Avec La pédagogie des Pokémon, Sylvain Connac donnait son point de vue dans Les Cahiers pédagogiques (http://www.cahiers-pedagogiques.com/La-pedagogie-des-Pokemon). Dans un premier temps, il notait que Pokémon Go permettait de lutter contre deux critiques des jeux vidéo classiques : l’isolement social et l’inertie physique.
« En chassant les Pokémon, il est nécessaire de sortir de chez soi, de marcher, par-fois beaucoup et longtemps, et de rencontrer d’autres joueurs pour augmenter ses chances de ne pas revenir bredouille. Très bien ».
Par ailleurs, beaucoup d’enseignants y reconnaissent le pouvoir de mobilisation des jeunes par ce jeu. « A leur insu, les élèves découvriraient ou s’approprieraient ainsi les règles d’accord, les verbes irréguliers, les énoncés de théorèmes… En somme, par le jeu et en faisant, ils apprendraient ce que l’école prétend leur faire apprendre ».
A cet univers idyllique, Sylvain Connac oppose les travaux de Jean-Yves Rochex, Elisabeth Bautier ou Stéphane Bonnéry (1) ayant « clairement mis en évidence que même si quelques élèves effectuaient à travers la chasse aux Pokémon les inférences nécessaires, d’autres, plus nombreux, se limiteraient à des tâches subalternes ». On renforcerait ainsi les inégalités scolaires plutôt que de les réduire :
« Penser le jeu comme un principe pédagogique continu, c’est prendre le risque de contribuer à une augmentation des inégalités entre les élèves ainsi que celui d’enfermer les plus motivés dans une sorte de routine cognitive qui ne sollicite pas toutes leurs aptitudes pour apprendre ».
Que faire alors pour éviter les malentendus qui pousseraient les élèves les plus démunis à penser que jouer est ce que l’école attend d’eux ? Substituer au jeu le travail authentique ou vrai soit une activité qui fait sens et qui dévolue aux élèves la tâche de résoudre le problème apporté par l’enseignant.
Pour allier jeu et problématisation en classe d’histoire, il est donc nécessaire de déterminer de quelles manières l’utilisation d’un jeu dépassera la simple mobilisation extrinsèque des élèves. Dans un autre billet de blog, Éric Sanchez a identifié sept manières d’utiliser le jeu en classe pour enseigner (Source : https://blogs.mediapart.fr/eric-sanchez/blog/050816/de-pokemon-go-la-sa[…]).
En une centaine de pages, Julian Alvarez, Damien Djaouti et Olivier Rampnoux (Apprendre avec les serious games ? Canopé), vous disent tout, ou presque, sur les jeux sérieux. C’est à dire qu’il parle des apports mais aussi des limites des jeux sérieux et qu’il montre comment jouer sérieusement en classe. L’ouvrage arrive à la fois à donner des pistes très concrètes pour jouer et une réflexion sur ce que ça implique comme stratégie pédagogique.
Concernant des jeux utilisables en histoire, le Réseau Ludus propose depuis de nombreuses années des jeux utilisables en classe (http://lewebpedagogique.com/reseauludus/nos-jeux/). Vous disposez également d’une sélection de jeux gratuits faite par Cursus.edu (http://cursus.edu/institutions-formation[…]).
Sur les questions de donner du sens aux apprentissages historiques, je vous renvoie enfin à ma chronique de septembre 2013, Problématiser, mais vraiment, en classe d’histoire (http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lenseignant/s[…]).
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur,
Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)
Apprendre avec les serious games dans le Café pédagogique
Apprendre avec les jeux sérieux
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/laclasse/Pages/2016/171_3.aspx
Note
(1) Elisabeth Bautier, Jacques Crinon, Jean-Yves Rochex, La construction des inégalités scolaires, Presses Universitaires de Rennes, 2011.
Stéphane Bonnery, Comprendre l’échec scolaire, La Dispute, 2007.